Les tribulations d’un (ex) astronome

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Un semestre d’enseignement s’achève…

mercredi 21 décembre 2022 par Guillaume Blanc

J’ai trois enseignements au « premier » semestre, c’est-à-dire le semestre d’automne. Qui ne dure pas six mois comme son nom ne l’indique pas, mais trois : de début septembre à début décembre en l’occurrence. L’essentiel de mon service, ces 192 h de cours, est concentré là. J’ai un gros cours de physique classique, en deuxième année de licence, sur « l’électromagnétisme », avec deux fois deux heures d’amphi par semaine, et deux fois deux heures de travaux dirigés en groupes. Pendant douze semaines. J’ai également un enseignement de « méthodologie du travail universitaire » en première année de licence, un cours que j’ai monté et qui a vu le jour en 2019. C’était donc la quatrième année. Il s’agit de donner des éléments de méthodes de travail et de contexte sur la physique aux nouveaux étudiants afin de leur donner rapidement des clefs pour réussir au mieux. Ils apprennent également dans ce cadre à utiliser un logiciel de traitement de texte scientifique, latex, et enfin, ils commencent ou continuent de réfléchir à leur projet professionnel. Enfin, j’ai un cours optionnel, depuis 2014, intitulé « physique et société », en troisième année de licence.

Malgré le fait que mes cours étaient, cette année, pour la première fois, (à peu près) prêts - - pas de polycopié à écrire ! - - j’appréhendais beaucoup ce semestre. Je n’avais pas réussi à tout caser sur trois jours, comme les années précédentes, les emplois du temps n’ont pas voulu. J’allais devoir aller à Paris quatre fois par semaine. J’ai abandonné les allers-retours en RER, je fais tout en vélo depuis trois ans. Avant je pédalais seulement une journée par semaine jusqu’à Paris. Le covid m’a incité à franchir le pas pour pédaler sur la totalité des trajets : la décision fut aisée à prendre, ne plus subir le RER, l’hésitation ne dura pas. Je ne regrette d’ailleurs pas. Finis ces horaires incertains, cette boîte de conserve puante, bruyante, moche, inconfortable, bondée, épuisante pour les nerfs. Je mets à peu près le même temps en vélo, une heure quinze (un peu plus s’il pleut, à peine) qui ne dépend que de moi, et non de probables aléas, pannes, colis abandonnés, personnes sur les voies, voyageurs malades, portes mal fermées, caténaires cassées, que sais-je. Toutefois, j’appréhendais ces quatre trajets consécutifs dans la semaine. Angoisses liées à la circulation chaotique parisienne (multiplier mon exposition au réel danger induit par les voitures et autres véhicules dans la jungle urbaine), aux intempéries (que faire s’il pleut trop, s’il neige, s’il y a du verglas), à ma forme physique (allais-je « tenir le coup » ?), à l’état de mon vélo (et si je crève, si je casse un truc [1], et si…).

J’appréhendais également mes cours à 8 h 30, mais moins que les années précédentes où je m’efforçais de ne pas avoir d’enseignements aussi tôt. Et puis l’année dernière, pas de chance, je commençais mes trois journées consécutives à 8 h 30. Je me suis alors rendu compte que c’était seulement une question d’organisation : me coucher pas trop tard, préparer mes affaires la veille, réveil à 5 h 45, petit-déjeuner, habillement en fonction de la météo. Et oui, ce ne sont plus les horaires aléatoires du RER mais les prévisions météo qui rythment mes trajets, la musique de mon réveil et la pluie qui cingle le toit sont une éprouvante combinaison, mais heureusement très rare. Cette année, il a fait plutôt beau, je n’ai eu de pluie qu’une fois, au retour. Je n’ai pas eu besoin de m’enfoncer dans la nuit automnale sous la pluie battante à l’aube, comme cela m’est arrivé l’année dernière. Cette année, je n’avais que deux journées débutant à 8 h 30, non consécutives de surcroît, l’expérience acquise m’a appris que c’était largement faisable (et peu douloureux).

