Charlatans
Il est parmi les scientifiques des charlatans comme partout ailleurs. Sauf que c’est peut-être plus grave là qu’ailleurs. Car un scientifique n’est-il pas sensé posséder un peu de savoir avec un zeste de raison ?
Une petite définition s’impose. Voici celle du Petit Robert :
CHARLATAN. n. m. 1/ (Ancienn.) Vendeur ambulant qui débite des drogues, arrache des dents, sur les places et dans les foires. (Mod.) Guérisseur qui prétend posséder des secrets merveilleux. Mauvais médecin, imposteur. 2/ Celui qui exploite la crédulité publique, qui recherche la notoriété par des promesses, des grands discours.
C’est, bien entendu, à la deuxième partie de la définition que je vais faire référence ici.
En principe il revient à chacun d’entre nous de faire la part du vrai et du faux, du savant et du charlatan. En général, un médecin charlatan n’a que peu de clients (je l’espère en tout cas !), car il ne soigne pas là où ça fait mal. Dans nos sociétés, comme de tout temps, il y a des charlatans de tout poil, tels qu’astrologues et autres diseurs de bonnes aventures. Pour quiconque possède un minimum d’esprit critique, il est aisé de les déjouer. Encore que des instruments d’abrutissement des masses tels que la télévision tendent plutôt à libérer les-dites masses de tout esprit critique, mais c’est un problème d’une autre nature que celui dont je voudrais parler ici.
La communauté scientifique compte son lot de charlatans. J’entends par là des scientifiques ou pseudo-scientifiques qui, à défaut d’avoir reçu la reconnaissance de leurs pairs, se tournent vers le grand public pour tenter de se faire reconnaître. Je m’explique. Il est plus ou moins facile en physique et astrophysique d’imaginer de grandes et belles théories, qui expliquent ou résolvent de « grands » problèmes, ou des observations incomprises. Mais « imaginer » n’est pas suffisant. La théorie en question doit aussi tenir debout. Et ça, seuls les scientifiques compétents dans le domaine en question peuvent dire si oui ou non, la théorie « tient debout ». Disons qu’elle doit tenir compte de toutes les observations disponibles, qui sont des contraintes importantes, ainsi qu’être cohérente sur le plan des lois physiques et des équations mathématiques (pour ce qui est de la physique et de l’astrophysique, tout au moins).
Or il se trouve quelques théories de ce genre, qui, ne s’étant pas trouvées validées par la communauté, voient leurs auteurs se tourner vers le grand public à grand renfort d’ouvrages soi-disant de « vulgarisation ». Ces théoriciens sont souvent brillants, mais tout le monde n’est pas Einstein, et tout le monde n’est pas infaillible. Plutôt que de reconnaître leur erreur, ils écrivent des livres sur leurs théories. Des livres avec des titres ronflants et pompeux comme « Avant le Big Bang » de Igor et Grichka Bogdanov, « On a perdu la moitié de l’Univers » de Jean-Pierre Petit ou encore « La Relativité dans tous ses états » de Laurent Nottale. Bien entendu il y en a certainement d’autres. Pour ma part je connais surtout ces trois-là. Mais c’est suffisant pour illustrer mon propos.
En fait c’est la lecture d’un article paru dans Ciel et Espace à propos du livre des frères Bogdanov qui m’a donné l’idée d’écrire cet article. Bien entendu je n’ai pas lu ce livre (je ne voudrais pas en plus ajouter de l’eau à leur moulin !), ni celui de Nottale (mais je connais un peu sa théorie, j’ai lu des articles scientifiques dessus, j’en ai parlé avec des collègues plus à même de juger son travail scientifique que moi). En revanche, j’ai lu celui de Petit. Mais n’étant pas cosmologiste théoricien moi-même, je me retrouvais un peu dans la peau du grand public en lisant ce livre. Avec certes un peu de scepticisme en arrière-plan, malgré tout. On est scientifique ou on ne l’est pas. En revanche là encore j’ai discuté de sa théorie avec des gens plus compétant que moi en la matière, des physiciens qui ont lu ses articles scientifiques. Et le doute plane et subsiste quant à la validité de tout ça. Disons que les bases de la choses sont un peu creuses.
