Le premier trail [1] que j’ai fait, c’était il y a quatre ans,le marathon des Causses. 40 km et 1600 m de dénivelé. J’avais alors trouvé ça sympa, ça m’avait donné envie de retenter l’expérience. Cet hiver, lors d’un week-end à St Pierre de Chartreuse, j’ai vu une photo du trail « Gapencimes. » J’ai eu envie de le faire. Au départ, ça devait être 48 km et 3000 m dénivelé, le samedi, tout comme les années précédentes. Et puis, ils ont décidé d’en faire le premier championnat de France de trail, du coup, ils ont rajouté 9 km et 200 mètres de dénivelé, mais surtout ils l’ont mis le dimanche. Ça m’arrangeait moyen, le dimanche pour repartir à Paris dans la foulée. Mais bon, j’avais envie de m’inscrire quoiqu’il en soit. 57 km, 3200 m de dénivelé. Il allait falloir que je m’entraîne. Un peu. C’était aussi un peu le but : me faire courir après quelque chose. Me donner un but, en somme.
Bon, la chose a à moitié échoué, mon entraînement fut un peu dilettante. Cet été, je n’ai pas couru autant que j’avais prévu de le faire, et le mois de septembre avec le boulot, des week-ends chargés par ailleurs, même chose. C’est donc un peu la fleur au fusil que je me suis pointé à Gap le 6 octobre. Jusqu’au dernier moment, j’ai eu l’espoir qu’un cataclysme quelconque m’évite d’y aller, et me permette de me défiler la tête haute. En vain.
Pourtant, la SNCF y a mis du sien : pas de train pour rejoindre les Hautes-Alpes. Plus de train de nuit, et seulement des autocars affrétés depuis Grenoble ou Valence. Département enclavé par un ex-service public qui est désormais à la manne du capitalisme destructeur. Du coup, les parents ont été mis à contribution, et la voiture avec.
Ensuite, la météo a rajouté son grain de sel. Samedi pluvieux et dimanche était prévu orageux. Inutile de vous dire que sur les crêtes là-haut, avec la pluie et l’orage, je pense que la chose aurait été annulée ou pour le moins déplacée vers un parcours forcément moins sympa. Et puis non, dans la nuit de samedi à dimanche, les étoiles brillaient : le beau temps allait être de la partie.
Pas le choix, il fallait donc que j’y aille ! Levé à 4h, le temps de petit-déjeuner, de faire le trajet Embrun-Gap. J’étais encore en avance, j’ai fait un petit somme dans la voiture. Puis je me suis habillé — enfin, plutôt déshabillé —, et direction la ligne de départ. Dans cette atmosphère de fin de nuit dominicale, à l’heure où les jeunes sortent de boîte, hagards, les yeux globuleux, une faune étrange se promenait dans les rues, pour converger lentement, ou trottinant, vers un rassemblement déjà massif et sonorisé. Secte dont les fidèles attendaient avec impatience quelque rencontre du troisième type ?
Je me place dans le rang. Autour de moi des dizaines d’autres pèlerins, en short, t-shirt, petit sac à dos, pipette, et, la plupart du temps, frontale vissée sur le crâne. Un peu plus loin, un podium gonflable sur lequel un type gesticule avec un micro. Quelques minutes avant l’heure. Les rangs se tassent. Ultimes recommandations — il paraît qu’on va devoir se tremper les pieds !
Un peu de musique grandiloquente — le thème du film « le dernier des Mohicans » — et, sans un bruit, c’est parti. La foule s’élance doucement dans les rues de Gap, s’écoulant dans la nuit. Le ton est rapidement donné : ça monte. Quelques bouchons dès que ça se rétrécit, mais rien de bien handicapant. Au fur et à mesure que nous nous élevons, la vue sur le bassin gapençais prend de l’ampleur. La ville est encore endormie et baigne dans ses réverbères.