Le cours d’électromagnétisme a assez bien fonctionné, pour la première fois. Je pense avoir trouvé un rythme et un format adéquats. C’est un gros enseignement, 48 h de cours magistral, que je fais en classe inversée : je donne aux étudiants le cours sous forme de polycopié, dont ils ont à lire attentivement une poignée de pages avant de venir. En amphithéâtre je fais le point sur les éléments essentiels du cours, je pose des quiz de compréhension et des exercices d’application. Un sondage au bout d’un mois et demi de cours me conforte dans mes choix : à part une poignée de réfractaires à cette pédagogie, la grosse majorité des étudiants adhère. J’ai enlevé les fioritures des premières années, pause culturelle au milieu où je parlais d’un truc ayant trait à l’électromagnétisme, de près ou de loin. Je crois que les étudiants ne s’en portent pas plus mal, ils ont suffisamment de concepts à ingurgiter pour ne pas que je leur en ajoute. Je me suis rendu compte que la pause culturelle, c’était surtout mon petit plaisir, eux, ils écoutaient poliment, mais je pense que ça les barbait. Sans compter que deux heures de cours, c’est long, une véritable pause au milieu est importante, pour s’aérer les neurones sans les abreuver d’autres choses. J’ai seulement gardé une poignée de courtes expériences illustratives, distillées au fil du semestre, avec l’aide du collègue technicien de travaux pratiques. Je commence à maîtriser certaines choses : c’est la deuxième année que je fais l’intégralité du cours de cette façon. Avant, une collègue faisait le premier tiers classiquement, à la craie au tableau. Le fait que la pédagogie soit homogène est important. Néanmoins, il me reste beaucoup de choses à apprendre en pédagogie parce qu’une bonne partie des étudiants a encore du mal avec ce que je leur raconte. Je me rends compte que certaines parties, qui me semblaient évidentes, ne le sont, en fait, pas pour une fraction importante. Quand on mélange des concepts mathématiques un peu délicats, géométrie dans l’espace, intégrales doubles ou triples, avec des notions de physique, malgré l’implacable logique des théorèmes en question, ça ne passe pas toujours. Trop d’étudiants restent sur le carreau, malgré leur bonne volonté, parfois même malgré leur travail acharné.

En travaux dirigés (TD), j’avais un groupe dans cet enseignement-là, en électromagnétisme. Ce qui n’était pas le cas l’année dernière. J’ai vraiment pris conscience de l’importance de pouvoir suivre un petit groupe d’étudiants de cette façon quand on fait un cours magistral. Là encore, j’ai des méthodes hétérodoxes piochées dans les colloques Enseigner la physique à l’université. Dès la première séance, je demande aux étudiants de bouger les tables, de faire des îlots par petits groupes de 3, 4 ou 5. Et de faire les exercices de travaux dirigés ensemble ; je leur demande de réfléchir entre eux aux exercices, et de ne m’appeler seulement quand ils sont secs pour que je les décoince. Je ne leur demande plus de travailler à la maison, injonction qui restait souvent lettre morte, quand je faisais ainsi avant. De cette façon, ils travaillent au moins en TD. Cela fait environ 4 ans que je procède ainsi. Et ça marche ! Avec des hauts et des bas, bien sûr, rien n’est jamais parfait en pédagogie. Mais les étudiants jouent le jeu, globalement. Après la phase d’incrédulité des premières minutes qui suivent mon explication de la méthode lors de la première séance, ils se débrouillent tout seuls. Par la suite, souvent quand j’arrivais en classe, ils étaient déjà à l’œuvre, la classe chamboulée. Je devais leur rappeler régulièrement, au bout de deux heures, que le TD était terminé. Le seul problème avec cette méthode, c’est que bien souvent je passe les heures de TD à ne rien faire. Le TD se fait tout seul. Je demande quand même à un groupe de rédiger proprement la séance, je récupère l’œuvre à la fin, je corrige, notamment avec des éléments de rédaction, je scanne, et je mets ça en ligne à disposition de la classe. Cela demande une certaine abnégation de ne pas étaler sa science des exercices (voire au-delà !) au tableau devant une classe ébahie. Mais on s’habitue rapidement à ne rien faire !

