Ça dure depuis une dizaine d’années, de nombreux pays dits « développés » voient leur effectif d’étudiants en sciences diminuer. Le phénomène a même un nom : « désaffection » (d’où le titre). On commence à sérieusement s’inquiéter ici et là, car un déficit d’ingénieurs, de chercheurs, d’enseignants dans les disciplines scientifiques, et plus spécialement dans les sciences physiques est à prévoir dans un futur proche. Des commissions sont formées pour étudier le phénomène et pondre des rapports indigérables. Celui de l’assemblée nationale — 290 pages ! — est analysé par Fabien Besnard sur son blog. Moi, je l’ai parcouru dans sa plus grande diagonale !
Par ailleurs, j’avais lu un article dans La Recherche de février 2006 qui faisait le compte-rendu d’une conférence de l’OCDE sur le sujet. Les causes apparaissent multiples et somme toute assez floues. Les remèdes encore plus.
L’une des présentations de cette conférence a le mérite de quantifier un peu ce déclin à l’aide d’un certain nombre de graphiques. J’avoue qu’à la vue de ces courbes, la chose me paraît moins dramatique que ne le laissait sous-entendre le bruit qui courait. Moins planétaire, en tout cas. Moins universel que je ne l’imaginais. En revanche si je regarde seulement ce qui se passe ici-bas, en France, donc, ce n’est effectivement pas brillant, brillant. À ma grande surprise j’ai constaté que la fraction de jeunes diplômés en mathématiques et physique dans la tranche d’âge 20-24 ans est deux à trois fois plus élevée en France que dans les autres pays (d’où une efficacité bien plus faible, car la France est loin de râfler tous les prix Nobels de physique, ou les médailles Fields en mathématique ! Ceci est une autre histoire...), et qu’elle subit effectivement une décroissance drastique depuis 1995 après avoir grimpé pendant au moins 10 ans... Le nombre de docteurs en sciences et ingénierie a plus baissé en France qu’ailleurs depuis 1996 (-25 % en 2003). Seules les sciences de l’informatique ont le vent en poupe, comme dans tous les pays. Les sciences physiques étant les plus durement touchées par la crise.
Le rapport de l’Assemblée met l’accent sur la qualité de l’enseignement, une pédagogie rébarbative au collège, pas suffisamment ludique, des instits trop peu formés aux sciences au primaire. Alors que d’après Sumitra Rajagopalan si les indiens sont bons en sciences, c’est parce que l’enseignement y est répétitif, donc rébarbatif, et pas vraiment ludique, comme il peut l’être en Amérique du nord. D’après elle, les élèves retiennent mieux, et surtout ont un esprit mieux formé par ce qui a été inlassablement répété. Enseigner c’est rabâcher. Encore faut-il avoir envie d’apprendre dans ce cadre-là.
L’article de La Recherche voyait parmi les causes possibles de cette désaffection l’augmentation du nombre de divorces : les enfants restent le plus souvent auprès de leur mère, moins associée aux sciences et techniques que la figure du père ; ou encore l’explosion du secteur tertiaire : de moins en moins de parents travaillent dans l’industrie. Ainsi la culture technique se perd, de même que l’évidence de son rôle dans l’ascenseur social... Cette dernière explication me paraît moins fumeuse que la précédente. Encore que... pourquoi dans ce cas depuis 10 ans seulement ? Le secteur des services est sur le devant de la scène depuis plus longtemps !
J’ai l’impression qu’il y a des causes bien plus profondes à l’origine de ce phénomène. Il y a dix ans le grand public s’appropriait un formidable moyen de communication : l’internet. En très peu de temps, la toile s’est démocratisée, mettant le monde à portée de clics pour tout un chacun. La facilité pour obtenir l’information a donc fait irruption dans notre quotidien. Avant, quand on avait une recherche à faire sur tel ou tel sujet à l’école, il fallait ouvrir des livres, et pour ce faire, les trouver les livres, donc avoir une démarche volontaire. Maintenant, il suffit de googler quelques minutes et d’avoir une imprimante à porté de souris... Exit, l’Encyclopædia Universalis ! L’internet, un leurre, peut-être, qui n’invite pas à se décarcasser pour apprendre : n’y trouve-t-on pas tout ce que l’on souhaite savoir et même au-delà ?
