Tour du sud de la Forêt Noire à vélo
Le voyage à vélo est à la mode. On trouve même des livres avec des itinéraires à la FNAC. Je suis tombé sur l’un d’eux, tandis que nous cherchions une idée de balade à vélo pour cet été, si possible à l’étranger, mais pas trop loin pour que ce soit facilement accessible. L’année dernière, nous étions aller faire une boucle dans le quart sud-ouest des Pays-Bas, et nous avions adoré. L’idée était de partir rouler pour découvrir une nouvelle région.
Depuis quelques années, nous partons, souvent pendant l’un des longs weekends du printemps à la découverte d’un coin de France, pour le moment dans les zones relativement plates pour que notre fille puisse suivre. Nous avons fait quelques petites boucles en Bretagne, entre Normandie et Bretagne (autour du Mont Saint Michel), dans les Hauts de France et en Bourgogne du sud cette année. D’habitude j’ouvre la carte, et je trace un circuit en boucle passant par des coins que nous avons à priori envie de voir. Je m’aide d’un outil de tracé d’itinéraires vélos en ligne, Brouter qui est très efficace pour trouver le chemin cyclable le plus adapté en fonction de différents critères (le plus court, touristique, etc.). Évidemment, récupérer des itinéraires éprouvés et publiés permet de tomber plus facilement sur des infrastructures dédiées au vélo. Parce que nos premiers essais ont apporté quelques déconvenues : en Bretagne, on s’est parfois retrouvé sur des routes fréquentées sans piste cyclables. Aux Pays-Bas, ce fut simple : il y a des pistes cyclables partout, dont chaque segment est numéroté. Numéros que l’on trouve sur la carte (je naviguais avec des cartes papiers) et sur des panneaux indicateurs. Cette année, on nous avait parlé du circuit parcouru à l’Ascension en Bourgogne : Macôn, Cluny, Chalon-sur-Saône, Tournus, Macôn. Très chouette boucle en trois jours, avec des campings charmants, de belles villes à visiter (Cluny et Tournus, notamment ; à Tournus nous sommes tombés sur un incroyable « musée du vélo » avec des spécimens de toutes les époques et parfois improbables.), le tout exclusivement sur des pistes cyclables en site propre.
Pour cet été, nous avons finalement opté pour une boucle dans le sud-ouest de l’Allemagne présentée dans un livre[1]. Il s’agit du tour de la Forêt Noire sud en 5 jours. J’optimise le tracé avec Brouter, je déplace un peu les différentes étapes pour tenir compte de la difficulé (le livre propose de mettre les vélos dans un train pour zapper la partie avec un dénivelé important, ce que nous n’avons évidemment pas fait !) et des campings.
Les campings ! On s’est pas mal arraché les cheveux avec. D’abord dans cette région il y en a très peu. Ensuite ce sont des campings huppés avec plein d’étoiles, ce que l’on ne recherche pas forcément habituellement. Pour finir, ils sont chers, les tentes sont entassées les unes à proximité des autres, dans un petit coin, la majorité de l’espace étant réservé et dédié aux camping-cars et caravanes. Ils manquent du charme que nous avions trouvé dans de petits campings tout simples aux Pays-Bas. Il n’était pas possible de réserver. En revanche, contrairement à des campings français de ce standing, ils acceptent encore les tentes[2]. Nous décidons de voir le moment et d’être prêt à bivouaquer le cas échéant. Nous avons investi dans une tente trois places légère. Nous avions une tente relativement spacieuse dans nos quelques périples précédents, mais trop grosse pour être portée dans les sacoches, il fallait prendre la remorque. Mais celle-ci s’est révélée peu pratique. Nous avons essayé le tipi sans fond, qui fonctionne bien si aucune averse n’est en vue ; tout comme la belle étoile. Pour plus de sérénité (et de confort), la tente trois places légère (pas possible d’y entrer les bagages, qui restent dehors) s’enfile dans une sacoche.
