Les tribulations d’un (ex) astronome

Colloque « Enseigner la Physique dans le Supérieur »

mercredi 18 juillet 2018 par Guillaume Blanc

En 2015, nous organisions un colloque sur l’enseignement de la physique à l’université, qui a eu un succès tel qu’il s’est exporté à Lyon l’année suivante, puis est revenu à Paris en 2017, pour mieux repartir à Grenoble cette année. Je n’avais pas pu aller à Lyon, je me suis débrouillé pour aller à Grenoble. Les parisiens le déclinent pour l’université, mais pas exclusivement, les provinciaux y mettent tout le supérieur. D’où la subtilité entre « EPU » et « EPS ».

J’y suis allé en touriste, je n’étais pas dans l’équipe organisatrice comme à Paris, et je ne présentais rien. L’année dernière, j’avais fait une présentation de mon cours « physique et société » ; rétrospectivement, je me suis dit que j’aurais pu en faire un poster cette année. Mais au moment des inscriptions, l’idée ne m’avait pas effleurée, j’étais plus préoccupé par trouver un financement pour y aller, mon université ayant refusé de payer les 250 € de mission pour aller m’abreuver de nouvelles idées pédagogiques… Finalement, c’est mon labo qui paya, bien que la thématique du colloque ne soit pas vraiment celle de ma recherche… Je logeais chez un copain avec qui j’avais fait de la montagne au GUMS alors qu’il était à Paris ; il se trouvait être dans l’équipe organisatrice cette année. J’y suis donc allé en touriste, mais en touriste attentif quand même ! Le colloque avait lieu dans les locaux de la Phelma, une école d’ingénieur grenobloise, à deux pas de la gare, les 11 et 12 juillet derniers.

Voici un petit résumé non exhaustif et biaisé...

Il y a eu des présentations fort intéressantes, je vais revenir sur certaines, des ateliers, j’en ai suivi deux sur six, les autres étaient en parallèle, quelques posters. Et surtout une centaine de participants, enseignants-chercheurs, enseignants de prépa ou d’école d’ingénieurs super sympas et enthousiastes.

Quelques présentations de retours d’expériences sur la classe inversée, sur un petit effectif, ou bien sur un grand effectif (amphi)... Dans le concept de classe inversée les étudiants étudient le cours chez eux, sur un livre ou un polycopié, quelques pages, pas plus, et le créneau dédié au cours sert à répondre aux questions mais surtout à vérifier la compréhension du cours par l’intermédiaire de quizz et de QCM, à l’aide de boitiers de vote en amphi ; il sert aussi à faire des exercices d’application directe du cours, les réponses étant données par les étudiants via les boitiers quand il s’agit de grands groupes.

Au passage, lors d’un des ateliers, on nous a présenté l’application « plickers » sur smartphone qui permet de faire des QCM jusqu’à 4 questions, avec réponses nominatives à l’aide de QR codes. C’est génial, mais ça n’existe que pour des effectifs de 60 étudiants maximum. Parfait pour un effectif relativement restreint, ou bien en TD... J’avais pour ma part expérimenté à l’automne dernier l’application « votar », plus basique, mais fonctionnant sur un groupe en amphi.

Un enseignant d’Orsay nous a présenté sa façon d’évaluer les TP, avec grille critériée et fichier excel sophistiqué associé : la grille critériée, c’est évaluer un certain nombre de compétences que l’on segmente en « critères », avec pour chacune d’elle une évaluation qui peut être « sommative » si on met des points selon le niveau de compétence acquis pour chaque critère, ou bien « formative » quand chaque critère est décliné en niveaux d’acquisitions. Elle peut également servir aux deux aspects, le côté sommatif pour l’enseignant, et le côté formatif pour l’étudiant, ce qui lui permet un auto-diagnostic lui donnant son niveau par rapport aux attentes.

Nous avons également eu la présentation d’un outil qui a l’air vraiment bien pour la pédagogie des TP, LabNBook ; c’est un outil développé depuis 10 ans par une équipe de didacticiens grenoblois. Pour le moment il n’est pas accessible à tous, par manque de force vive, mais il est prévu de le déployer en France d’ici un an, et de l’associer à Moodle qui est une plateforme d’apprentissage en ligne largement utilisée dans l’enseignement supérieur.

Un des outils de ce LabNBook est un outil d’ajustement de données « à la main » Fitex, où l’étudiant rentre ses données expérimentales, choisi un modèle mathématique et peut ensuite ajuster les paramètres à la main pour minimiser l’écart entre mesures et modèle... C’est bien plus pédagogique que Matlab que nous utilisons, mais que les étudiants utilisent comme une boîte noire !

Nous avons eu également un retour d’expérience des universités de Nantes et de Marseille qui sont en train de mettre en place une approche par programme. Dans cette approche, une formation est envisagée comme un ensemble, comme un tout et non comme un patchwork de cours plus ou moins dissociés. Cela demande un effort d’anticipation pour réfléchir en amont à l’ensemble de la formation, et cela demande surtout une collégialité entre les enseignants, non seulement pour construire la formation, mais aussi et surtout au moment des enseignements, où la communication est primordiale. C’est ce que l’on essaye de faire à l’université Paris Diderot au sein de l’UFR de physique, mais ça reste relativement artisanal : pas de moyens alloués, car aucune volonté politique pour aller dans ce sens, c’est la « base » qui met ça en place. Contrairement à Nantes ou Marseille où la volonté vient d’en haut avec les moyens qui vont avec, dont un accompagnement pédagogique avec des ingénieurs spécialisés.

