L’audition
J’ai passé un jour et deux nuits à Paris. Arrivé dimanche soir, reparti mardi matin. Tout ça pour une audition. Cent soixante-dix euros de train, et tout ce tintouin pour vingt-cinq petites minutes d’audition. Pour essayer de dégoter un poste de chercheur dans cette noble institution qu’est le CNRS. Afin d’éviter tout suspens inutile, je peux déjà vous dire que ça n’a pas marché. Nous étions une cinquantaine à être auditionné. Pour trois postes. Ils ont classé six personnes. Je ne suis pas dans le lot. Mais je le savais. C’est dur, très dur, d’accéder à cette Mecque franco-française de la recherche. Je candidatais dans deux sections cette année : la commission inter-disciplinaire numéro 47, dite « Astroparticules » et la section 17, « Sciences de l’Univers ». Lundi, c’était la 47. Dans un mois, la 17. Reste une chance. Après je serais trop vieux...
Le problème c’est que je suis déjà un peu blasé. C’est la troisième année que je fais le clown, comme ça, dans ce grand cirque. Je ne voulais pas candidater, car ça prend un temps incroyable : il faut faire un dossier début janvier, puis préparer les auditions (deux dans mon cas), à savoir un speech de 15 à 20 minutes. Ensuite il faut aller sur place, à savoir à Paris. Ça coûte cher. Ça prend du temps. Bref, autant d’arguments qui font que j’y vais à reculons. À tord. Car par exemple cette fois, ça a foiré. Déjà parce que j’ai fait une piètre présentation. Je ne voulais pas candidater, mais on m’a dit qu’il valait mieux le faire quand même. Se faire connaître, comme ils disent. Mon œil.
Pourtant, j’avais prévu le coup : je suis arrivé la veille, afin d’être frais et dispo le jour J. D’ailleurs ça a plutôt bien marché, j’ai assez bien dormi la nuit précédente, malgré les rumeurs de la ville qui filtraient à travers les fenêtres de chez mon ami. Plutôt bien dormi, donc. Sauf que l’esprit n’y était pas. Pas moyen de me concentrer cinq minutes sur mes treize transparents. Pas moyen de répéter encore et encore mon laïus. Je ne l’ai fait qu’une seule et unique fois en entier. Trop peu. Beaucoup trop peu. Les transitions n’étaient, de fait, pas assez huilés.
J’avais la tête ailleurs. Je pensais à toutes ces librairies que mon passage dans la capitale allait me permettre de visiter. Et accessoirement de dévaliser. J’ai commencé dès le matin par les BD. Mon audition était à 15h45, au siège du CNRS, dans le 16e. C’est donc le sac à dos quelque peu alourdi de quelques bandes dessinées que je me pointe au LPNHE, le labo qui me sert de point de chute lors de mes séjours parisiens. Là, les collègues que je pensais trouver n’y étaient pas. Déception. Seuls quelques étudiants que je connais, et un copain post-doc italien. Pas moyen de me trouver un PC pour consulter mes courriels et surtout imprimer mes transparents. Ce sera lui qui me prêtera un coin de son portable sur un coin de son bureau. L’espace est une denrée rare dans ces bas-fonds de Jussieu... Personne... Je vais manger un sandwich tout seul... Personne pour aller au resto le soir même... Tant pis, après tout c’est de ma faute je n’avais qu’à prévenir de ma venue... Je ferais mieux la prochaine fois !
14h30. Après être passé dire bonjour à une prof avec qui j’ai enseigné deux ans auparavant, je m’en vais prendre le métro. Ligne 10 jusqu’au bout (de l’enfer ?). Presque. Michel-Ange Auteuil. L’imposant bâtiment est juste là. Je me sens parfaitement bien, complètement zen...
Pour pénétrer dans les entrailles du CNRS, il faut montrer patte blanche. Ce que je fais à la gentille dame qui trône à l’accueil. Puis je suis ses indications pour me rendre devant la salle ou siège le jury qui va juger si je peux être chercheur à vie, ou pas. Pour y parvenir je traverse un long couloir recouvert de moquette. Les murs arborent fièrement des posters sur les thèmes de recherche en vogue. Ça doit être fait pour les visiteurs, écoles et autres lycées, je suppose. J’arrive enfin. Des gens habillés à quatre épingles attendent sur des fauteuils molletonnés. Un panneau m’indique que la commission interdisciplinaire (CID) 45 auditionne aussi ici ce jour-là. La CID 45 c’est : « Cognition, langage, traitement de l’information, systèmes naturels et artificiels ». Ça fait pompeux. De fait je me demande bien ce que peuvent bien chercher ces gens-là. Encore que « Astroparticules », ça doit leur paraître tout aussi étrange... On est spécialiste ou on ne l’est pas !