Une heure plus tard, le jour s’est levé, le soleil fait la grasse mat’. Premier ravitaillement : déjà dix kilomètres au compteur. C’est aussi là que les choses sérieuses commencent : grimpette sur la crête de Charance. Sept cents mètres de dénivelé d’une traite pour arriver au sommet du Cuchon. Ce n’est pas un superbe grand beau, si le ciel est globalement clair, les lointains restent encapuchonnés dans les nuages, stigmates de la perturbation de la veille. Néanmoins, le soleil qui se lève au-dessus des Aiguilles de Chabrières parvient à nous envoyer quelques rayons entre deux volutes. Le pilier sud du Pic de Bures s’illumine. La couronne de Céüse reste tapis dans l’ombre. Là-haut, sur la crête, quelques silhouettes de coureurs se découpent sur le ciel métallique. Donc c’est beau. Sommet, superbe vue. On peut à nouveau trottiner, tout en faisant très attention de là où on pose les pieds : le sol est gras et particulièrement glissant.
S’ensuit un superbe parcours sur les crêtes quasiment jusqu’au col de Gleize. Dix-huitième kilomètre, deuxième ravitaillement. Cette fois, j’en profite. Banane, ça passe très bien. Quelques abricots secs aussi. Un petit verre de coca, et je repars. Ça descend. Je me chope directement un point de côté qui m’accompagnera pendant les dix kilomètres de descente. Du coup, j’avance moins vite que je ne le voudrais. On me dépasse un peu.
Troisième ravitaillement. Je mange un peu, je remplis ma pipette d’eau. Je commence à avoir sérieusement mal aux jambes. Et je n’en suis qu’à la moitié, plus ou moins. J’ai du mal à courir. Je sais que les dix kilomètres qui arrivent vont être rudes : du plat, globalement. Va falloir courir !
Le peloton s’étant désormais bien étiré, je me retrouve souvent seul. Je n’avais aucune idée de ma situation dans la course. Puis un militaire qui surveillait un passage exposé me la donne : 316e. Je ne savais pas trop si les 750 participants attendus étaient bien là, mais de savoir que j’étais a priori dans la première moitié me remonta le moral. Même si j’avais désormais plus tendance à me faire dépasser qu’à dépasser moi-même.
Au col de Gleize, j’ai rangé l’appareil photo qui me gênait. Donc pas d’image de la suite, vous n’aurez. Disons que j’avais l’esprit en mode survie, plutôt qu’en mode photos. En revanche, je n’avais pas toujours les yeux rivés au sol, et je peux vous dire que les paysages traversés furent réellement splendides. Le sentier en balcon des Bans, sous le sommet du Puy, aérien et coincé entre deux strates géologiques est de toute beauté. Ensuite, un cheminement scabreux dans les gorges du petit Buëch au milieu d’une réserve biologique, avec quelques traversées de rivière les pieds dans l’eau... Seul dans mon cheminement au ralenti, un gars me rattrape, je m’écarte pour le laisser passer. « Je vais à peine plus vite que toi, accroche-toi ! » Il a raison, je lui emboite le pas, ça marche. Je cours sur ses talons.
Avant-dernier ravitaillement, trente-huitième kilomètre. Je me goinfre. Tout de suite après, ça grimpe raide, je vais marcher, donc a priori pas de point de côté en perspective, je peux me lâcher sur les bananes, les abricots secs, le pain d’épice, le saucisson. Pêle-mêle. Avec quelques verres de coca pour faire glisser tout ça. Mon moral reprend du poil de la bête : en montée, ça va encore, j’arrive à tenir la route. 450 mètres de dénivelés sur un sentier peu raide : ça fait faire de grandes enjambées pour garder une vitesse ascensionnelle décente... En haut des lacets, déconvenue : m’attendent ce qui m’apparaît tout de suite comme d’interminables kilomètres de sentier à l’horizontale pour rejoindre l’aplomb du Pic de Gleize et les ultimes 450 mètres de montée.
