La galaxie la plus lointaine observée à ce jour
L’astrophysique n’échappe pas à la quête incessante des records. Le dernier en date, c’est la galaxie la plus lointaine. Repérée dans le champ étroit mais très profond du Hubble Ultra Deep Field [1] par son extrême rougeur, signe non pas d’une grande timidité face à la caméra du télescope Hubble en orbite autour de la Terre, mais d’un décalage spectral important [2], elle fut observée en détail à l’aide du très grand télescope VLT. Cette galaxie répond au doux nom de UDFy-38135539 — et les scientifiques ne seraient pas des poètes ?
Observée, donc à l’aide de l’instrument SINFONI, qui est un spectrographe à champ intégral [3], monté sur l’un des quatre VLT qui se trouvent au sommet du Cerro Paranal au Chili, elle a pu dévoiler un peu de sa personne. Au terme de près de 15 heures de pose, une équipe d’astrophysiciens français et anglais a pu mettre la main sur son décalage spectral. Ils ont obtenu z = 8.55 avec une excellente précision [4]. Ce qui fait de cette galaxie l’objet le plus lointain jamais observé. Le précédent record était détenu par un sursaut gamma, à z = 8.2.
C’est grâce à la raie Lyman de l’hydrogène [5] que cette mesure a pu être faite. L’univers, en particulier l’univers lointain, contient essentiellement de l’hydrogène (et un quart d’hélium). Il n’est donc pas surprenant d’observer une raie émise par l’hydrogène. Mais compte tenu du décalage spectral (qui « décale » d’un facteur 1+z la longueur d’onde des raies des galaxies lointaines par rapport celle obtenue en laboratoire), cette raie, qui brille en laboratoire dans la partie ultraviolette du spectre électromagnétique, se trouve être observée dans l’infrarouge, à une longueur d’onde de 1161 nm.
À l’époque où la lumière de cette galaxie en est partie pour nous parvenir aujourd’hui (car la vitesse de la lumière a beau être très grande, elle n’en est pas moins finie — 300 000 km/s) l’univers n’avait que 600 millions d’années. Un jeunot. Quand on sait qu’à l’heure actuelle il a l’âge respectable de 13,7 milliards d’années !
Ce genre de course au record de la galaxie (ou de l’objet) la plus lointaine n’a pas lieu pour le plaisir de figurer en bonne place dans le livre des records, mais bel et bien pour tenter de répondre à une question cruciale en cosmologie [6], à savoir à quelle époque l’univers s’est réionisé pour redevenir transparent à la lumière ?
Je m’explique. Et pour cela, remontons un peu plus dans le temps. Pendant les presque 400 000 premières années de l’univers, on assiste à la création de toute une zoologie de particules, dont les neutrons, les protons, les électrons et les photons. Au fur et à mesure que le temps s’écoule, la température — au départ très élevée — de cette « soupe » de particules et de photons diminue, et des composés de plus en plus complexes peuvent se former en agglutinant des particules élémentaires. La mixture est « opaque » car les petits grains de lumière que sont les photons interagissent fortement avec les électrons qui sont encore libres dans ce bain de plasma. Ils ne peuvent faire beaucoup de chemin avant de rencontrer un électron avec qui jouer au billard. Quand la température baisse suffisamment, à cause de l’expansion, l’énergie des photons se retrouve sous le seuil d’ionisation de l’atome le plus simple qui soit : celui d’hydrogène. Les électrons peuvent se combiner tranquillement avec les protons pour former l’hydrogène, sans se faire culbuter à tout bout de champ par les photons un peu joueurs. N’ayant plus de compagnons de jeu — les électrons s’étant accouplés avec les protons —, les photons n’ont plus qu’à se balader librement pour aller voir ailleurs. On dit qu’il y a « découplage » entre la matière (les atomes) et la lumière (les photons).
Cette « première » lumière désormais libre émise par le tout jeune univers (il a à peine 400 000 ans !) peut-être observée, il s’agit du « rayonnement fossile » qui nous donne une incroyable quantité d’informations. C’est la première lueur que nous pouvons actuellement percevoir après le Big Bang.
Mais j’y reviendrais ultérieurement, car là n’est pas mon propos. L’univers est désormais constitué d’atomes, trois quarts d’hydrogène et un quart d’hélium, grosso modo. Il est neutre. S’ensuit une période « sombre » car aucune lumière ne baigne l’univers hormis le rayonnement fossile qui se dilue et se refroidit avec l’expansion. Néanmoins, les atomes d’hydrogène peuvent émettre un rayonnement, à la longueur d’onde de 21 cm précisément. C’est d’ailleurs potentiellement le seul moyen de pouvoir observer cet « âge sombre, » en détectant les ténues ondes radio (de longueur d’onde métrique compte tenu du décalage spectral). Cela n’a pas encore été réalisé, car le signal est très faible et les perturbations (essentiellement humaines — télé, radio...) nombreuses.
