Les tribulations d’un (ex) astronome

Les français et la nature : Pourquoi si peu d’amour ?

dimanche 25 février 2018 par Guillaume Blanc

En furetant sur les étals d’une librairie lavalloise je suis tombé sur un essai relatant les rapports des français avec la protection de la nature et des animaux. Écologisme. Le titre : « Les français et la nature, pourquoi si peu d’amour ? » laisse présager la teneur du propos. L’auteur, Valérie Chansigaud, est une historienne des sciences et de l’environnement travaillant au laboratoire SPHERE de l’université Paris Diderot — excellente référence puisque l’université dans laquelle je travaille ! J’ai donc acheté et lu l’ouvrage publié chez Actes Sud, dans la collection « Mondes Sauvages. »

Ce n’est pas un essai sociologique avec des chiffres (un tout petit peu quand même), des sondages d’opinions (un tout petit peu quand même) mais plutôt une argumentation essentiellement basée sur des œuvres littéraires, une « analyse culturelle et comparative »… Dans une première partie, des « faits » sont présentés afin d’étayer la thèse que « les français s’intéressent moins à la nature que leurs voisins germanophones ou anglophones. » À travers la comparaison de divers œuvres littéraires, l’auteure étaye son propos, montrant un intérêt bien plus grand pour la nature et les animaux dans le monde anglo-saxon, Angleterre, États-Unis, par exemple qu’en France, en particulier au XIXe siècle et dans les deux premiers tiers du XXe siècle. On y voit Stendhal qui s’attache au pittoresque dans « Mémoire d’un touriste », et cité par l’auteure : « Par malheur il n’y a pas de hautes montagnes auprès de Paris : si le ciel eût donné à ce pays un lac et une montagne passables, la littérature française serait bien autrement pittoresque. » Je ne peux évidemment qu’être d’accord avec lui ! D’autant qu’il n’y a non seulement pas de « hautes montagnes » à proximité de Paris, mais pas non de « basses montagnes » ni même de « collines. » Ceci étant, il semble trouver que les œuvres littéraires anglaises traduisent plus de pittoresque que les nôtres, mais elles doivent bien s’attacher à le trouver ailleurs que dans les montagnes, car on peut pas dire que Londres, si toutefois la capitale est importante, soit nichée dans des monts quel que soit leur hauteur !

Valérie Chansigaud évoque bien d’autres auteurs, comme Gilbert White, visiblement considéré comme le pionnier de l’écologie, mais aussi Buffon, Pluche, français, mais qui n’ont pas eu la même portée que White. Il y a Fabre aussi, qui a écrit une encyclopédie poétique des insectes. Mais Fabre, malgré son talent, est a peu près inconnu de nos jours…

« Durant la période allant de 1890 à 1945, la France paraît être un désert pour les questions d’environnement au regard du tourbillon qui agite les intellectuels, les scientifiques, les militants et les politiques américains. » (p. 39)

La France ignore aussi Rachel Carson écologiste américaine très célèbre outre-atlantique, inconnue chez nous. La photographie animalière provoque un engouement immense en Allemagne, en Angleterre ou aux États-Unis, mais pas en France, ce qui n’est pas un manque de talent, mais un manque de public. En particulier avant la première Guerre Mondiale (p. 45,46). Ce qui a des conséquences sur le documentaire animalier… Même si Cousteau arrive dans la deuxième moitié du XXe siècle, et encore, pas immédiatement comme grand protecteur de la nature… On se souvient de son film avec Louis Malle, « Le Monde du Silence, » palme d’or à Cannes en 1956, où on voit l’équipage de la Calypso balancer des bâtons de dynamite dans un récif de corail pour en récupérer les poissons… Certes c’était une autre époque — la France n’avait pas encore fait la découverte de l’importance de la nature — et Cousteau s’est rattrapé par la suite en prenant conscience lui-même de cette importance.

La deuxième partie du livre s’attache à la dimension sociale et politique de l’intérêt pour la nature. Par exemple, nous avons des préjugés (p. 67-69) sur certains animaux et certaines espèces : certains animaux, comme les grands prédateurs ou les oiseaux, sont valorisés, tandis que d’autres sont méprisés, reptiles, insectes (à l’exception des abeilles, par exemple). Et ça ne date pas d’aujourd’hui, les bestioles représentées sur les parois des grottes préhistoriques sont également des animaux « nobles » au sens moderne du terme. Et ces animaux « nobles » sont également les plus étudiés par les chercheurs. Ainsi les mammifères font l’objet de 39 % des articles mais ne représentent que 9 % des espèces de vertébrés (p. 69). En conséquence de quoi, nous sommes plus sensibles à la défense de ces espéces, qu’à celles qui inspirent de la crainte ou du dégoût (araignées…).