Nous décidons de ne pas essayer de chercher à y aller en train par crainte de vraiment galérer avec les vélos. Je préfère encore éviter ce genre d’approche, considérant que les trains ne sont pas suffisamment équipés pour y mettre aisément beaucoup de vélos. Au printemps, nous avons rejoint Mâcon en train depuis Paris, ça s’est bien passé, mais il y a déjà du stress au départ pour trouver une place (rare), de surcroit pour trois vélos. Au retour, c’est pire, le train ne s’arrête que quelques minutes, il faut rapidement trouver un wagon avec un espace adéquat. Des changements multiplient mécaniquement les contraintes. Je pense que le train, en France en tout cas, n’est pas encore suffisamment adapté pour voyager sereinement avec des vélos. C’est pourquoi j’essaye d’éviter de faire des traversées en privilégiant les boucles. Nous allons ainsi au point de départ en voiture. Ceci étant, il faut quand même garer la voiture pendant plusieurs jours. En France, sur les places des gares de village, ça ne pose pas trop de problème. Aux Pays-Bas, nous étions partis de La Haye. Ne sachant pas comment on pouvait s’y garer, j’avais réservé au préalable une place de parking pour la semaine (et payé une certaine somme !). Au retour, la voiture nous attendait sagement, mais nous avons galéré pour sortir, l’automate ne voulait reconnaître le paiement, ou quelque chose comme ça. En plus, il n’y a aucun humain à proximité en cas de problème. On a quand même finit par avoir un humain à distance au téléphone... Qui nous a ouvert. Cette fois-ci, on a demandé conseil à une amie allemande du coin. On a trouvé une rue pour se garer (il y avait d’ailleurs des camping-cars !).
Nous partons de Fribourg-en-Brisgau (Frieburg im Briesgau) lundi en fin de matinée. J’aurais aimé partir plus tôt, pour éviter la chaleur au maximum et espérer avoir un place au camping. La première étape se paye la quasi-totalité du dénivelé de la balade, elle se termine à Titisee, au bord d’un grand lac de montagne. Nous traversons la ville sur une piste cyclable qui longe la rivière Dreisam. De l’eau coule coule au milieu de la verdure, comme si ce cours d’eau était en pleine nature. Des gens font des bains de pied que l’on devine rafraichissants. On se retrouve dans la campagne presque sans nous en rendre compte. Des cigognes batifolent dans les prairies de part et d’autre de la piste. Un peu plus loin quelques lamas dans un enclos (les chèvres ont une tête bizarre par ici ?!?).
Je n’avais pas de carte papier du parcours, contrairement à l’année dernière où je naviguais avec la carte (papier) sur la sacoche du guidon. J’aime bien cette option, parce que c’est beaucoup plus fiable que l’électronique. Le papier, ça ne tombe pas en panne ! Mais je n’avais pas pris le temps d’acheter la carte suffisamment à l’avance. J’ai donc essayé de blinder la navigation au téléphone. J’ai téléchargé les éléments nécessaire d’OpenCycleMap (et OpenTopoMap) à l’avance pour utiliser mon téléphone en mode avion. Il faut savoir qu’il a un âge vénérable de 8 ans. Les applications cessent de fonctionner sur un aussi vieux système Androïd les unes après les autres (obsolescence programmée !). La seule application de cartographie que je peux utiliser est « AlpineQuest ». Qui fonctionne très bien. Je n’enregistre pas la carte, et je n’allume le téléphone que quand j’ai besoin de savoir où je dois aller. AlpineQuest a une fonction « suivi d’itinéraire » qui est très utile, mais qui consomme trop de batterie. Je fais au minimum, et finalement, ça marche. Il me faut un peu moins d’une charge par jour. J’ai un panneau solaire au cas où, et je charge le téléphone le soir au camping. Anne-Soisig a, de toutes façons, son téléphone aussi (qui est utilisé par Sarah qui parfois prend la tête du convoi). En passant par le centre de Kirchzarten, une librairie. Je trouve une carte Compass au 1/70000e de l’ensemble du parcours : « Südschwarzwald ». Ça sera parfait !
Nous trouvons un coin à l’ombre à proximité d’un petit cours d’eau pour piqueniquer avant de démarrer la montée. Petit raidillon. Sarah ne peut passer sur le grand plateau. Oups, je devais régler ça, j’ai oublié. Bon, il faut absolument tenter de résoudre ça : cette vitesse va être particulièrement utile dans les heures à venir. Un peu en colère contre moi-même, je m’y mets. Je ne suis pas hyper doué avec les règlages de dérailleurs, en général. Mais là, en deux microtours de tournevis, c’est reparti ! Comme quoi, plutôt que de procrastiner (ça fait juste des mois qu’elle me le dit !)...