Après cette période, les galaxies commencent à se former, puis les étoiles ; à moins que ce soient d’abord les étoiles puis les galaxies ? Étoiles qui se mettent à briller et à ré-ioniser la matière alentour, formant des « trous » dans le rideau sombre. Bientôt, au fur et à mesure que les galaxies s’allument, toute la matière inter-galactique va à nouveau être sous forme de plasma. Mais par rapport à la période précédent la recombinaison, ce plasma-ci est beaucoup plus dilué, les photons sont beaucoup moins freinés dans leur course frénétique, l’univers reste ainsi transparent à la lumière.
Cette « réionisation » marque un nouveau jalon dans l’histoire de l’univers, celui de la fin d’une période sans lumière. Désormais, on y voit clair !
La galaxie UDFy-38135539 se trouve ainsi très probablement au milieu d’un océan de matière neutre, petite bulle ionisée par les premières générations d’étoiles qui laissent ainsi échapper les premières lumières « atomiques » (c’est-à-dire dues aux transitions atomiques de l’atome d’hydrogène, par rapport à la lumière « thermique » de corps noir qui constitue le rayonnement fossile). Il s’agirait donc d’une des premières galaxies qui ont participé à la réionisation de l’univers, réionisation qui s’est achevée un milliard d’années après le Big Bang, vers un décalage spectrale de 6.
D’autres objets dans le champ du Hubble Ultra Deep Field sont semblables à celle-ci. Gageons que les records ne vont cesser de tomber dans les prochaines années, pavant ainsi petit à petit la fin de l’âge sombre de petites bulles de lumière...
[1] Le Hubble Ultra Deep Field est une image très profonde réalisée au cours de l’automne 2003 par le télescope spatial Hubble à l’aide d’environ 800 images d’un très petit coin du ciel — environ un dixième de la taille de la Pleine Lune dans le ciel —, totalisant plus de 11 jours de temps de pose. C’est le cliché le plus profond existant à l’heure actuelle.
[2] Décalage spectral - Pour s’y retrouver dans les distances inimaginables des objets de l’univers lointain, les astrophysiciens préfèrent parler de décalage spectral ou décalage vers le rouge.
En effet, l’univers étant en expansion, cela signifie que toutes les galaxies s’éloignent les unes des autres, et ce d’autant plus rapidement qu’elles sont éloignées. Or, il est un effet physique bien connu sous le nom d’effet Doppler-Fizeau, qui veut que lorsqu’un objet produisant des ondes est en mouvement par rapport à un observateur, la fréquence des ondes perçues par l’observateur varie en fonction de la vitesse de la source. Si celle-ci se déplace vers l’observateur, la fréquence des ondes augmente, et inversement, si la source s’éloigne, la fréquence diminue.
Dans le cas où l’objet émetteur est un camion de pompier qui émet donc des ondes sonores, nous avons le fameux effet « pin-pon » : le camion arrivant vers l’observateur, le son est plus aigu (fréquence plus élevée) ; quand il s’en éloigne, le son devient plus grave (fréquence moins élevée). Il existe un phénomène identique pour les ondes lumineuses ou électromagnétiques de manière générale.
Ainsi, dans l’univers, un objet qui s’éloigne de nous va voir la fréquence de sa lumière diminuer, et donc sa longueur d’onde augmenter : sa couleur devient plus « rouge. » Et ce d’autant plus que sa vitesse est élevée. Comme les galaxies s’éloignent de nous d’autant plus vite qu’elles sont loin, nous avons là un moyen de quantifier leur distance, simplement en mesurant le décalage entre la couleur observée et la couleur qu’elle aurait si nous étions tout à côté.
Il existe une relation unique entre le décalage spectral — noté z — et la distance. relation qui n’est pas linéaire : un objet deux fois plus loin, n’a pas un décalage spectral deux fois plus élevé. De même, il existe une relation unique entre le décalage spectral d’un objet et l’âge qu’avait l’univers quand la lumière que l’on en reçoit a été émise. Plus le décalage spectral est élevé, plus on se rapproche de l’instant initial, le Big Bang.
[3] Un spectrographe est un instrument qui décompose la lumière, comme le prisme : il permet d’obtenir la variation du flux lumineux en fonction de la longueur d’onde. Le plus simple étant de sélectionner une toute petite partie de la lumière émise à l’aide d’une fente, et de disperser cette lumière à l’aide d’un prisme. Un spectrographe à champ intégral fait le même travail, mais au lieu de n’obtenir qu’un seul spectre le long d’une fente, il échantillonne spatialement le champ de vue, pour créer un spectre sur chaque pixel de l’image. Cette technique permet de récupérer la totalité du flux lumineux émis, sans effets de bords comme avec une fente.
[4] Résultat publié par Nature467, pp. 940-942, le 21 octobre 2010 : « Spectroscopic confirmation of a galaxy at redshift z = 8.6 » par M. D. Lehnert et al.
[5] Raie Ly-$\alpha$ de l’hydrogène — c’est la raie émise quand l’électron passe de l’orbitale n = 2 (premier état excité) à n = 1 (niveau fondamental) de l’atome. Sa longueur d’onde en laboratoire est 121,6 nm (l’énergie du photon est 10.2 électron-volts).
[6] La cosmologie est la branche de l’astrophysique qui s’intéresse aux propriétés de l’univers dans son ensemble.
Guillaume Blanc
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