L’année dernière j’ai fait pour la première fois la totalité du cours en classe inversée. J’ai été très déçu par les résultats, qui n’étaient pas meilleurs que les années précédentes, malgré tous mes efforts ! J’ai pris contact avec le service d’aide à la pédagogie de mon université, pour essayer d’avoir un coup de main, et voir les pistes d’amélioration ; une ingénieure pédagogique a répondu. On a discuté deux heures en visio, je lui ai montré ce que je faisais, les limites que j’observais, elle m’a dit que j’étais à la pointe de ce qui se faisait en pédagogie dans cette université (C’est dire ! Manifestement, faire des cours corrects n’est pas un critère du classement de Shanghai…). Et comme je fais mes quiz en amphi en écrivant les questions à la craie et en faisant voter les étudiants avec des bouts de papier colorés [2], le seul truc qu’elle m’a suggéré, c’est de faire des quiz Wooclap. Sacro-saints outils numériques. Là, j’ai compris qu’elle ne m’aiderait pas plus que ça, qu’il allait falloir que je me débrouille seul. J’ai aussi compris que j’allais continuer mes quiz low-tech, tellement sa suggestion m’a semblé en décalage par rapport à ma requête. Comme si le « numérique » était l’alpha et l’oméga de la pédagogie. Ce qui montre que tous ingénieurs pédagogiques qu’ils sont, ils n’ont pas compris que les outils numériques devaient être au service de la pédagogie, et non l’inverse. D’ailleurs, je fais de la pédagogie active (que l’on qualifie souvent de pédagogie innovante !!), j’utilise certes des outils en ligne comme Moodle [3] et Perusall [4] (et encore, je pourrais m’en passer, en fait), mais en cours je n’utilise pas l’ordinateur, sauf pour projeter en temps réel l’image des expériences avec une webcam. Comme quoi, on peut faire de la pédagogie « innovante » sans numérique… Je ne suis néanmoins pas au bout du concept. Trop d’étudiants ne comprennent pas une partie du cours. Avec les TD, je me rends compte que les plus faibles ne travaillent pas forcément moins que les plus forts. Ils ont seulement des méthodes de travail moins efficaces. Ou pas de méthode du tout. Ils ont des notes qui ressemblent à des brouillons. Il est difficile de s’attaquer à ça en deuxième année de licence. Parfois, les étudiants écoutent les conseils, parfois pas. Il faut insister. Je me rends compte qu’il faut beaucoup de temps pour comprendre cela, essayer une méthode, corriger, améliorer, etc. Les premières années où je faisais ce cours, j’étais trop focalisé sur le contenu. Je voulais bien faire. Je pense que je me le suis à peu près approprié à la longue (je suis assez lent…). Je commence à pouvoir me concentrer sur la pédagogie, essayer de trouver ce qui coince pour une partie des étudiants. Si toutefois mes collègues me laissent jouer avec ce cours convoité, pour lequel je ne suis plus prioritaire dès l’année prochaine… Je ne me vois pas passer déjà à autre chose…

L’enseignement de méthodologie du travail universitaire est également un roman à lui tout seul. Il cueille les étudiants fraîchement débarqués à l’université. Il leur permet, en principe, d’acquérir quelques méthodes de travail pour améliorer leur réussite, sans avoir à trouver les clefs par essais – erreurs. Enfin, on essaye de leur offrir ça. Ça et puis des notions d’épistémologie de la physique, on discute orientation, on leur fait apprendre latex. L’histoire débute généralement pendant l’été : ce cours, sorte d’ovni [5] dans un cursus de physique, peine chaque année pour trouver ses enseignants. Aucun collègue ne souhaite s’y coller. « Je ne suis pas compétent ! » s’excusent-ils invariablement (quand ils prennent la peine de répondre), malgré le fait que j’ai tout fait pour ce soit un enseignement clefs en main : tout est dans un manuel ! Cette année, un collègue a dû le prendre dans son service « le flingue sur la tempe » (oui, il faut ce qu’il faut, parfois). Il ne regrette pas, il s’est apparemment régalé. N’empêche que j’ai quand même dû faire appel à une vacataire extérieure. Les étudiants rechignent aussi quand ils voient ça sur leur emploi du temps. Mais comme ils sont obligés de venir, condition sine qua none pour valider, ils viennent, avec plus ou moins d’entrain. Si certains restent boudeurs, la majorité finit par apprécier cet enseignement un peu à la marge. Peu de pression car pas de note, on valide ou pas, pas de devoirs, ou très peu, et puis on essaye de faire des trucs marrants ou ludiques, loin du formalisme parfois aride de la physique. Bon, ça ne marche pas toujours, ça varie selon les années. Chaque séance est différente, mais il m’en reste quelques-unes qui sont peu interactives entre les étudiants, et ils n’aiment pas, en général. Il va falloir que je travaille à améliorer ça. En tout cas, c’est un cours sympathique… Un autre !