Un court passage en bordure d’une « grosse » route avec des poids-lourds, puis nous bifurquons vers la forêt (et la montée) pour échapper au bruit et à la fureur. La petite route grimpe fort. Il fait très chaud. Sarah a du mal. À force d’injonctions (« C’est dans la tête ! Tu en es largement capable ! Il faut serrer les dents ! »), sa motivation et son sourire reviennent, même si le haut de la montée est encore loin. L’asphalte fait bientôt place à un revêtement de petits cailloux moins roulants. Nous prenons notre mal en patience, nous sommes seuls, la forêt est dense (Noire !) et belle. Nous grimpons tranquillement. Personne sur ce bout de l’itinéraire pourtant sur toutes les cartes en ligne — ou pas. Nous croiserons moins de cinq vélos (qui descendent) et deux voitures. La forêt est profonde, la pente est raide. La route que nous empruntons est taillée à flancs, saignée dans une forêt dense, sombre, droite. Des fougères décorent les bas-côtés. Des bosquets de fleurs, roses, assez imposantes — deux mètres de haut —, très jolies, que je n’avais jamais vu, parsèment les sous-bois et le bord de la route. Recherche faite, au retour, il s’agit de la Balsamine de l’Himalaya, une fleur ornementale qui s’est échappée des jardins pour devenir invasive. Elle est interdite en France.
À force de coups de pédales, même sur le plus petit développement — et de persévérence — nous arrivons au faite de la route. Qui devient asphaltée, donc plus lisse et roulante, en même temps qu’elle débouche dans un paysage de prairies, d’alpages, ouvert, vert, habité aussi, avec quelques jolies maisons. Ça descend, mais pas directement sur le lac Titisee : il reste du plat et quelques (courtes) montées. Le moral de Sarah joue un peu au yo-yo, avec des bas quand elle manque d’énergie ou qu’elle est fatiguée. Une pause goûter à côté d’un plan d’eau ; une colonie de canard intéressée par les miettes s’approche d’elle et l’entoure. Un peu plus loin, des arbres et arbustes sont coupés d’une étonnante manière, comme s’ils avaient été rongé. Les marques sur le bois laissent peu de doute, ça ressemble à l’œuvre de castors. Après quoi, une dernière descente nous amène à Titisee. L’après-midi est bien avancé, nous ne trainons pas pour aller voir si un des campings se trouvant à l’extrémité du lac aurait encore une petite place pour nous. Un peu de plat montant, puis de la descente. Camping. Bien bien plein. Mais il reste un bout de pelouse pour caler notre (petite) tente entre deux.
C’est hyper cher (plus de 50 € la nuit !), mais c’est ainsi. Nous aurions pu trouver un coin en sous-bois pour dormir — c’était le plan B — mais avoir accès à une douche avec la chaleur qu’il fait est appréciable. Le camping privatise toute une partie du rivage du lac Titisee, ce qui est scandaleux. Nous allons quand même nous baigner. Dîner sur l’herbe devant la tente à côté des vélos. Juste à côté de nous un jeune couple hollandais essaye désespérément de faire rentrer un matelas gonflable (et gonflé) deux places d’une épaisseur démesurée (au moins 50 cm) dans leur petite tente deux ou trois places. Le ballet est assez rigolo. Finalement, ils l’ont rentré dégonflé avant de le gonfler in situ. Je ne suis pas allé voir le volume résiduel... La majorité de la surface du camping est jonchée de camping-cars et de caravanes. Ville miniature, chacun chez soi. Heureusement un petit espace pour les tentes résiste encore, avec ouverture sur le monde sensible.
Le lendemain, réveil de bonne heure. Pas mal de kilomètres sont prévus au programme, mais nous devons perdre du dénivelé aussi. Donc descendre. Le soleil se lève sur le lac pendant que nous prenons notre petit-déjeuner un peu à l’écart pour ne pas déranger les autres campeurs. Nous descendons sur la rive pour profiter du spectacle. La surface du lac est toute fumante, le lac exhale sa nuit. L’astre illumine les volutes de couleurs ocre et se mire sur l’immobile étendue liquide.
