Astronaute ?
Un rêve de gosse... À cette époque les Jean-Loup Chrétien et Patrick Baudry me faisaient pétiller les neurones. Je me souviens même avoir vu Patrick Baudry en chair et en os au festival du film d’aventure de Superdévoluy. Et puis j’avais voulu lire son livre, « Aujourd’hui le soleil se lève seize fois », mais je n’ai jamais réussi à mettre la main dessus. Pourtant la libraire d’Embrun à qui j’avais confié la commande y avait mis plein de bonne volonté — c’était bien avant l’époque de l’internet. J’avais même envoyé une lettre à Patrick Baudry pour lui demander comment me procurer son ouvrage. Lettre restée sans réponse. Le grand homme avait d’autres chats à fouetter, sûrement ! Plus tard, il a créé les « Space Camp », j’aurais rêvé y aller, mais ce ne fut pas pour moi. Trop cher, les vacances là-bas, probablement. Et puis le rêve singulier a fait place à d’autres rêves, il s’est estompé pour laisser la place à d’autres aventures, peut-être plus tangibles, celles-ci.
Il y a encore un peu plus d’un an, j’étais allé fureter sur le site web de l’Agence Spatiale Européenne (ESA) pour voir si, par hasard... Mais non, pas de campagne de sélection en vue, disait laconiquement la page web. Je m’en suis retourné à mes étoiles qui explosent et à mes étudiants.
Et puis, et puis, c’était au mois d’avril de cette année, je regardais par hasard le journal télévisé, distraitement, et l’annonce est faite : l’ESA allait incessamment sous peu lancer une campagne de recrutement d’astronautes ! Un rapide coup d’œil sur le site de la-dite Agence Spatiale Européenne et je sais que je peux candidater : le profil recherché est celui d’un scientifique en bonne forme physique. Évidemment ils cherchent des personnes qui « sortent du lot », aux aptitudes exceptionnelles, ce qui n’est pas exactement ce qui me caractérise le mieux, mais il s’agit là de l’unique chance d’une vie, il ne faut pas la rater : le prochain coup, dans cinq ans paraît-il, je serai trop vieux.
Une fois le site web pour entrer sa candidature officiellement ouvert, le premier truc à faire était de rentrer la copie d’un certificat médical tel que celui délivré aux pilotes privés en vue d’obtenir leur licence. Le nom de code de la chose est : « JAR-FCL 3 Class 2. » Avec un nom pareil, cela promettait un examen poussé. Après avoir mis la main sur la liste des toubibs habilités, puis, parmi eux, sur celui qui connaissait ce nom de code, j’ai fini par obtenir un rendez-vous. Singulier, le rendez-vous.
Je suis arrivé en retard, la faute à la rue Jeanne d’Arc qui ne déroule pas ses numéros dans le « bon » sens. Entrée de l’immeuble. Pas de plaque. Un cabinet médical. Je vais voir. Rien. Je retourne à l’entrée, je sonne en face du nom du médecin. On m’ouvre la porte, mais je ne sais pas à quel étage ça se situe. J’appelle par téléphone — vive le portable ! On me répond. Ça y est, j’y suis. La dame me reçoit dans son salon. Singulier, vous disais-je. Elle a pourtant l’air de savoir ce qu’elle fait. Je n’aurais pas droit à l’électro-cardiogramme que je m’imaginais, test d’effort et autres réjouissances que mon imagination avait décodé derrière « JAR-FCL 3 Class 2. » Non, seulement une prise de la tension, du pouls, une vérification de ma vue et de mon audition, ainsi qu’une liste de questions... Ça a duré une petite heure, la dame me délivre mon certificat contre cinquante euros. Et voilà, première étape franchie !
Une journée après avoir téléchargé une copie de ce certificat, je reçois mes identifiants pour me connecter sur la page à remplir en vue de la sélection. Il s’agit essentiellement d’un CV médical, sportif et professionnel détaillé. Sans oublier quelques cases pour raconter en quelques mots sa motivation. J’ai terminé de remplir le questionnaire avant la date limite du 16 juin. Alea iacta est.
Lundi 7 Juillet au soir. Alors dans les préparatifs frénétiques de notre voyage en Irlande, avec des problèmes de porte-bagage sur mon vélo, je reçois un courriel intitulé « Congratulations ! » Recevant des hordes de spam, j’ai failli le jeter avec le reste. Et puis j’ai regardé. J’avais passé la première étape avec succès et étais convoqué pour une série de tests psychologiques à Hambourg, et ce le surlendemain de mon retour de vacances. Ça, ça pourrait le faire. Le ton du message ne prêtait de toute façon pas à quelque dérobade. Auparavant, une pile de formulaires à imprimer à remplir et à expédier, et ce avant que je ne sois rentré de vacances. Annuler le périple à bicyclette pour ça ? Bof, bof... Je retournais le problème dans tous les sens. J’ai donc envoyé un courriel pour demander si l’envoi des documents après la date limite était rédhibitoire.
On part. Au cours de notre premier jour de vélo je m’arrête dans une bourgade pour dégoter un cybercafé. Je regarde mes courriels. Ô miracle ! J’ai une réponse de l’ESA : les papiers peuvent attendre... Ils me donnent l’adresse électronique de leur agence de voyages. Je m’empresse de leur commander un billet Paris-Hambourg... L’espoir revient... Pendant plusieurs jours, pas de réponse. Mes passages dans les cybercafés ne relèvent que d’interminables spams. Finalement, je reçois mon billet d’avion... La chose devient palpable !