Enfin, mon cours préféré, peut-être, que je peaufine depuis bientôt 10 ans, une option de troisième année de licence, physique et société. Ce cours a fait énormément pour moi ces dernières années — de l’importance de la synergie entre enseignement et recherche. Les étudiants l’apprécient beaucoup, et moi aussi. Il génère des discussions passionnantes, c’est un cours où l’on discute. Petit à petit, j’ai viré toutes les fioritures, vidéos, etc. Il ne subsiste que l’âme, un poly conséquent, qui se transforme actuellement en livre, quelques études de textes que je choisis au gré de mes envies. Chaque année, c’est différent. L’heure et demie du mercredi matin passe à toute allure. Cette année, les étudiants m’ont dit que c’était leur cours le plus intéressant de la semaine. Il y a un fan-club !

Pourtant, le mercredi, il avait tout pour être rude. Physique et société à 8 h 30, donc réveil à 5 h 45, puis deux heures d’amphi d’électromagnétisme à 10 h 45. Un peu de répit et enfin TD à 15 h 45. Fin de la journée à 17 h 45 – 18 h. Le temps de me changer, d’enfiler mon cuissard, de monter sur ma bécane, et roule jusqu’à la banlieue lointaine. Arrivée vers 19 h 30 à la maison, 13 h plus tard. Et pourtant c’était ma journée préférée, même si j’arrive crevé le soir. Mon cours magistral s’en ressentait, je me trouvais meilleur le mercredi que le lundi. Et puis, le mercredi soir, c’est un peu ma fin de semaine, plus qu’un TD le jeudi en fin d’après-midi, plus qu’un aller-retour à Paris, et le vendredi c’est repos. Ou plutôt, c’est le vendredi que se retrouvent toutes les réunions que je n’ai pas pu caser avant dans la semaine. Il y a eu des semaines où je n’ai pas touché terre. Les rares fois où je passais au labo, les collègues me voyaient comme un coup de vent furtif. Il est là, il est plus là. Entre deux coups de pédales.

Le week-end je n’aspirais pas plus que ça à me défouler, comme c’est le cas habituellement. À part le samedi après-midi, car j’accompagne ma fille au centre équestre, qui se trouve dans un écrin de forêt. Comme il ne faut pas gâcher des moments et des endroits pareils, il fallait que j’aille courir. Au-delà de ça, les quelque deux cents bornes de vélo de la semaine me calmaient pas mal. Évidemment, ça en fait des heures de vélo. Je n’ai pas compté. Mais les podcasts ont défilé entre mes oreilles. Ce sont aussi des heures de lecture en moins ; par contre, le cheveu au vent, cela laisser du temps pour penser. Réfléchir. Le plus difficile est qu’il n’est pas possible de prendre des notes. L’esprit est libre, mais les mains sont ancrées sur le guidon. Certaines rêvasseries sont perdues, plus ou moins irrémédiablement, j’essayais de m’accrocher à d’autres, hargneusement, jusqu’au calepin libérateur, en arrivant. J’ai l’impression de terminer mon semestre moins fatigué avec mes allers-retours en vélo qu’avec le RER, avant. Le RER, ça use

J’ai passé un semestre éclair, je me suis régalé avec les étudiants. J’aime de moins en moins l’université, cette institution conservatrice, inertielle, bureaucratique, dogmatique, aussi, surtout incapable d’innover pour un monde plus humain, de se pencher vers un avenir souhaitable, esclave consentante des sirènes du monde néolibéral, qui broie méticuleusement son personnel quel qu’il soit, inhumaine, en somme ; mais j’aime de plus en plus les étudiants qui viennent y étudier. Ils sont frais. Ils sont bruts. Ils sont le monde, tel qu’il est. Ils sont sympathiques. Ils sont motivés. Ils sont le monde de demain. Et l’espoir renaît.


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