La tente est trempée par la rosée. Nous la secouons discrètement mais vigoureusement pour éviter de transporter trop d’eau ! Départ un peu avant 8 h. Tout est calme. L’itinéraire emprunte des pistes cyclables souvent non goudronnée, mais relativement roulantes. On suit une vallée, celle de la Gutach (qui devient ensuite la Wutach), mais sans descendre outre mesure. Nous restons plus ou moins à la même altitude. Nous sommes dans la verdure, même si la « civilisation » et ses voies de cheminement — route, voie ferrée — n’est pas loin. La descente se fait languir, les kilomètres s’enchainent sur un plat relatif. Un magnifique détour par Lenzkirch pour contourner un vallon profond, enraciné dans la forêt. Les arbres de cette forêt Noire, surtout des épicéas, sont d’une incroyable droiture, le tronc droit, lisse, gris métallique, ils s’élancent vers le ciel sur des dizaines de mètres. Dès que le regard s’immisce entre les troncs, la lumière baisse invariablement, les ténèbres ne sont pas loin, et la forêt, noire, le regard se perd. Le vallon étroit et profond que nous contournons par le bord et celui de la Haslach. Sur la rive gauche, forêt épaisse, piste caillouteuse, horizontale.
Miiiaaou, miiaaouuu... Miaou ?
Un chat, au milieu des bois. Pas farouche du tout, il vient se frotter à nous, comme pour dire « Emmenez-moi ! ». Sarah est aux anges. Quelques caresses plus tard, nous repartons. Impossible de le caser dans une sacoche. Déjà, en Bretagne, il y a deux ans, deux chatons, manifestement abandonnés dans la forêt, s’étaient retrouvés sur notre chemin.
Nous poursuivons et revenons rive droite en passant par Lenzkirch. La piste cyclable devient bitumée et lisse. Nous sommes partis depuis un moment du camping, les heures passent, mais les kilométres pas tant que ça. Nous avons roulé sur du plat, un peu de descente, mais de la descente gravillonnée, donc avec les mains sur les freins. Petite pause pour s’apprêter sous le soleil : crème solaire badigeonnée sur chaque bout de peau qui dépasse, casquette sous le casque et lunettes. Ce faisant, deux vélos lourdement chargés nous dépassent.
Nous les rejoignons un peu plus loin, et finalement faisons un bout de route ensemble, conversant. Un couple français de presque retraités, qui pédale depuis plus de 15 jours, arrivant de Charleville-Mézières. Ils vont vers Bâle, comme nous, mais en passant par les chutes du Rhin. Nos chemins se séparent à Bonndorf. Nous traversons la ville sans nous arrêter si ce n’est acheter du pain pour ce midi. Nous sommes sortis de la forêt un peu avant. Le paysage a changé radicalement pour un plateau cultivé. La descente arrive. Elle se déroule sur une route assez large, peu passante, avec quelques voitures ou camions. Il faut rester prudent et ne pas lâcher complétement les freins. Attentifs. Petite pause à Lausheim pour faire le plein d’eau et nous rafraîchir à la fontaine. Un peu plus loin, on rejoint la vallée de la Wutach que l’on va suivre jusqu’au Rhin. À Stühlingen, sous une chaleur écrasante, nous nous arrêtons pour piqueniquer. Nous n’avons pas trouvé d’épicerie ou d’équivalent, ce sera pain sec. Village sans âme particulière, comme les autres que nous croisons. Une image rémanente : il me semble avoir vu sur la route, à côté de mes roues, pendant la descente, une chenille jaune d’une grosseur incroyable, une bonne dizaine de centimètres. Je ne me suis pas arrêté, j’aurais dû, pour vérifier, pour être sûr, la prendre en photo, aussi. Si ça se trouve c’était autre chose. Mais ça a tourné en boucle dans mon esprit un bon moment.
La vallée de la Wutach est interminable, sa descente, désormais quasiment plate devient éprouvante sous ce soleil de plomb. Cette vallée, cette rivière, nous apparaissent quelconques. On s’attendait à une merveille de la nature... C’est beau, mais sans plus. La piste suit la rivière, relativement loin de la route, c’est déjà ça. On s’arrête un moment pour se tremper les pieds dans l’eau froide ; l’endroit est un peu glauque. Et on repart... À quelques encablures de l’arrivée (tant attendue), petite bifurcation vers un centre-ville pour acheter un cadenas (Soiz a oublié sa clé). On passe devant un supermarché, donc opération ravitaillement. Je reste sur le parking (sinistre, comme un parking), garder les vélos chargés. Soiz et Sarah reviennent avec des magnums que nous dégustons avec un plaisir sans borne à l’ombre d’arbustes le long du parking, entre deux crottes de chien, trois papiers gras par terre et deux voitures. Sordide, donc. Mais la glace, délicieuse. Il faut parfois se satisfaire de pas grand-chose...
