Le dernier livre de Martin Winckler. J’ai découvert ce médecin-écrivain avec la maladie de Sachs, il y a une dizaine d’années. J’avais adoré, je l’avais dévoré avec délectation, même si un léger malaise s’était emparé de moi en lisant certaines pages, une sorte de voyeurisme, j’avais l’impression d’être la petite souris cachée dans un recoin du cabinet du médecin. C’était la vie quotidienne d’un médecin de campagne, Bruno Sachs. Je suis même allé voir le film, adaptation de Michel Deville avec Albert Dupontel, que j’avais également bien aimé.
Après je suis tombé sur une paire de polars du même Martin Winckler, Touche pas à mes deux seins et Mort in vitro, liés à la toute puissante industrie pharmaceutique, dont il profitait pour dénoncer les abus. Et puis il y a eu les trois médecins, sorti en 2004, dont j’attendais patiemment la sortie en poche. Ainsi fut fait fin septembre. Dès que je suis tombé dessus à la librairie, je l’ai embarqué.
750 pages qui se lisent d’une traite. En trois jours. On retrouve Bruno Sachs, une vingtaine d’années avant la maladie de Sachs, alors qu’il était en fac de médecine. C’est un roman a plusieurs voix, le narrateur est multiple. Il y a des bons et des méchants. Des très méchants, même. On se rend compte que le milieu de la médecine hospitalière, cadre dans lequel se déroule les études des futurs soignants, est un monde sans pitié. Paradoxal, pour de futurs soignants, qu’ils soient sans pitié. Je ne sais pas si Winckler accentue le phénomène, ou bien si c’est vraiment comme ça, mais en tout cas, ils sont pathétiques ces étudiants pris dans la spirale d’une passion, qui doivent subir les abus de pouvoir de leurs ainés pour y accéder. Je ne sais pas si c’est comme ça, mais en fait je suis presque sûr que la fiction n’est pas très très loin de la réalité. Ce que l’on apprend sur la première année des études de médecine, PCEM 1, celle qui prépare au concours permettant d’accéder à la deuxième année, est rigoureusement authentique : j’ai des collègues qui enseignent la physique dans ce cadre. Et c’est exactement ça. Chacun pour soi. Ça, ça doit leur forger le caractère, aux étudiants en médecine. Pour le meilleur, ou pour le pire ?
Mais ça va même plus loin : l’attrait du pouvoir est puissant, et le fameux serment d’Hippocrate est souvent relégué aux oubliettes de choses qui passent avant. Parce qu’il n’y a pas seulement le pouvoir, il y a aussi l’argent. Dans ce milieu, pouvoir est synonyme de pognon. Donc tous les coups sont permis, même les plus bas, forcément. Surtout quand les labos pharmaceutiques s’en mêlent.
Et puis au milieu de ce chaos, il y a quand même quelques âmes pures, avec de grands rêves. Des mousquetaires. Il y a aussi de l’amour, le vrai. Et puis du faux, aussi. Bref, on nage en milieu étudiant, avec les intrigues particulières liées au monde de la médecine en plus.
Le livre commence en 1974, nos mousquetaires apprenti-médecins vont connaître les avortements clandestins, avant que la loi Veil n’y mette un terme en rendant la chose légale. Légale, mais pas forcément bien acceptée par les mandarins. Et puis, plus tard, il y a eu l’apparition du sida. On traverse une tranche d’histoire humaine, avec ce livre.
Martin Winckler a un style particulier, prenant. Une manière tout à lui de d’installer le suspense et de camper ses personnages. On a du mal a s’arrêter avant la fin. Ce livre n’est pas vraiment la suite de la maladie de Sachs, c’en est plutôt le premier épisode. Après tout c’est la mode ces temps-ci de remonter aux sources des grands héros. Là, c’est pour le plus grand plaisir du lecteur. Ça m’a donné envie de relire la suite, tiens !
Une poignée de mots grappillés par ci par là, au fil de ma lecture :
« L’amitié, c’est simple. On sait tout de suite où est sa place. Et l’amour au fond, c’est la même chose... »
« Les Français devraient respecter leurs artistes. Cela leur éviterait de les voir prospérer à l’étranger. Dans vingt ou trente ans, si rien ne change, vous ferez fuir aussi vos savants, vos écrivains, vos peintres, vos cinéastes. »
« Si l’on doit emprunter une voie plutôt qu’une autre, il faut la choisir vite. Quitte à le regretter. Vivre, ça ne se programme pas pour l’an prochain : l’an prochain, ça peut être jamais. Vivre, ça se fait tout de suite. »
« Quand on aime, quand on est follement amoureux, quand cet amour est partagé, quand il éclate à la face du monde, il y a tant de gens que ça dérange. Les frustrés, les jaloux, les pervers. Ceux qui n’aiment pas et n’ont jamais aimé, et qui pour ça haïssent ceux qui s’aiment... et sont prêt à tout pour que ça cesse... »
Site réalisé avec SPIP + AHUNTSIC
Visiteurs connectés : 6