Un autre passage (pp. 70-73) évoque le côté sublime que nous trouvons à la montagne, à l’origine de l’ « amour » pour ces paysages, tout comme ceux du littoral. L’auteure cite ainsi Châteaubriand dans « Voyage au Mont-Blanc » (1805) qui décrit les paysages de montagne d’une façon plutôt hostile : « Ajoutons que le pin annonce la solitude et l’indigence de la montagne. Il est le compagnon du pauvre Savoyard, dont il partage la destinée : comme lui, il croît et meurt inconnu sur des sommets inaccessibles, où sa postérité se perpétue également ignorée. » L’aversion pour les montagnes a toujours eu cours : « séjours de la désolation et de la douleur. » De fait, l’amour pour la montagne est apparu assez récemment avec l’arrivée du tourisme de masse qui démarre au XVIIIe siècle et s’accèlere au XIXe (p. 72). La perception de la montagne est différente pour ceux qui viennent en vacances profiter des paysages et ceux qui doivent tirer un salaire de la terre dans ces contrées, certes belles, mais néanmoins parfois hostiles.

Petit apparté, l’auteure, Valerie Chansigaud, a une passion déclarée pour les animaux, les araignées en particulier, et son ouvrage est effectivement assez centré sur cette composante-là de la nature. Les paysages grandioses de la montagne, du littoral ou même de la campagne sont réduits à la portion congrue. Par choix, probablement. De même qu’on aurait pu voir dans cet essai une discussion sur les différences qu’ont les français et leurs voisins de protéger la nature, parc nationaux, par exemple. La France est tout de même à l’origine de la première réserve naturelle du monde, une réserve « artistique » en forêt de Fontainebleau, mais aucune mention n’en est faite. Certes l’idée n’était alors pas de protéger les animaux, mais surtout les paysages de la forêt, dont étaient friants les peintres de l’époque (École de Barbizon). Plus tard, c’est l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) qui est créée en 1948 lors d’une conférence internationale tenue à Fontainebleau… Les français ont donc malgré tout un peu œuvré pour la protection de la nature. Certes moins que d’autres…

Le chapitre fait la part belle à Élisée Reclus, géographe du XIXe siècle mais aussi anarchiste et précurseur de l’écologie : « l’un des plus grands penseurs français de l’environnement » ; en contraste avec nombre de géographes modernes qui sont capables de décerner le Grand Prix de la Société de Géographie à Claude Allègre en 2010 pour son livre « L’imposture climatique » ! Décision néanmoins contestée par d’autres géographes

Entre bien d’autres choses, l’auteure parle de la chasse. La première organisation pour l’abolition de la chasse date de 1891, l’Humanitarian League, fondée par Henry Stephens Salt en Angleterre (p. 97). En France il faut attendre 1976 pour voir apparaître le Rassemblement des Opposants à la Chasse [1]. Elle revient sur la chasse quand elle parle de l’ambiguïté du discours des politique (p. 117) : « La chasse permet de mesurer le dysfonctionnement démocratique dans le rapport à la nature en France : 1,9 % des Français pratique la chasse alors que le groupe parlementaire favorable à la chasse rassemble 24,6 % des députés et 24,2 % des sénateurs. Juste retour des choses : à bien des titres, la législation de la chasse en France est l’une des plus favorables d’Europe… » [2]

Quant aux citoyens, « ils sont convaincus d’être sensibles à l’environnement, du moment que cette question reste lointaine et théorique » (p. 119). « Les Français paraissent très engagés en faveur de l’écologie puisque 83 % des sondés [3] sont favorables à une diminution du développement économique de leur région si cela permet de préserver la nature, mais ils sont seulement 12 % à s’investir dans une organisation de défense de l’environnement et 5 % à donner de l’argent à ce type d’organisation. Pire : 20 % affirment que « l’engagement dans une association n’est pas la meilleure façon de protéger la nature. » (p. 118) » On comprend ainsi pourquoi une association de protection de l’environnement montagnard comme Mountain Wilderness réunit une très très faible fraction (1500 adhérents) des pratiquants de la montagne (Par exemple 95000 licenciés à la FFCAM qui n’est qu’une des nombreuses fédérations sportives à pratiquer en montagne !)…

Dans cette « ambiguïté du comportement des citoyens », elle fait également le constat que « Choisir de vivre en ville, de ne pas avoir de véhicule et de passer à un régime végétarien serait bien plus efficace que le simple tri des déchets. (p. 119) » Le constat du vivre en ville, je me l’étais déjà fait… Un peu plus loin, p. 144, elle qualifie de fait le goût immodéré des français pour un retour à la terre (retour à la nature) de paradoxal. « Aujourd’hui encore, les sondages montrent que huit Français sur dix opteraient pour une maison individuelle au plus près de la nature. Comme le souligne à juste titre le philosophe Augustin Berque (né en 1945), « c’est que cette exaltation de la nature (comme représentation) aboutit à détruire son objet même : la nature (comme biosphère), par surconsommationde l’étendue et des ressources terrestre. La nature tue la nature. [4] »