La suite devient très citadine jusqu’au camping de Waldshut. Arrivée tardive, encore, une très longue journée de vélo avec plus de 80 km. Sarah a assuré, elle avait un super moral ce jour-là. Le camping est juste au bord du Rhin que nous découvrons alors. Le temps d’aller planter la tente, à l’ombre, sur un (petit) carré de pelouse dédié aux tentes, toutes les unes sur les autres, ça semble être la règle, on s’y fait. Le tarif est néanmmoins deux fois moindre que le précédent. Nous allons voir le fleuve. Il est magestueux, énorme, et il y a un sacré courant, on sent la puissance rien qu’en le regardant. Et là, Ô surprise, nous voyons des gens qui arrivent, sur l’eau, portés par les flots. Ils partent d’un peu plus en amont. Certains ont un sac étanche en guise de flotteur avec leurs chaussures dedans. Ça nous donne des idées. Nous allons chercher nos maillots et nos sandales. On laisse une paire à l’arrivée, et on remonte de quelques centaines de mètres, jusqu’à une petite plage ombragée. C’est vaseux, mais on ne met à l’eau quand même. Le fond et gluant — vaseux — et plein d’algues invisibles dans l’eau turbide nous chatouillent le corps ; Sarah panique, on s’éloigne du rivage, on la calme, elle se calme. Et c’est parti pour la balade ! On se laisse porter, on joue à nager contre le courant : il faut se donner un peu pour remonter... Et on rejoint le bord un peu plus bas. Je ne sais pas quelle est la qualité de l’eau — il y a parfois des choses qu’il vaut mieux ignorer — mais ça rafraîchit indéniablement.
Le soir on arrive même à dîner sur une table à côté de la tente, le grand luxe. On fait connaissance avec un coupe de voisins retraités, voyageurs à vélo, bourlingueurs en général.
Mercredi, on décale encore le réveil. 5 h 30. Petit-déjeuner dans la salle hors-sac du camping pour ne pas déranger. Le jour se lève doucement. Deux planètes décorent le levant : Vénus et Jupiter, l’une sur l’autre. Nous décollons vers 7 h. L’itinéraire suit le Rhin, rive droite. Le temps de contourner un méandre, et le panache qui pollue le ciel se découvre : la centrale nucléaire suisse de Leibstadt, sur l’autre rive. Un peu plus loin nous prenons le temps d’arpenter les rues d’une charmante bourgade, Laufenburg, qui déborde côté Suisse. Des façades pittoresques, colorées, qui tombent dans le fleuve. Des vélos décorés ou déguisés disséminés un peu partout dans la ville germano-suisse. Une sorte de jeu de piste. Une tour en ruine sur la colline faitière pour le point de vue. Nous reprenons la route.
Le Rhin alterne entre des portions pseudo-sauvages et des portions avec barrages, béton et cie. Un peu avant Riedmatt nous traversons l’un d’eux, avec son échelle à poisson, dérisoir ersatz. Côté Suisse, au-delà des champs, deux dômes. Ce n’est que plus tard que j’ai su qu’il s’agissait de la saline de Riburg, le stock de sel pour les routes hivernales du pays. De quoi maintenir la continuïté du trafic. À Rheinfelden, une ville charmante, nous trouvons un supermarché. Ravitaillement. Je garde les vélos. Mais pas de glace, cette fois. Pourtant, il fait déjà très chaud, toujours. Plus qu’une poignée de kilomètres et nous arrivons au camping de Kaiserausgt. Il est environ 13 h. Il est temps. Une place à l’ombre juste au bord du fleuve nous tend les bras ; une piscine ; une petite plage sur le Rhin. Nous alternons baignade dans le fleuve, dans la piscine et lecture à l’ombre. Le soleil décrit sa course dans le ciel, et finalement nous sommes content de le voir plonger derrière les arbres, sur l’autre rive, sous l’horizon. D’autant qu’il le fait tout en couleurs.
