Arc-en-ciel, couronne, spectre de Brocken et gloire
Voici une version « longue » de l’article qui va paraître le 25 septembre dans Carnet d’Aventure n° 49, rubrique « Décrypter. » Voir d’autres images...
L’arc-en-ciel est un phénomène optique que tout le monde peut contempler assez facilement. Il suffit qu’il pleuve d’un côté, que le soleil brille de l’autre, et que l’on se trouve entre les deux ! La nature déploie alors sa panoplie de physicienne de la lumière. Spectre de Brocken et gloire vont souvent de paire. Ils sont bien plus rares et les observer nécessite des conditions particulières. Il faut du soleil, bien sûr, et il faut que l’observateur se trouve entre lui et un brouillard de fines gouttelettes [1]. On peut en voir en prenant l’avion, à condition d’être à côté du hublot et du bon côté de l’appareil : parfois l’ombre de l’avion se pose sur une couche de nuages, plus bas, et se trouve auréolée d’une irisation aux couleurs de l’arc-en-ciel, le bleu à l’intérieur, le rouge à l’extérieur ; les anneaux ainsi colorés peuvent se répéter de façon concentrique. C’est la gloire. Le parapentiste assistera au même effet dans les mêmes conditions. Le terrien peut aussi en voir, mais surtout en montagne. Il faut que son ombre puisse se projeter sur un nuage de gouttelettes, en contre-bas par rapport à lui. Son ombre portée sur le nuage sera grandie en fonction de la configuration de la projection. Il pourra ainsi avoir l’impression de voir le spectre d’un géant naître à ses pieds, fantôme qui singera ses gesticulations. Il s’agit du spectre de Brocken.
Le Brocken est un sommet de 1141 m de la chaîne de montagne Harz au centre de l’Allemagne. C’est là que le phénomène a été décrit pour la première fois en 1780 par le naturaliste Johann Silberschlag, et de manière plus détaillée en 1797 par un certain M. Hane (voir la revue Le Magasin Pittoresque de 1833, p. 341). Parfois l’ombre du spectre de Brocken est accompagnée de l’auréole de la gloire. Celle-ci fut décrite dans le rapport d’expédition de Bouguer et La Condamine publié en 1749 (Détermination de la Figure de la Terre), qui visait à aller mesurer la longueur de l’arc de méridien au voisinage de l’équateur afin de déterminer la forme de la Terre. Il y est mentionné l’observation de la gloire et du spectre de Brocken au sommet du Pambamarca, un volcan culminant à 4062 m dans la cordillère centrale au Pérou, en novembre 1744. L’arc-en-ciel, quant à lui, a été observé et décrit bien avant, notamment par Pline l’Ancien dans son encyclopédie Histoire Naturelle, publiée vers 77.
La lumière revêt différentes facettes. Elle se comporte soit comme un ensemble de rayons rectilignes dans le vide ou dans un milieu matériel transparent (gaz comme l’air, liquide comme l’eau, solide comme le verre), soit comme une onde, grandeur physique qui se propage en oscillant, ou bien encore comme un ensemble de particules élémentaires.
Comprendre comment se forme l’arc-en-ciel fait appel aux phénomènes de réfraction et de dispersion. Un rayon lumineux rectiligne dans un milieu transparent donné change de direction quand il passe dans un autre milieu toujours transparent mais aux propriétés différentes. L’air et l’eau sont deux milieux transparents qui laissent se propager la lumière visible (celle que nos yeux peuvent voir). Mais à l’interface entre les deux, un rayon lumineux qui n’est pas perpendiculaire à cette interface voit sa trajectoire modifiée. Il est réfracté. En passant de l’air à l’eau le rayon incident s’écarte de l’interface.
Inversement, un rayon passant de l’eau à l’air va s’incliner vers l’interface.
La lumière solaire ou lumière « blanche » est constituée de la superposition de toutes les couleurs (on parle de longueur d’onde) du bleu au rouge. Comme l’inclinaison des rayons lumineux à chaque réfraction entre l’air et l’eau dépend de la couleur de la lumière, celle-ci va voir ses différentes couleurs « dispersées » comme pour la lumière traversant un prisme.
Le bleu est plus dévié que le rouge quand la lumière passe de l’air dans l’eau, et inversement en passant de l’eau à l’air.