Trois livres, donc, présentant des théories différentes, mais relatives à la cosmologie (la science qui étudie l’Univers dans son ensemble). Ceci étant les trois auteurs de ces livres/théories ne sont pas tous à mettre dans le même sac. Loin s’en faut. Nottale est un chercheur que je respecte profondément. Ce n’est pas vraiment le charlatan que je dénonce ici. Certes sa théorie, pourtant séduisante, présente des failles, mais ce n’est pas pour autant qu’il n’est pas un brillant physicien. Je trouve seulement dommage qu’il ait publié un livre pour le grand public au sujet de cette théorie, qui selon la communauté « ne marche pas » (ceci étant, je répète que je n’ai pas lu ce bouquin). J’ai lu un autre ouvrage de lui « L’univers et la lumière », où il parle des mirages gravitationnels : celui-là je le recommande chaudement !
Je suis plus mitigé au sujet de Jean-Pierre Petit. Je visite régulièrement son site oueb, je lui trouve des qualités pédagogiques indéniables, par contre je n’aime pas du tout, mais alors pas du tout sa façon de tout mélanger : la science, les extra-terrestres, ses théories de complot planétaire, les critiques qu’il fait d’autres chercheurs, etc. J’ai assisté a une de ses conférences publiques il y a quelques années, où il exposait sa théorie cosmologiste. Forcément il avance des arguments qui semblent convainquant, quand on les entend comme ça, sans maîtriser le sujet. Mais pour moi, c’est juste un « beau parleur », qui ne fait que de « beaux discours ». Ça, il maîtrise la rhétorique, autant dans ses dires que dans ses écrits. La plupart des scientifiques de la communauté ne le cautionnent pas, donc il les traite publiquement d’abrutis (sur son site oueb, en tout cas). Or une partie du public aime ce personnage ronflants avec ses beaux discours, ce qui ne va pas redorer le blason de la science. La vrai.
Finalement, les frères Bogdanov. Contrairement aux deux autres, ces deux-là n’ont jamais prouvé leur valeur scientifique (voir par exemple cet article). Certes ils sont docteurs. Mais à en croire l’article de Ciel et Espace, ce ne fût pas sans mal, et puis bon, en choisissant soigneusement les membres de son jury de thèse, on peut bien devenir docteur un peu comme on veut (ce qui est assez regrettable soit-dit en passant et ne valorise pas particulièrement le doctorat français... Mais quand la vénérable université donne le titre de docteur à des astrologues, on comprend que tout peu arriver !). Il y a docteur et docteur. N’ayant pas lu leur livre, et n’ayant pas l’intention de le lire, je me réfère entièrement à cet article de Ciel et Espace, ainsi que sur des bruits de couloirs que confirme la lecture de l’article. Eux sont visiblement des charlatans au vrai sens du terme. Ils font en effet croire qu’ils sont de grands scientifiques ce qui est complètement faux (la sanction des « vrais » scientifiques est bel et bien tombée !). Certes, un « vrai » scientifique ne se laissera pas abuser longtemps par de tels personnages (quoique visiblement Hubert Curien s’y est laissé prendre... ainsi que le jury de leurs thèses de doctorat... L’ « affaire Bogdanov » a fait couler beaucoup d’encre, surtout de l’encre virtuelle), mais le grand public, lui, est beaucoup plus crédule. Et c’est normal : on ne peut pas avoir un regard critique sur absolument tout, ce qui demanderait des connaissances gargantuesques. D’ailleurs, c’est bien en lisant des livres, en principe, que l’on peut aiguiser ses connaissances. À condition de les choisir avec soin et de conserver malgré tout un œil critique. Je trouve seulement déplorable que de tels charlatans existent, car ils discréditent le milieu des chercheurs et de la science en général auprès du public. Déjà que.
Dommage, donc, que ces personnes se penchent vers le public pour tenter d’accréditer des théories qui n’ont pas reçues l’aval de leurs collègues. Ce n’est pas en vulgarisant une théorie que l’on peut la rendre plus vraie, plus crédible. Je ne dis pas qu’il ne faut pas inventer de telles théories. Au contraire, c’est ce qui fait avancer la science... Mais que cela reste dans les cercles scientifiques, au moins tant que ça reste hypothétique et invalide ! Il n’y a aucune raison de prendre le public à témoin d’une théorie foireuse. Ça fait un peu « vilain petit canard », du genre : « vous voyez ma théorie fonctionne, elle résout très bien tous ces problèmes, donc les scientifiques qui n’y croient pas sont tous des abrutis... » Et au lecteur de croire la même chose, malheureusement. Mais chacun à bien le droit de publier ce qu’il veut (encore heureux !), aux lecteurs de faire la part des choses, quand ils le peuvent ! De fait, je conseillerais plutôt de lire les ouvrages de Hubert Reeves (une valeur sûre !), Jean-Pierre Luminet ou encore André Brahic, pour ce qui est de la vulgarisation de l’astronomie et de l’astrophysique. Sans oublier Stephen Hawking, Kip Thorne, auteur d’un excellent livre sur les trous noirs (Trous noirs et distorsions du temps). Et pour les amateurs de grandes théories, je pense que l’on peut se plonger dans le bouquin de Brian Green, l’Univers élégant, sans trop de risque !