Réveil à 5 h. Nous allons déjeuner sur une table du restaurant à l’entrée du camping, dans la lueur des frontales. Tout est prêt vers 6 h 30. Direction Basel — Bâle. Les pistes cyclables suisses sont déjà très fréquentées par la suisse laborieuse. Le soleil se lève sur une autoroute bien chargée que nous survolons. Tout le monde n’est pas en vacances. Nous arrivons à Bâle par le sud-est. Nous remontons vers le nord le long du Birs, une rivière qui traverse une partie bien quelconque de cette grosse ville. Puis nous retrouvons le Rhin. Que nous traversons. Que nous longeons. Le musée Tinguely est encore fermé. C’est un des regrets que j’aurais : nous ne pouvons pas attendre son ouverture pour le visiter, il faut absolument que nous roulions ce matin. Nous prenons seulement un peu de temps pour faire un tour dans le centre historique de la ville, vers la cathédrale. Les rues sont relativement vides, seulement fréquentées par des camionnettes de livreurs et par le balai des machines qui nettoient la chaussée : Bâle se fait belle pour les touristes. Mais il est encore trop tôt, nous n’avons que le côté obscur. Petit tour du côté de la cathédrale, magnifique de roches rouges. Un cloître luxuriant et ciselé : le vert végétal contraste avec le rouge pierre. Une esplanade avec vue sur le Rhin. Petit détour par la fontaine Tinguely. Des œuvres encore au repos : l’eau n’est pas encore en mouvement. Nous devons malheureusement abréger la visite de cette ville pour repartir sur nos selles.
L’itinéraire suit la rive droite. Après le centre historique, pittoresque, c’est la zone industrielle, glauque. Weil am Rhein, frontière. Nous repassons en Allemagne. Le Rhin se sépare en deux branches, le grand canal d’Alsace s’enfile à gauche, le Vieux Rhin à droite. C’est lui que nous longeons. La piste s’améliore, juste sous une digue qui nous protège de l’autoroute à droite. À gauche, cette rivière qui paraît si sauvage. Son homologue canalisé est cachée à notre vue. Cachez ce Rhin anthropisé que je ne saurais voir. Sarah déborde d’énergie, c’est elle qui donne le rythme. Il est soutenu. Nous arrivons ainsi à 11 h au camping de Neuenburg am Rhein — Neuchâtel-sur-le-Rhin — après avoir quitté la véloroute du Rhin pour nous aventurer « dans les terres ». Nous devons payer un supplément pour avoir le privilège de nous installer dès maintenant. Pas de lac ou de Rhin pour se baigner, mais une piscine — maigre lot de consolation —, ou nous irons nous tremper à intervalles réguliers. Nous trouvons un coin à l’ombre pour poser notre tente. Le camping semble moins densément peuplé que les précédents. Cela restera le cas.
Dans l’après-midi nous allons faire un tour à la ville toute proche. Glaces — boules minuscules — et ravitaillement. Ville quelconque. Déception. On trouve une tour dont la cime, avec table d’orientation donne une vue dégagée sur les alentours. Forêt Noire à l’est. Vosges à l’ouest. Des cheminées sont hérissées vers le ciel au loin, au delà des échangeurs autoroutiers — Alsachimie à Chalampé. Le panorama n’est pas des plus affriolant. Nous rentrons au camping.
En soirée, un groupe de personnes en tentes sur un emplacement à proximité se comporte comme s’ils étaient seuls. Ça discute fort et tard. Difficile de dormir — tout le temps de ruminer quelque « vengeance » au petit matin, quand eux, ils dormiront — les joies du camping. À 23 h on enfile des bouchons d’oreille. Ça fonctionne. Réveil à 5 h 30. L’envie d’aller secouer nos « sympathiques » voisins nous effleure, puis s’estompe. Au moment de partir pour aller déjeuner un peu plus loin sur des tables, on se rend compte que le vélo de Sarah est à plat. Il faut réparer. Petit-déjeuner à côté. Et nous quittons enfin ce camping infernal. Nous pédalons dans la plate campagne du fossé rhénan au milieu des champs, en bordure (séparée) de route. La veille nous avions croisé des champs de pastèques, mûres — il était alors tentant, sous le cagnard, de se pencher pour en ramasser une. Mais non. Dans l’un de ces champs, au fond, la récolte battait son plein : une dizaine de personnes se faisaient des passes de pastèques à côté d’un camion. Pastèque-ball ? Là, ce sont notamment des champs de maïs, de tabac, de pastèques, encore, puis des vignes dans les collines juste avant d’arriver à Fribourg.