« La ville est pourtant un espace essentiel (sans doute le plus essentiel de tous) pour la sauvegarde de l’environnement (y compris de la nature la plus sauvage) : elle permet de réduire considérablement l’impact environnemental par individu car les transports, la gestion des déchets, le chauffage sont plus facilement maîtrisables dans un espace dense de population qu’en habitat dispersé. » (p. 144) L’évidence même, mais bien peu d’écologistes semblent avoir fait ce constat !

Elle évoque également la faiblesse — voire l’absence — de l’écologie politique en France, qu’elle attribut principalement au « poids du conservatisme résultant du système bipartisan. » (p. 113) En effet, « notre pays possède un système électoral particulièrement fermé aux petites formations politiques […]. Une plus grande dose de proportionnelle entraîne l’éclatement des votes au profit d’un grand nombre de partis et oblige surtout, après les élections, à négocier et à former des coalitions. » (p. 111) En conclusion elle milite pour une écologie politique : « Il faut donc promouvoir la protection de la nature pour ce qu’elle est : un idéal politique mêlant démocratie et pluralisme. (p. 146) » Qui aboutirait à un monde plus juste et plus heureux, monde auquel semblent aspirer une majorité de la société… Il faut reconnecter « les questions relevant de la nature » à « celles relevant de la société » (p. 140).

Enfin, elle évoque (timidement) le fait que la protection de la nature ne peut pas se faire sans la science : « Il faut bien comprendre que la sauvegarde de l’environnement est par définition profondément démocratique et réclame nécessairement trois acteurs : une recherche scientifique libre et indépendante afin de disposer de connaissances précises et impartiales ; une société civile pluraliste disposant de moyens d’existence suffisants pour permettre à tous de s’exprimer ; et, enfin, un État bienveillant, capable de financer la recherche et la société civile, fonctionnant de façon transparente notamment pour garantir le traitement équitable des différents acteurs et se soustraire à l’influence des lobbies les plus puissants. » J’évoque ce lien nécessaire entre écologisme et science dans un court billet…

Valerie Chansigaud cite également un roman de Romain Gary, « Les racines du ciel » paru en 1956, qui obtient le prix Goncourt la même année. L’histoire d’un homme qui se bat contre les chasseurs d’éléphant dans l’Afrique colonisée d’après-guerre… Un roman éminament écolo, que je suis en train de lire !

En guise de conclusion, l’auteur dresse dans ce livre un portrait actuel et mis en perspective historique du désamour des français pour la nature, et ce par rapport, entre autre, à nos proches voisins, allemands et anglais. Le fait que nos voisins aient une plus grande appétence pour la nature et sa préservation n’implique pas pour autant, paradoxalement, que la nature (biodiversité, paysages…) soit mieux préservée chez eux (p. 138). Elle n’explique pas vraiment ce paradoxe, si ce n’est que les mesures de protection de la nature ne sont pas plus efficaces ailleurs que chez nous, malgré notre faible mobilisation pour cette cause.

Un essai riche et passionnant, admirablement bien écrit et agréable à lire, avec beaucoup de références historiques et littéraires — bien au-delà des quelques extraits que je rapporte ici —, ce qui en fait une mine d’informations pour qui s’intéresse à l’écologisme. J’en recommande chaudement la lecture ! Et surtout engagez-vous dans des associations qui luttent pour protéger l’environnement : Mountain Wilderness pour les amoureux de la montagne, ASPAS pour les amoureux des animaux et bien d’autres... Évitez quand même les associations dogmatiques et anti-scientifiques, ça ne fait pas avancer le débat dans le bon sens...

[1Devenue Humanité et Biodiversité en 2012, association dont Hubert Reeves est actuellement président d’honneur.

[2Je suis profondément contre cette pratique moyenâgeuse, comme bon nombre de mes concitoyens. Pour lutter contre ce fléau, j’adhère au Rassemblement pour une France sans Chasse (RAC) depuis plus d’un an, et récemment, j’ai pris mon adhésion à l’ASsociation pour la Protection des Animaux Sauvages (ASPAS).

[3Sondage Opinion Way pour l’association Fête de la Nature réalisé en mars 2015.

[4Augustin Berque, in « La ville insoutenable, » 2016, p71-92, « Villes et quartiers durables : la place des habitants. »


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