Ils ne faut donc pas se laisser abuser par des titres ronflants, qui laissent imaginer que l’auteur a résolu tous les problèmes de l’Univers y compris celui de l’existence de Dieu ! Certes, ça donne envie d’aller y jeter un œil, et de fait le bouquin des Bogdanov se vend plutôt bien. Tant mieux pour eux. Dommage pour la science, car il est truffé d’âneries. Mais il y a d’autres livres truffés d’âneries. Faut pas prendre au pied de la lettre tout ce qu’on lit ! Que ces Bogdanov ne viennent pas prétendre être des scientifiques. Qui plus est, des scientifiques ayant résolu le mystère de la naissance de l’Univers. Et puis quoi, encore ? Quelle prétention ! Un peu d’humilité, que Diable ! Tout ça dans quel but ? La gloire ? L’argent ? Des charlatans, vous dis-je...
Guillaume Blanc
Articles de cet auteur
forum
-
Charlatans3 octobre 2011, par Guy
Mon épouse m’a offert le Dictionnaire Amoureux du Ciel et des Étoiles, écrit par Trinh Xuan Thuan. Une jolie lecture jusqu’au moment où il affirme qu’un arc-en-ciel ne peut être reflété dans un lac ou un miroir ! Du coup je n’ai pas continué la lecture de ce pavé. Dommage, j’aurai pu m’en accommoder et continuer ma lecture mais j’étais trop déçu d’une telle croyance chez un astrophysicien.
-
Charlatans5 octobre 2011, par Guillaume Blanc
Effectivement, c’est surprenant de la part de Trinh Xuan Thuan. Je n’ai pas lu ce livre, et n’ai d’ailleurs jamais rien lu de lui. Quand on regarde sa biblio scientifique et son CV, j’ai peine à imaginer qu’il soit un « charlatan. » Je pencherais plutôt pour une « erreur, » même l’arc-en-ciel est un concept que l’on apprend en première année d’études à l’université. Il est évident que lire un tel livre qui comporte des erreurs est particulièrement décevant.
-
Charlatans5 octobre 2011, par Guy
Loin de moi l’idée de le traiter de charlatan, je ne le pense pas. C’est simplement décevant. Le texte mélangeait science et poésie, ce qui n’est pas pour me déplaire, mais là, la pilule est un peu dure à avaler. Je vous raconte tout ça mais vous n’y êtes pour rien ! :))) Merci en tout cas pour votre très bon blog !
Guy.
-
Charlatans20 juillet 2013, par Komyozo
La réponse de Trinh Xuan Thuan, sur son site : « Certains lecteurs nous ont écrit pour faire une remarque sur l’entrée »Arc-en-ciel" du livre. C’était évidemment mal exprimé si l’on prenait la phrase seule. Il fallait lire et essayer de comprendre la totalité de l’entrée pour comprendre ce qu’il voulait dire. Nous avons même reçu de magnifiques photos d’arc-en-ciel se reflétant sur des plans d’eau. Trinh Xuan Thuan a pris le temps de nous offrir une explication plus claire : "La phrase « Parce que l’arc-en-ciel n’est pas matériel, vous ne le verrez jamais se refléter ni dans l’eau des lacs ni dans un miroir » dans mon Dictionnaire amoureux du ciel et des étoiles (p.53) a suscité bien des débats. Certains lecteurs ayant observé ce qu’ils pensaient être des réflexions d’arc-en-ciel se sont demandés si je m’étais trompé, ou si je m’étais mal exprimé. Je maintiens ce que j’ai écrit : on ne peut jamais voir à la fois un arc-en-ciel et la réflexion de ce même arc-en-ciel. Parce qu’un arc-en-ciel n’est pas un objet matériel à trois dimensions, il ne peut avoir ni de réflexion, ni projeter d’ombre. L’arc-en-ciel vu dans ou à la surface d’un lac est un autre arc-en-ciel résultant d’un trajet lumineux différent : il n’est pas le reflet de l’arc-en-ciel que vous voyez. La situation est analogue à celle de la personne à côté de vous qui voit un tout autre arc-en-ciel que le vôtre car le trajet de la lumière qui parvient à ses yeux est différent."
-
Site réalisé avec SPIP + AHUNTSIC
Visiteurs connectés : 15