De retour à Paris, je remplis les dossiers, et puis, mardi après-midi, direction l’aéroport. Au moment d’embarquer, le nez plongé dans mon bouquin, j’ai la surprise de tomber sur un collègue de mon labo ! Moi qui pensait être le seul à avoir fait ce genre de truc.
De l’aéroport, une navette nous conduit à notre hôtel. Un hôtel à cent euros la nuit. Entre nos billets d’avion, payés par l’ESA et l’hôtel, sachant que nous sommes entre 700 et 1000 à avoir été sélectionné pour cette deuxième phase (sur 8413 CV reçus par l’ESA), cela doit coûter, au bas mot, entre 500 000 et 1 million d’euros, cette petite affaire ! Sans tenir compte des tonnes de gaz carboniques rejetées dans l’atmosphère dans le seul espoir de peut-être avoir la chance d’en sortir de cette atmosphère...
Mon nom est sur la liste de la réception. Ouf. Dans l’entrée, tout le monde se regarde en chien de faïence : participant à la sélection ou simple client de l’hôtel ? Nous nous retrouvons pour dîner, mon collègue, un allemand, un anglais et moi. Tous les quatre sommes docteurs en physique, faisant qui de la physique des particules, qui de l’astrophysique. Au cours de la journée du lendemain nous aurons l’occasion de discuter avec pas mal d’autres candidats, pour nous apercevoir que la plupart d’entre nous sommes docteurs en science, physique pour la plupart, biologie pour d’autre. Quelques pilotes, militaires ou civils, dans le lot.
Mercredi 23 juillet. Nous sommes une cinquantaine à investir le hall de l’hôtel dans l’attente d’un bus qui doit nous amener au DLR, le Centre Aérospatial Allemand, et plus précisément au département de psychologie de l’espace de l’Institut de Médecine spatiale. Le bus se fait attendre. Attendre. Finalement c’est une colonne de taxis qui nous amènera là où nous allons subir une journée de tests.
Le protocole strict et sans bavure de la journée nous fait rapidement oublier le dérapage du matin. Une salle, cinquante moniteurs tactiles équipés d’écouteurs et d’un joystick. Des tests d’anglais, de concentration, de mémoire, de perception spatiale, de coordination, de calcul, de physique de base, vont animer cette journée et nous mettre le cerveau sens dessus dessous. C’est dur. Très dur. Évidemment, ces tests ont été fabriqués pour avoir la plus grande dynamique possible, il est donc impossible de les réussir. Mais même le niveau minimal requis pour en faire ne serait-ce qu’une petite fraction me semble parfois au-delà de mes compétences. Je me trouve bien stupide, subitement.
Imaginez une voix qui vous dicte — en anglais — une série de chiffres entre zéro et neuf, puis qui s’arrête abruptement : vous devez retranscrire le plus possible de chiffres en partant de la fin... Imaginez un cube avec une croix sur l’une de ses faces. Une voix vous dicte une série de rotations — en anglais — à une vitesse plus que respectable pour le petit nombre de neurones qui hante ce qui me sert de cervelle, à la fin de quoi vous devez dire sur quelle face se trouve la croix... Des nombres à deux chiffres défilent associés à des formes géométriques colorées ou des lettres ; plus tard, on vous ressort les deux chiffres, dans le désordre, cela va de soi, vous devez leur associer le symbole correspondant... Deux questionnaires — en anglais — sur notre personnalité feront œuvre de récréation au cours de la journée. Encore que... le vocabulaire employé n’est pas toujours d’une grande simplicité à comprendre. Parfois j’ai dû répondre au hasard !
Une journée éprouvante : ça faisait longtemps que je ne m’étais pas concentré de cette manière.
Le 25 juillet 2008. Après coup, je suis tombé sur un forum francophone sur la conquête spatiale, où un « fil » immense disserte en long, en large et en travers de la première étape de la sélection, c’est-à-dire le CV via internet. Pas mal sont amers de ne pas avoir franchi cette étape, et les spéculations vont bon train pour tenter d’en comprendre le pourquoi du comment : quel est le CV « type » du parfait futur astronaute ? Je me sens un peu honteux d’avoir fait tout ça un peu en dilettante, juste « pour voir. »
Le 16 septembre 2008. Trop en dilettante : je ne serais pas astronaute. C’est désormais officiel. Je m’en doutais un peu (beaucoup) après ma piètre performance à Hambourg et d’autant plus quand les premiers amis rencontrés là-bas ont reçu leur convocation pour la suite des tests, à Cologne, le 1er septembre. Pour se consoler on va se dire que c’est pas plus mal, cette nouvelle batterie de tests aurait foutu le boxon dans mes enseignements de cet automne. On se console comme on peut ! Ceci dit, je suis plutôt content d’avoir pu effectuer ces tests psychologiques à Hambourg. J’ai ainsi appris pas mal de choses sur moi, certes pas bien brillantes, ces choses : j’ai peu de mémoire, je suis lent, peu efficace et mal coordonné. Rien que ça ! Quel bonheur que de le savoir ! D’un autre côté, j’aurais quand même bien aimé « survivre » jusqu’aux tests physiques, ne serait-ce que pour « voir » comment on triture les futurs astronautes dans les centrifugeuses et autre engin de torture. Je me dis que j’aurais peut-être eu plus de chance de ce côté-là. Plus de muscles que de matière grise, faut assumer. Bref, rien de particulièrement inattendu, en fin de compte. Cerveau lent.
Guillaume Blanc
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