À la rentrée universitaire 2014, je débutais un cours intitulé « Physique et Société » à l’université Paris Diderot. Dans ce cours, je parle, entre autre chose, du réchauffement climatique. Pour préparer cette partie, j’ai dû lire beaucoup de choses, n’étant pas un spécialiste des sciences du climat. C’est ainsi qu’au détour d’un échange de mails avec des amis, je suis tombé sur le livre de François Gervais : « L’innocence du carbone - L’effet de serre remis en question » paru en septembre 2013 ; l’auteur étant professeur émérite de physique l’université de Tours, je me suis dit qu’en lisant ça, j’aurais des arguments scientifiques étayés en faveur du climatoscepticisme, ce courant de pensée qui nie le réchauffement climatique ou plus récemment l’origine anthropique de celui-ci. Disons que j’avais envie de voir ce que racontent ces gens-là sans pour autant me farcir toute la littérature sur le sujet, qui recèle un large éventail d’arguments bidons.
En fait, autant le dire tout de suite, je n’ai pas réussi à finir ce bouquin. J’en ai lu les quelques dizaines premières pages, puis la suite en diagonale.
De toute façon, l’auteur pose son argumentaire dès la première page, dans l’avant-propos ; page 11, une figure montre l’anomalie de température, c’est-à-dire la différence entre la température mesurée et une température de référence, en fonction de la concentration en CO2. Si les deux sont corrélées, une telle figure doit le montrer. Il prétend que personne n’a pensé à faire ce graphique...
On constate déjà que l’échelle choisie pour les ordonnées est inadéquate, tendant à écraser toute corrélation, si corrélation il y a... La manière de présenter des résultats est assez déterminante ! Comme il veut montrer qu’il n’y en a pas de corrélation, malgré ce que tous les climatologues prétendent, mesurent et simulent depuis plusieurs décennies, il met une échelle qui va dans son sens. Mais ce n’est pas tout...
Intrigué par ce diagramme, j’ai voulu en avoir le cœur net. Je suis allé chercher les données qu’il cite pour faire moi-même le graphique en question.
J’ai ainsi trouvé plusieurs jeux de données (cités par l’auteur à différents endroits de son livre) pour les variations de températures globales de la planète me permettant de refaire cette figure. Des données provenant de mesures terrestres (CRU) et des mesures provenant de satellites (MSU). Les deux jeux ne couvrent pas la même période temporelle (1851-2015 pour CRU, 1978-2015 pour MSU). Par ailleurs, les périodes de références permettant de mettre en avant les « anomalies » de température sont également différentes (1978-1998 pour MSU et 1961-1990 pour CRU).
Les données sur la concentration en CO2 proviennent quant à elles de l’observatoire du Mauna Loa à Hawaï.
Les deux figures suivantes, anomalie de température en fonction de la concentration en CO2, sont ainsi faites avec ces deux jeux de données (MSU et CRU) pour l’anomalie de température.
La figure suivante est un zoom sur la période sélectionnée par François Gervais pour faire sa figure, avec les données MSU, avec à peu près la même échelle en ordonnée. Non seulement il écrase la figure avec son choix d’échelle en ordonnée, mais il en sélectionne une petite sous-partie...
Et malgré cela, contrairement à lui, qui prétend obtenir une corrélation faible, avec une pente légèrement négative (-0,00004 °C/ppm), j’obtiens une nette corrélation avec une pente de +0,007 °C/ppm !
Je me demande comment on peut « trafiquer » à ce point des données pour leur faire dire ce que l’on souhaite. Une attitude complètement « anti-scientifique » et même malhonnête surtout quand il s’agit de séduire un public « non-scientifique » à travers un livre « grand public » pour lui asséner des pseudo-vérités anti-scientifiques. Je suis un peu tombé des nues, si je peux imaginer un hurluberlu lambda procéder à ce genre de chose, je ne pensais pas qu’un professeur émérite de physique dans une université, bardé de distinctions honorifiques de surcroît (comme je n’en aurais jamais !) et ayant occupé moult postes à responsabilités dans sa carrière (comme je n’en aurais jamais !), puisse faire preuve d’une aussi grossière malhonnêteté ! Ceci étant, il y a des antécédents en la matière...
Par curiosité, je suis allé voir un peu plus loin dans son ouvrage, pour tomber sur cette intrigante figure (figure 2, p. 32) :
En superposant ainsi les variations de la température et celle de la variation annuelle de la concentration en CO2, François Gervais entend nous montrer que les variations de la température arrivent avant celle du CO2, et donc que ce sont les variations de températures qui engendrent celles de la concentration en CO2, et non l’inverse !
Comme j’avais les données de températures en poche, je suis allé chercher celles du taux d’accroissement de la concentration de CO2 ou variation annuelle de la concentration en CO2 sur le site de l’observatoire de Mauna Loa.
J’ai bidouillé pour pouvoir superposer ces deux lots de données qui n’ont rien à voir entre eux. Et contre toute attente, ce n’est pas un décalage de 6 mois vers la gauche qu’il faut appliquer au taux d’accroissement du CO2 pour le superposer tant bien que mal aux variations de la température, mais un décalage de 6 mois vers la droite !
Ce qui signifie que non seulement François Gervais trompe encore une fois allègrement son monde en prétendant l’inverse, mais on vérifie plutôt ainsi que le taux de variation de la concentration en CO2 précède les variations de température (et non l’inverse comme il le prétend éhontément). Enfin, les variations temporelles entre les deux quantités se ressemblent effectivement vaguement, mais ce n’est tout de même pas l’entente parfaite... Et je ne suis pas certain que le CO2 « pilote » effectivement la température sur un intervalle de temps de six mois. Mais ceci est une autre histoire que je laisse aux spécialistes du sujet !
Bref. Je passe sur la suite du livre qui est horriblement pénible à lire : autant les frères Bogdanov racontent n’importe quoi dans leurs bouquins, mais on ne peut leur enlever leur talent de conteur qui fait que leur prose se lit comme un bon roman de gare, autant François Gervais raconte n’importe quoi et nous embarque dans des trucs complètement alambiqués. Il parvient même à rendre absconse la physique du rayonnement thermique [1], tout comme la thermodynamique [2], et j’en passe [3]...
J’avoue que je me demande encore et toujours comment (et pourquoi !) un physicien en arrive à pondre ce genre de truc ? La question qui me tarabuste ensuite, c’est comment a-t-il soudoyé les éditions Albin Michel pour qu’elles publient ce pamphlet ? Certes, l’édition tout court ne bénéficie pas de la relecture par les pairs comme l’édition scientifique, mais tout de même, un minimum de rigueur éditoriale serait parfois bienvenu !
La couverture est barrée d’un bandeau rouge où l’on peut lire « Contre les idées reçues » ; idées reçues qui sont des preuves scientifiques ? En tout cas, la falsification de courbes, c’est visiblement l’antienne des climatosceptiques... Et ça, ce n’est pas une idée reçue !
Que dire de plus ?
Je ne sais pas pourquoi Gervais a choisit 1997 et 2010. C’est un choix bizarre. 1997 est une année la nina, 2010 une année el nino. Cela conduit assez inévitablement à faire que la température augmente entre 1997 et 2010. Je veux dire par là que la température en 2010 est plus haute qu’en 1997. Comme la concentration en CO2 est aussi plus haute en 2010 qu’en 1997, on doit s’attendre à ce que la corrélation entre le CO2 et la température soit positive. Mais je vous soupçonne d’être (comme Gervais) un adepte de la régression linéaire. Cette méthode statistique conduit au résultat inverse, (…)
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