Prenons un rayon lumineux issu du soleil (on peut « simuler » numériquement sa trajectoire sur ce site), qui se propage dans l’air. Il rencontre une goutte d’eau sphérique. Il va pénétrer à l’intérieur en s’inclinant un peu. Puis il va rencontrer l’autre côté de la goutte sur laquelle il va se réfléchir, avant de ressortir de la goutte au niveau de l’interface suivante. À chaque fois que le rayon lumineux bute sur une interface entre l’air et l’eau, une grosse partie de la lumière est transmise par réfraction, et une petite partie est réfléchie. C’est la partie réfléchie à l’intérieur de la goutte qui va créer l’arc-en-ciel. La partie qui ressort à ce moment-là ne provoque aucun phénomène particulier. Compte tenu de la dispersion des couleurs, la lumière bleue ressort de la goutte au-dessus de la lumière rouge.
Quand on considère toutes les gouttes de pluie ensemble, les gouttes les plus hautes, sont celles qui vont envoyer la lumière rouge vers l’observateur, et les gouttes les plus basses la lumière bleue. C’est pourquoi, alors que le bleu sort de la goutte au-dessus du rouge, on observe l’inverse sur un arc-en-ciel généré par une myriade de gouttes.
Les rayons lumineux parallèles issus du soleil vont pénétrer dans la goutte avec différents angles d’incidence et donc en ressortir à différents angles de déviation, l’angle de déviation étant l’angle entre le rayon issu du soleil et le rayon ressortant de la goutte. Mais la majeure partie des rayons ressortant de la goutte va le faire autour de la valeur maximale de l’angle de déviation : on observe là une accumulation de lumière.
C’est pourquoi l’arc-en-ciel est si intense ! On parle de caustique. Une caustique est une accumulation de lumière suite à une réfraction ou une réflexion. On peut en voir tous les matins à la surface du bol de thé ou de café, la lumière se reflétant sur les parois du bol dessine une jolie courbe à la surface du liquide, une néphroïde.
La lumière issue de tous les rayons du soleil ressort donc des gouttes selon un angle particulier, ce qui forme un cône : nous voyons un arc de cercle. Cet angle vaut 40,5° pour la lumière bleue et 42,4° pour la lumière rouge. Si nous n’étions non pas posés les pieds sur terre pour observer l’arc-en-ciel, mais dans le ciel, on pourrait voir un arc-en-ciel complètement circulaire – un « cercle-en-ciel » –, d’ouverture 40-42°. Une autre condition pour voir un arc-en-ciel depuis la surface du sol est donc que le soleil soit bien en-dessous de 42° de l’horizon, ce qui n’est pas possible en été sous nos latitudes, en milieu de journée.
On peut observer des phénomènes plus complexes, comme un deuxième arc au-dessus du premier, avec les couleurs dans l’ordre inverse. Il provient de la partie des rayons lumineux qui effectue deux réflexions à l’intérieur des gouttes. Il se forme avec un angle de déviation de 50-53°. Les couleurs sont inversées à cause de la réflexion supplémentaire. Il est moins lumineux et donc plus difficile à voir.
La région au-dessus de l’arc primaire correspond à des angles de déviation des rayons du soleil de plus de 42°, ce qui n’est pas possible : aucun rayon lumineux n’arrive dans cette zone. De même en-dessous de l’arc secondaire. La zone entre les deux arcs est ainsi d’apparence plus sombre que le reste du ciel. Il s’agit de la bande sombre d’Alexandre, ainsi nommée car c’est le philosophe grec Alexandre d’Aphrodite qui la décrivit le premier.
Un autre phénomène difficilement observable est la présence d’arcs en sus accolés juste à l’intérieur du premier arc. Ils sont « surnuméraires » car non prédit par la théorie des rayons lumineux. Il faut faire appel à la nature ondulatoire de la lumière pour les expliquer, la lumière étant aussi une succession de « creux » et de « crêtes » se propageant dans les trois dimensions de l’espace, la distance entre deux creux (ou deux crêtes) successifs est la longueur d’onde. Deux rayons (ou ondes) issus du soleil proches l’un de l’autre à l’entrée d’une goutte vont parcourir un chemin légèrement différent l’un de l’autre dans la goutte. En fonction de la différence de chemin parcouru entre les deux rayons, il se peut, à la sortie, que leurs « crêtes » s’additionnent, auquel cas, nous aurons une interférence constructive et un pic de lumière, ou bien au contraire qu’une crête se trouve en face d’un creux, auquel cas tout s’annule et on se retrouve avec une absence de lumière (interférence destructive). On obtient ainsi des franges d’interférence. Pour différents angles de déviation, on aura ainsi une succession de franges brillantes (qui sont les arcs surnuméraires) et de franges sombres…
Un phénomène encore plus rare est celui du dédoublement de l’arc-en-ciel. On parle d’arcs-en-ciel « jumeaux. » La compréhension de ce phénomène est toute récente : il faut une combinaison de deux types de gouttes d’eau de tailles différentes, dont au moins une n’est pas sphérique. De fait, les plus grosses gouttes ont des formes aplaties à cause de la résistance de l’air dans lequel elles tombent.
