Il avait toujours le sourire, il était toujours là, attentif, amoureux de la vie et des autres, au sens large. Un être rare. Qui n’est plus. Il était arrivé dans l’Embrunais à peu près en même temps que mes parents, et a toujours été un ami de la famille. Mais qui ne pourrait pas être ami avec Isidore ? Un cœur assurément grand comme ça. Un artiste, un poète, un musicien, un sculpteur, un instrumentiste, un historien... un pourvoyeur de beauté, qu’elle soit intérieure ou extérieure. Quel plaisir c’était de l’entendre raconter son abbaye de Boscodon. De l’entendre révéler par quels artifices les bâtisseurs du XIIe siècle avait réussi le tour de force d’ériger un tel édifice au milieu de nulle part ; tant de beauté et d’esthétisme architectural force l’admiration encore aujourd’hui... De l’entendre jouer de la flûte de pan, autodidacte en la matière, puis de voir ses magnifiques instruments taillés de ses mains sortis de son atelier...
De l’entendre parler de son orgue en bois avec les yeux qui pétillent ! Cet orgue qui trône désormais en bonne place dans l’abbatiale de Boscodon. De toute façon, Isidore avait toujours les yeux qui pétillaient : il adorait la vie et répandait ce bonheur naturellement autour de lui.
Je l’ai toujours connu. Il était frère Isidore, mais pour nous, il était Isidore, tout simplement. Quand, gamins, on allait passer des après-midi à sculpter la pierre avec lui à Boscodon ; quand il a travaillé avec mon père sur un montage audiovisuel relatant l’histoire de l’abbaye ; puis plus tard, quand j’ai donné une conférence sur l’astronomie à Boscodon, ou encore quand j’ai participé au stage de flûte de pan qu’il organisait chaque année. Malheureusement, je fus un bien piètre élève, tant en musique qu’en sculpture. Ainsi qu’en humanisme... Puisse-t-il me pardonner... Il lui a fallu deux années d’école pour devenir l’être exceptionnel qu’il était, moi j’en ai dix fois plus à mon actif. Le résultat n’est pas à la hauteur !
Il s’est éteint en février dernier, au terme d’une vie foisonnante. Quand je pense à lui, je ne peux pas être triste : Isidore semblait ne pas connaître ce sentiment. Je suis tellement heureux d’avoir eu la chance de le connaître ! Son sourire malicieux et son éternel bonnet vissé sur le haut du crâne, avec ce doux accent chantant, hérité de ses racines transalpines...
Dans l’agenda de ma vieIl y a seulement deux pagesL’uneProgrammée à long termeL’autreToute blanche pour l’imprévu
Isidore Dalla Nora
La beauté était belleParce que je la regardaisSans la prendreElle m’a sculpté ses secretsPar l’intérieur
Isidore Dalla Nora
Avec le tempsAvec mon sangAvec la patience de mes mainsEt l’usure de l’outilPierreJe t’ai apprivoiséePar notre rencontreTu es devenueStèle, voûte, angle, visageJe t’ai taillé une placePour la suite des tempsTu recevras les regardsEt la caresseDes mains qui t’aimentTu leur diras mon souvenirQuand je serai partiParce que tu es pierreEt moi de chairMais là où je seraiJe te regarderaiReposé
Isidore Dalla Nora
Ce poème a bercé mon enfance, dit par une voix puissance et caverneuse, puisqu’il figure en bonne place dans le montage audiovisuel que mon père fit sur l’Abbaye dans les années quatre-vingt...
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