J’ai environ une demi-heure à attendre. Je feuillette les revues posées négligemment sur une table basse : « La médaille d’or CNRS 2004 », « Les médailles d’argent CNRS 2004 »... Toute une panoplie de brillants chercheurs, souvent relativement âgés, 45 ans, 50 ans, au bas mot... Ça prend du temps, de faire ses preuves dans la recherche. Moi, je rêve seulement d’entrer dans cette institution. Je laisse médaille et autre distinction à d’autres. Chacun ses ambitions.
Je profite de cet instant de calme pour aller me laver les dents : ben oui, stupidement, j’ai oublié ma trousse de toilette. Pas de brosse à dents. Ça craint. Je dois commencer à puer de la gueule ! J’ai acheté un kit brosse à dent/dentifrice auparavant dans une pharmacie. Je m’en vais dans les toilettes essayer la chose. Sauf que j’ai horreur de me laver les dents devant tout le monde. Comment faire ? Ouf, y’a un chiotte pour handicapés, avec un petit lavabo à l’intérieur. Un peu honteux de monopoliser l’endroit qui ne m’est pas réservé, je peux malgré tout y faire mon petit business tranquillement. Je rejoins mon fauteuil. C’est l’heure de la pause chez les jury. Ceux de la 45 sont en costard. Ceux de la 47, en jean et baskets... Question de discipline !
Je connais pas mal de monde dans le jury de la 47... Et au moins trois d’entre eux me connaissent. Une grande famille. Bientôt ça va être à moi. Je ne suis pas trop tendu, pas trop de trac. Ou alors il est là, mais je ne le vois pas, le petit sournois... De fait...
Ça y est, c’est à moi. Je rentre dans l’arène. Cette année, ils ont innové : on peut faire notre présentation sur ordinateur, il suffisait d’apporter un CD ou une clef USB. J’ai un CD. Et j’ai un peu le trac, aussi : je le vois en essayant de cliquer sur la bonne icône. Ça le fait, ça marche. Le miracle microsoft. Je me lance. Ça part super. Normal, la première partie est bien rodée. C’est à mi-course que ça se gâte, la gorge s’irrite. Le trac a bien fait son œuvre, le saloupiot. D’habitude je bois pas mal avant d’entrer en scène pour éviter ça. Là, j’ai tout bonnement oublié. Voilà le résultat. C’est embêtant. D’autant que la deuxième partie de ma présentation est beaucoup moins rodée, j’aurais eu besoin de toute ma concentration pour la surmonter. Mais non, la gorge s’irrite, le cerveau cafouille, la voix hésite, et quand le temps imparti s’est écoulé, qu’il me reste deux transparents, je bâcle la chose... Lamentable...
Vient le temps des questions. Dix minutes. Des questions plutôt intelligentes et constructives, pour une fois. Soit mon exposé était miraculeusement clair, soit le jury est plus alerte que les années précédentes. Un peu des deux, probablement. J’ai le sentiment d’avoir assez bien répondu aux questions. Mais allez savoir quel est leur sentiment à eux... Et d’un coup, le couperet de l’horloge tombe, on me remercie, je ramasse mes cliques et mes claques, je salue la sympathique assistance et je m’en vais. Ouf, terminé. Je respire... enfin !
Devant la porte je retrouve un copain qui attend son tour. Nous papotons un peu, puis je le laisse se concentrer un peu avant d’y passer. Je m’en vais, le cœur léger. Je retourne dans le cinquième. Cette fois, je vais pouvoir toutes les sillonner, les librairies... Ce soir-là, c’est le pavé parisien que j’arpenterai, après avoir dégusté un sandwich grec devant Notre-Dame. Je resterais en contemplation du coucher de Soleil depuis le pont Neuf...
Le verdict est tombé hier soir sous la forme d’un vulgaire courriel. La liste des personnes classée. Je ne suis pas dedans. Je le savais, mais un miracle, ça peut aussi arriver. D’autant que le Pape est mort. Mais non.
Guillaume Blanc
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