Nous rejoignons directement la voiture garée dans un quartier résidentiel. Nous y déposons tente, duvets et autres affaires avant de repartir, léger, visiter la ville. Direction la cathédrale. La matinée est bien avancée, il fait déjà très chaud. L’extérieur du monument est très beau, élancé de pierres rouges magnifiquement ciselées. Des gargouilles rigolotes pendouilles des hauteurs — l’une, goguenarde, montre ses fesses. Je tourne autour, je prends des photos, j’engrange des images le temps qu’Anne-Soisig et Sarah fassent le tour des boutiques de souvenirs. Chacun les siens. Nous allons nous balader dans les ruelles touristiques : elles sont parcourues de petites rigoles où circule une eau claire et fraiche. Des nombreuses personnes s’y trempent les pieds, et certains bars servent même les pieds dans l’eau ! Nous cherchons ensuite un coin de verdure à l’ombre pour casser la croûte. Un parc à proximité fera très bien l’affaire. Pause méridienne sous le feuillage, sur une pelouse. De quoi faire la sieste dans l’herbe, même. Revigorant. Après quoi, nous choisissons de rejoindre un plan d’eau baignable, Flückigersee, à l’ouest de la ville. Dernier bain salutaire avant de rejoindre la voiture pour rentrer. Fournaise de la route en perspective.
Fribourg est une belle et agréable ville dans un écrin de verdure au pied des montagnes de la Forêt Noire. Elle se parcourt à vélo avec aisance et facilité : le réseau de pistes cyclables fait rêver ! Lors de cette journée caniculaire, on pouvait s’y rafraîchir à loisir.
De retour à Palaiseau, je me disais que ça serait incroyable d’avoir des endroits pour se baigner quand il fait chaud. Ce n’est pas l’eau qui manque : l’Yvette, les lacs de Lozère, du Mail, l’étang de Saulx-les-Chartreux... Personne ne se baigne jamais dans ces eaux-là — je ne l’ai jamais vu faire — on ne fait qu’y pêcher. Il ne me viendrait pas à l’idée de tremper un orteil dans l’Yvette. L’eau ne semble pas propre, même si la rivière est riche de biodiversité. Et pourtant... Ne serait-ce pas une bonne idée que de faire en sorte de rendre ces eaux baignables ? Les canicules à venir seraient moins difficiles à supporter.
Les photos sont ici !
Et oui, un « Lonely Planet » trouvé à la FNAC. On trouve de plus en plus de livres sur le voyage à vélo avec des itinéraires. Comme le dit le géographe Rémy Knafou dans cet épisode du podcast Vent Debout, dès qu’il y a un marché, l’industrie du tourisme s’y engouffre. Dans ce cas-là, c’est plutôt tant mieux. Mieux en tout cas que le tourisme en avion à l’autre bout du monde. Et si cela peut permettre d’améliorer les infrastructures cyclables, pour y amener plus de monde (au détriment des moyens de locomotion motorisés), encore une fois, tant mieux.
À Cancale notamment, le premier camping indiqué comme tel sur la carte IGN avait des étoiles mais refusait les tentes : seulement mobilhomes, caravanes, camping-cars. Le monde à l’envers, en somme. Selon le TLFi, le camping, c’est une « activité à caractère sportif ou touristique qui consiste à vivre en plein air, sous la tente ou dans une caravane, avec un matériel approprié ». On dérive donc vers des campings sans campeurs. Dans nombre de campings fréquentés ces dernières années, à quelques exceptions près, c’est le royaume des camping-cars et des caravanes. Les gens y transportent leur maison (réduite, certes), pour garder leurs frontières matérielles, leur chez-eux. Avec télé, internet (je suppose), et même climatiseurs ! Quand on y pense, un camping-car, c’est un gros objet, qui doit nécessiter beaucoup de matière pour être construit et qui dort, vide, dans un garage la plupart du temps (occupant ainsi une surface non négligeable, d’autant qu’elle est parfois préamptée sur l’espace public), si ce n’est quelques semaines par an. Une aberration ? Le phénomène s’intensifie, en tout cas : il y en a de plus en plus sur les routes et dans les campings et même un peu partout dans les lieux de villégiature, dès qu’il y a un parking. Ça pullule.