Non seulement j’ai mal aux jambes, vaste mélange de courbatures, de crampes, et autres choses indéfinissables, mais je commence à avoir une douleur sérieuse sur le côté du genou gauche dès que je me mets à courir. Je préfère donc marcher, ne sachant l’origine de la chose et ne voulant surtout pas me faire vraiment mal — et compromettre ma saison de ski à venir, en l’occurrence !
Du coup je me paye tout le balcon de la Chanebière à pieds. 1740 mètres d’altitude, au beau milieu des alpages. Magique. Je me fais bien doubler quelques fois, mais j’arrive à rabattre mon orgueil et persiste dans ma (dé)marche. Tant bien que mal, je parviens au pied de la dernière montée. Cette fois, ça part droit dans la pente, hors sentier : j’adore. Et comme je ne me suis pas trop foulé dans les kilomètres qui précèdent, j’ai encore un peu d’énergie à revendre. Je dépasse même quelques gus. Sommet du Pic de Gleize. Et descente. Descente, la douloureuse. De fait. Ben tant pis, par égard pour mon genou gauche, j’y vais mollo. Et advienne que pourra. Je parviens ainsi au col de Gleize, ultime ravitaillement, quarante-huitième kilomètre, une demi-heure avant la barrière horaire.
Restent neuf kilomètres de descente sur mille mètres de dénivelés. Ce fut rude. J’ai mis une heure et demi à les enfiler, soigneusement, les uns après les autres, ceux-là. On me double de part et d’autre. Je pense à mon genou. Je cours quand même un peu, maintenant, assez rigolé, j’aimerais en finir.
La fin qui finit par arriver, inévitablement, fatalement. Dernier kilomètre. Plus que quatre cents mètres. Cent mètres. Voilà. Arrivé. Enfin. J’ai droit à une serviette pour la peine, probablement pour éponger la sueur que finalement je n’ai pas trop écoulé, à mon allure d’escargot. D’autant plus qu’il faisait plutôt frisquet, en fait. Temps idéal pour courir.
Je passe boire un verre de coca. Le ravitaillement de l’arrivée a été décimé, semble-t-il. Pas grave, je suis arrivé. Fini, terminé.
9h54min43s. Pas de quoi pavoiser, mais au moins je suis allé au bout, je suis même classé, 356e (sur 402 classés) : 172 ne seront pas classés, donc encore plus loin derrière ou ayant abandonné.
Je rejoins ma voiture, pour aller prendre une douche à Chorges chez mon frère, et de là, retour sur Paris dans la foulée avec les parents au volant. Nous arriverons lundi matin à 1h30...
J’ai eu les jambes douloureuses dés le dimanche. Courbatures. Lundi, j’ai découvert et apprécié les escalators et autres ascenseurs qui permettent de changer d’étages. Mardi, ça allait déjà mieux : je pouvais à nouveau éviter les ascenseurs.
Tandis que je courais, je me disais que j’avais vraiment sabordé mon entraînement, ce que je savais déjà, ce n’était donc pas une surprise. Mais si j’ai probablement envie de refaire des trails dans l’avenir, peut-être pourrais-je me cantonner dans la gamme des quarante kilomètres plus adaptée à mon entraînement en dent de scie ? À moins que j’arrive à me motiver pour courir un peu plus. Et m’entraîner plus scientifiquement : au-delà de quarante bornes, ça doit aider, tout de même ! Ou bien me trouver un pote du même niveau que moi : courir à deux, ça motive, je dois dire.
J’ai déjà envie de repartir courir...
Le tracé a l’air somptueux en effet. Et « à cause » de ton manque d’entrainement, t’en auras profité plus longtemps !! Je ne peux qu’acquiescer à la dernière phrase. Je n’ai jamais eu le même niveau que lorsque je courais avec mon meilleur ami Adrien. Meme si depuis des années, comme je te disais cet été, on est en contact plusieurs fois par semaine et on se raconte nos entrainements réciproques, on compare, on se chauffe, et une fois par an on se retrouve et on s’éclate ensemble pendant quelques jours. La bise à la famille Laurent
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