L’internet c’est aussi l’archétype de la réussite technologique, et pour aller y toucher de plus près, il n’est pas nécessaire d’avoir un bagage scientifique monstrueux, mieux vaut étudier l’informatique [1], pour maîtriser réseaux et connectiques, html et bases de données. L’informatique, au sens large, c’est la quasi-assurance de trouver du travail, donc autant étudier ça plutôt que de se plonger dans une physique absconse aux débouchés jugés incertains. À quoi sert de comprendre comment les avions volent, de savoir ce qu’est une étoile ou pourquoi le ciel est bleu, quand on a la possibilité de se plonger dans les CSS et les limbes de la toile (encore que l’expérience montre que les deux ne sont pas incompatibles) ? Le métier de webmaster a probablement plus le vent en poupe auprès de la jeunesse que celui de chercheur, ce dernier étant pourtant le plus beau métier du monde (et non, je ne suis pas subjectif en disant ça !).
Internet, c’est aussi le plus grand supermarché de la planète : on y trouve tout ce que la société mercantile a de vendable. Un petit clic et hop on achète un voyage à l’autre bout du monde, le livre en version originale que l’on désespérait de trouver un jour, on peut même y remplir son frigo sans décoller de son fauteuil ! Le seul risque c’est éventuellement de se choper une tendinite au poignet.
Société de consommation, consommation facile, la jeunesse ne veut plus prendre de risque. À quoi bon ? Elle attend simplement que tout lui tombe naturellement tout cuit dans les bras. D’où l’informatique (parce que internet c’est quand même plus rigolo que les supernovæ) ou les sciences économiques (parce qu’il est plus facile de gagner de l’argent en sachant comment ce faire qu’en faisant de la physique) comme fer de lance des études aujourd’hui. En bref, des trucs auxquels je ne comprends à peu près rien et que je ne trouve pas drôles du tout du tout, mais qui sont, paraît-il, plus simples à comprendre que le moment cinétique ou la force de Coriolis... C’est vrai, pourquoi, dans ce contexte, se fatiguer à faire des études de sciences, peut-être difficiles (encore que ça dépende pour qui !), et perçues comme plus ingrates que des études d’économie ou d’informatique, qui, elles, auront au moins la possibilité de faire gagner sa croûte, plus sûrement et plus rapidement. Ce à quoi la science est loin de pouvoir prétendre ! Mais si l’homme en revient à ces considérations bassement matérielles, où va-t-il donc ?
La curiosité du monde qui nous entoure serait-elle en train de se perdre dans cette société mercantile où tout va trop vite ?
À moins que le rapport de l’Assemblée n’ait raison : internet a transformé beaucoup de choses en simple jeu. On s’amuse à bloguer, on s’amuse à programmer des applications qui vont par la suite amuser une partie de la population des internautes. Bref, on s’amuse peut-être plus maintenant qu’il y a dix ans, grâce à internet. Donc un enseignement a priori pas très drôle, comme la physique ou les maths, qui traîne cette réputation derrière lui (à qui la faute ?) est rédhibitoire pour une jeunesse habituée à s’amuser (encore que je me demande si un cours sur le réseau internet est vraiment rigolo ?). Là peut-être doit-on distinguer diverses sociétés... On s’amuse probablement plus en France ou aux États-Unis qu’en Inde ou en Finlande... Donc transformer l’enseignement des sciences en partie de rigolade serait une (la ?) solution d’après ce rapport. Pourtant la rigolade a ses limites en matière d’apprentissage... Je citerais ce prof en DEA d’astrophysique qui nous faisait marrer avec ses blagues et ses histoires. Un vrai One man’s show. Certes, c’était plaisant, au début : un cours qui commence comme un spectacle, on s’y laisse prendre. Mais à la longue on aurait bien aimé apprendre quelque chose, en fait ! C’est le cours que j’ai le moins bien retenu.
Bon. Si cette désaffection est effectivement internationale et touche nombre de pays « développés » (France, Allemagne, Angleterre, État-Unis, Corée du sud, etc), la coïncidence de son origine temporelle avec les débuts de l’internet n’est peut-être pas si fortuite. Le superbe outil inventé par les chercheurs en physique des particules se serait-il retourné contre eux ?
Conclusion : la solution serait d’utiliser internet pour enseigner les sciences et la physique en particulier. Dès le collège... Car une application Flash vaut parfois mieux qu’un long discours ! En tout cas, ce remède ne serait pas pire que le mal.
Bonjour, Sans reprendre chaque élément de ce texte, il suffit de voir que vous dissociez « informatique » de « science », pour ne pas prendre en considération ce que vous dites. Sinon, vous avez l’air de faire un amalgame entre « informatique » et « utilisation d’internet ».
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