Les physiciens continuent d’améliorer leurs modèles pour comprendre toujours plus finement les détails des arcs-en-ciel.
Comprendre comment se forme une gloire est plus subtil. D’ailleurs, les scientifiques spécialistes du sujet débattent encore sur les phénomènes physiques à l’œuvre. Pourtant, il existe un modèle mathématique qui permet de reproduire rigoureusement les observations de gloires. Il s’agit de la théorie de la diffusion par des petites sphères développée au début du XXe siècle par le physicien allemand Gustav Mie. Mais cette solution nécessite des calculs compliqués pour être appliquée aux gloires et ce n’est que dans les années 1990 que les ordinateurs ont été suffisamment puissants pour en venir à bout et donner un résultat acceptable. Néanmoins cette « boîte noire » dissimule la réalité physique.
Le principe de base de cette diffusion dite « de Mie » est celui d’une onde lumineuse qui arrive sur une particule supposée sphérique ; l’onde va alors changer de direction, sans changer de longueur d’onde, on dit qu’il y a diffusion élastique. Si la particule sphérique est très petite devant la longueur d’onde, on montre que l’intensité de la lumière ainsi diffusée est inversement proportionnelle à la puissance quatrième de la longueur d’onde (diffusion Rayleigh). Ce sont donc principalement les petites longueurs d’ondes qui sont diffusées par les petites particules. Les molécules de l’atmosphère vont ainsi surtout diffuser la partie bleue de la lumière du soleil dans toutes les directions. D’où le ciel bleu. Pour des particules de taille plus grande que la longueur d’onde, comme les gouttelettes d’eau constituant les nuages, la lumière diffusée l’est préférentiellement dans la direction de l’onde incidente, et avec une dépendance moindre en longueur d’onde. D’où la blancheur des nuages, et leurs bords relativement nets.
La lumière diffusée par les petites gouttes d’eau au sein d’un nuage ou d’une nappe de brouillard peut interagir – interférer – avec elle-même, nous observons alors des anneaux de diffraction autour de la source lumineuse. La diffraction est le propre de la nature ondulatoire de la lumière. Elle explique comment la lumière peut contourner des obstacles opaques de la même façon que les vagues se courbent à l’extrémité d’une jetée ou contournent un rocher. Ce contournement des objets, particulièrement visible pour ceux dont la taille est proche de la longueur d’onde de la lumière (0,5 à quelques microns), va provoquer des interférences dans des zones d’ombre, alternance de parties éclairées et de parties sombres. La diffraction par une ouverture circulaire dans un écran ou bien par une sphère (goutte) donne des anneaux alternativement brillants et sombres.
Si la lumière incidente est blanche, comme la lumière du soleil, chaque couleur va donner son système d’anneaux dont la taille est proportionnelle à la longueur d’onde : les anneaux rouges seront quasiment deux fois plus grands que les violets. Le résultat est une superposition de toutes ces couronnes. On explique ainsi les halos irisés qui sont parfois en couronne autour du soleil ou de la lune. La couronne a un centre blanc, somme de toutes les couleurs, irisé de jaune et rouge, parce que ces couleurs s’étendent plus loin. Le premier anneau est bleu à l’intérieur et rouge à l’extérieur.
La gloire nécessite en plus une « réflexion » (rétrodiffusion) sur la couche de gouttelette. Rétrodiffusion qui inverse l’ordre des couleurs entre la couronne et la gloire. C’est elle qui pose quelques problèmes aux physiciens qui imaginent différents processus susceptibles de renvoyer la lumière dans sa direction incidente.
Dans les années 1940, l’astronome néerlandais Hendrik Christoffel van de Hulst propose un modèle. Comme la lumière incidente ne peut pas revenir exactement sur ses pas (rétrodiffusion) après avoir pénétré dans une goutte d’eau, les lois de la réfraction l’interdisent, van de Hulst postula l’existence d’ondes de surface pour aider la lumière à effectivement revenir, conformément à ce qui est observé. Un rayon lumineux arrivant tangentiellement à la surface de la goutte peut effectivement se propager sur sa surface avant de pénétrer vraiment dedans. Puis il se réfléchit sur le fond de la goutte, comme pour l’arc-en-ciel, avant de ressortir dans la même direction, éventuellement par l’intermédiaire d’une nouvelle onde de surface.
