On l’attendait depuis tellement longtemps, ce nouveau bâtiment, futur toit de mon labo. La commission sécurité l’a visité la semaine dernière, pour rendre son verdict : favorable. Ce n’était pas un : c’est tout bon, vous pouvez investir les lieux sans problèmes !, c’était plutôt un : bon, éventuellement vous pouvez y aller, mais on ne se mouille pas, nous, hein, on ne sait jamais... Bref, pour nous c’était du pareil au même. Ça fait plus de six mois qu’on attend ça, alors, favorable, c’était parfait.
Mardi 12 décembre, en revenant de déjeuner, il faisait nuit dans mon couloir à Jussieu, une sourde odeur de cramé régnait, le switch, ce truc permettant de dispatcher le réseau, venait de rendre l’âme dans un flot d’étincelles. Comme nous devions déménager la semaine suivante, rien ne fut fait pour réparer ça. Donc, mardi après-midi, j’ai fait mes cartons. J’ai rangé mon bureau. Et puis je suis allé bosser chez moi.
Hier, mardi 19 décembre, j’ai pris le RER jusqu’à Bibliothèque, et m’en suis allé, à pieds, jusqu’au bâtiment Condorcet, qui abrite désormais l’APC, mon labo. Je n’avais encore jamais mis les pieds dans ce quartier en pleine croissance verticale. Des grues ici et là agrémentent le paysage. J’avais repéré sur mon plan où se trouvait, à peu près, le bâtiment Condorcet. Parce que mon plan ne connaît pas la rue Alice Domon et Léonie Duquet. Mappy non plus, d’ailleurs. Heureusement, le bâtiment est rouge brique, on le voit de loin. Je le trouve sans difficulté. Mon futur collègue de bureau est là. Nous entrons dans les entrailles de l’avenir. L’ascenseur est déjà tagué. Bureau 402A. Quatrième étage, angle sud-ouest. Bout d’un couloir mal éclairé, coin sordide. Porte fermée, normal. Au passage on récupère un autre collègue, puis rendez-vous dans le hall de montage pour aller récupérer les clefs. Le sous-chef du labo nous conduit dans un bureau du bâtiment d’à côté, les Grands Moulins, où il faut montrer patte blanche pour entrer (on n’y pénètre donc pas comme dans un moulin). Là, carte d’identité et formulaire à remplir et signer, nous ressortons avec nos clefs. Direction notre futur bureau.
Une grande pièce dans l’angle du bâtiment. Quatre fenêtres, deux petites, une grande. Pas vraiment de vue, d’un côté, les murs des bâtiments de la rue d’à côté, de l’autre, encore un coin de lumière mais d’immenses grues se dressent en contre-jour sur le Soleil couchant, gigantesques araignées agrippées sur des murs dont l’altitude atteint déjà notre quatrième étage.
Bientôt, la lumière naturelle va s’éteindre de ce côté-là également. A priori, nous ne serons pas gênés par le Soleil. Pourtant les fenêtres sont ornées de stores. Des stores que l’on ne peut pas enlever, qui sont dépliés en permanence puisque ils sont incorporés aux fenêtres entre deux couches de verre. Un bouton permet d’actionner manuellement l’angle des lamelles. Heureusement on peut quand même ouvrir les dites-fenêtres.
En débarquant dans notre bureau, on ne trouvait que deux prises électriques et deux prises réseaux, toutes d’un seul côté, et encore du mauvais côté. Normal, il fallait lever le nez : tout se trouve en l’air, sur les deux travées de néons. Dans le provisoire, les fils vont donc pendouiller du plafond vers nos machines. La pièce est également dotée d’un évier de chimiste, et d’une douche ouverte sur le monde. Je me vois bien prendre ma douche en arrivant le matin, tout transpirant après m’être tapé mes trente bornes de vélo, juste à côté de mon collègue ! Cette pièce était initialement prévue pour abriter une salle de manip... Va falloir y faire quelques retouches pour nous abriter nous.
En tout cas, mes cartons sont déjà là, le mobilier aussi, un bureau, un fauteuil qui ne couine pas encore, et une armoire pour ranger mes bouquins. Le tout, neuf !
Après avoir défait mes cartons, je m’en suis allé, en marchant dans ce nouveau quartier, vers la bibliothèque nationale, sur le boulevard qui longe la Seine, rive gauche. Je suis plutôt optimiste, le quartier va avoir besoin de quelques temps et d’un peu de patience pour trouver ses marques, quelques années pour voir s’achever les travaux, mais ça devrait être pas mal. Une bande de jeunes a déjà envahi l’esplanade devant les Grands Moulins pour faire du skate. Bâtiment des Grands Moulins dont le fronton côté Seine est orné de loupiotes qui passent du blanc ou rouge dans les lueurs crépusculaires. Ces architectes, ils ne peuvent s’empêcher de mettre des fioritures inutiles un peu partout. Fioritures qui vont mal vieillir, forcément, nous ne sommes pas dans une société du durable, mais de l’instantané. Alors, l’état des bâtiments dans un an, deux ans, dix ans, trente ans, qui s’en préoccupe ? À part ça, ma foi, quand les étudiants de l’université Paris 7 nous aurons rejoint là, ça mettra un peu de vie.
Le bâtiment Condorcet abrite les laboratoires de physique de l’université Paris 7, ainsi qu’une partie des enseignements de l’UFR de physique. Il a curieusement été nommé « Condorcet ». Curieusement, car Nicolas de Condorcet était plutôt un mathématicien du Siècle des Lumières... Certes il s’agit d’un contemporain de Denis Diderot, dont l’université Paris 7 porte le nom, et les physiciens ne couraient visiblement pas les rues à cette époque... Plus étrange, à mon sens, c’est l’adresse de ce bâtiment : rue Alice Domon et Léonie Duquet. Dans le genre adresse à rallonge, on ne fait pas mieux. Mais qui étaient donc cette Alice Domon et cette Léonie Duquet ? D’après Wikipédia, ce sont deux religieuses françaises, missionnaires en Argentines, et assassinées lors de la dictature dans les années 1970. Leurs restes ont été retrouvés récemment, dans une fosse commune dans un patelin pas très loin de Buenos Aires. Bon. Pourquoi pas. On hérite ainsi d’un bâtiment de physique qui a le nom d’un mathématicien, et dont l’adresse honore des religieuses... Encore un coup du paradoxe ambiant ? Heureusement que l’université Denis Diderot se targue d’être pluridisciplinaire !
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