À la fin des années 1980, le physicien brésilien Herch Moysés Nussenzveig propose un autre schéma. Il montre ainsi que la plus grande contribution à l’intensité lumineuse des gloires proviendrait des rayons de lumière qui passent à proximité (de l’ordre de grandeur de la longueur d’onde soit un demi micron dans le cas de la lumière visible) des gouttelettes d’eau. Une partie de l’énergie lumineuse est alors captée par la gouttelette par effet tunnel, malgré une mince couche d’air qui les sépare. L’effet tunnel est généralement un phénomène quantique, dû au fait que les particules ont aussi des propriétés ondulatoires : certaines particules peuvent ainsi surmonter une barrière d’énergie trop élevée pour leurs capacités énergétiques. Comme ce sont aussi des ondes, leur extension énergétique plus grande permet à la particule d’avoir une « probabilité de présence » non nulle au-delà de la barrière. C’est ainsi que l’on explique la radioactivité par particules alpha, par exemple.
Une fois que l’onde lumineuse arrive dans la gouttelette, elle heurte sa surface avec un angle assez faible et y reste ainsi confinée par des réflexions totales successives. Les différentes ondes ainsi piégées subissent des interférences constructives ce qui augmente significativement l’intensité lumineuse à certaines longueurs d’onde. Mais ces ondes « dopées » ne restent pas confinées éternellement, elles ressortent de la goutte de la même manière qu’elles y sont entrées : par effet tunnel.
Il se pourrait que la réalité soit une mixture de ces différentes possibilités. À suivre...
On peut se balader dans la nature en étant émerveillé par une fleur, par un animal, devant une formation géologique surprenante… Mais on peut aussi assister à des phénomènes physiques aussi beaux (comme l’arc-en-ciel) que déroutant (comme la gloire). Il y a d’autres phénomènes optiques dans l’atmosphère, comme les halos autour du soleil, sur lesquels nous aurons probablement l’occasion de revenir. Sans en connaître la teneur, le profane peut passer à côté de ces merveilles, mais gageons que vous allez désormais chercher arcs-en-ciel surnuméraires, couronnes et autres gloires lors de votre prochain périple !
- The mathematical physics of rainbows and glories, John A. Adam, Physics Reports 356 (2002) 229–365
- Nature’s optics and our understanding of light, M. V. Berry, Contemporary Physics, 2015, Vol. 56, No. 1, 2–16
- Backscattering of light from a water droplet : The glory effect, P. Gillis, C. Deleuze, V. P. Henri, and J. M. Lesceux, American Journal of Physics 50, 416 (1982)
- Simulation of rainbows, coronas and glories using Mie theory and the Debye series, Philip Laven, Journal of Quantitative Spectroscopy & Radiative Transfer 89 (2004) 257–269
- Atmospheric glories : simulations and observations, Philip Laven, Applied Optics, 2005, - Vol. 44, No. 27, 5667-5674
- How are glories formed ?, Philip Laven, Applied Optics, 2005, - Vol. 44, No. 27, 5675-5683
- Le spectre du Brocken, Le Magasin pittoresque, publié sous la direction de M. Édouard Charton, 1833, p. 341-342
- Light tunneling in clouds, H. Moyses Nussenzveig, Applied Optics, 2003, - Vol. 42, No. 9, 1588-1593
- Light tunneling, H.M. Nussenzveig, chapter 6, Progress in Optics 50,E. Wolf, 2007, Elsevier
- The science of glory, H. Moysés Nussenzveig, Scientific American, Vol. 306, No. 1 (January 2012), pp. 68-73
- A Theory of the Anti-Coronae, H. C. Van De Hulst, Journal of the Optical Society of America, vol. 37, No. 1, 1947, pp. 16-22
[1] La taille des gouttes de pluie donnant naissance à l’arc-en-ciel est de 1 à 2 mm, ce qui est très grand par rapport à la longueur d’onde moyenne de la lumière solaire, soit 0,5 microns ou 0,0005 mm. Les gloires sont quant à elles causées par de fines gouttelettes sphériques de 10 à 50 microns de diamètre.
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Guillaume Blanc
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