Une sociologue et une didacticienne ont fait une présentation particulièrement intéressante, disant que lors de la mise en place de la loi ORE (Orientation et Réussite des Étudiants), le ministère n’avait pas tenu compte des résultats de la recherche en pédagogie, et notamment que le fait de mettre à part les étudiants en difficulté, les « oui si », ne fonctionne pas, car cela les stigmatise et les conforte dans leur idée « qu’ils n’y arriveront pas ». A priori il vaut mieux trouver des outils pour gérer l’hétérogénéité. En tout cas, le fait de mettre à part les étudiants les plus faibles ne fonctionne pas si les obstacles conceptuels que rencontrent ces étudiants ne sont pas pris en compte dans l’enseignement (résultat de la didactique).

Voici un article de Mary David et Nathalie Lebrun qui résume cette présentation : « Des dispositifs de remédiation en licence pour faire réussir les étudiants : vraiment ? »

Quelques idées issues de cet article :

Le soutien scolaire (secondaire) en dehors des heures de cours ne fonctionne pas :

« les recherches soulignent que les dispositifs les plus efficaces sont ceux qui favorisent l’apprentissage collectif et simultané. Ils sont internalisés, c’est-à-dire qu’ils se déroulent en classe, avec tous les élèves, en groupe hétérogène, et articulent remédiation méthodologique et savoirs disciplinaires. Ils sont d’autant plus bénéfiques qu’ils sont réalisés au fur et à mesure du cursus de formation, et non en amont ou dans les interstices du temps de travail. »

Le tutorat par les pairs (université) ne fonctionne pas :

« [...] la progression dans l’acquisition disciplinaire et l’amélioration de la réussite n’est pas significative et sa contribution à la lutte contre l’échec reste à démontrer (difficultés d’organisation, diversité dans la préparation des séances, forte hétérogénéité des activités à contenus disciplinaire versus compétences transversales). »

Il vaut mieux faire connaissance avec les étudiants pour leur proposer un cursus adapté plutôt que de les envoyer directement dans des dispositifs de remédiation sur la seule connaissance de résultats préalables (par exemple les résultats de la Terminale pour une première année universitaire, comme le souhaite la loi ORE), et ce tout au long du cursus :

« l’accompagnement précoce des étudiants en difficulté est jugé peu efficace, contrairement aux dispositifs proposés au bout de quelques mois, puis tout au long du cursus, qui ont laissé le temps aux enseignants de connaître les réelles difficultés de leurs étudiants et aux étudiants de prendre conscience de leurs lacunes disciplinaires et méthodologiques, et parfois d’avoir résolu les obstacles externes à l’apprentissage (meilleure gestion du temps d’étude avec celui consacré à un job, amélioration des conditions familiales grâce à une assistance sociale et/ou psychologique, etc). »

La méthodologie du travail universitaire doit se faire en synergie avec le savoir disciplinaire pour être efficace, ça tombe bien, c’est ce qu’on a prévu de faire, car nous avons le projet de mettre un tel enseignement en place (j’aurais l’occasion d’en reparler) :

« Le gage de la réussite d’un enseignement méthodologique est au contraire « l’ancrage des thèmes abordés dans le travail disciplinaire et quotidien des étudiants qui donne du sens à l’activité pour les étudiants » »

Et enfin, il s’agit d’adapter (améliorer) nos pédagogies :

« Si l’objectif réel du gouvernement était d’améliorer la réussite et d’accentuer la démocratisation du supérieur, l’État favoriserait, notamment par le financement et la formation des enseignants, la prise en compte des résultats des recherches en éducation. Cela suppose des changements drastiques dans l’enseignement scolaire et universitaire, et notamment des transformations des pratiques pédagogiques, dont l’effet sur les apprentissages des élèves est significatif [1] ([toutes les pratiques ne se valent pas]). Il est notamment souhaitable de développer la différenciation pédagogique simultanée et internalisée (en classe) favorisant l’apprentissage par les pairs, les étudiants faibles étant aidés par les étudiants plus dotés scolairement. »

Un projet de mise en commun de questions de maths nous a été présenté pour que les étudiants en physique (ou en science de manière générale) puissent faire leurs gammes et s’exercer au calcul : Maths4Sciences.

L’autre atelier auquel j’ai assisté, était une table ronde sur faut-il encore savoir calculer de tête et que faut-il encore savoir par cœur ? Les intervenantes étaient quatre femmes, car ce qu’il y a de bien aussi dans ces colloques, c’est la parité. Quasiment autant d’hommes que de femmes. Même si c’est une parité biaisée, car en physique de manière générale, il n’y a que 25 à 30 % de femmes, les femmes s’intéressent donc plus à l’enseignement et à la pédagogie, et donc moins à leur carrière, car celle-ci se construit sur l’aspect recherche et non sur la partie enseignement, qu’il faut souvent bâcler pour accéder à ses ambitions. Ce qui confirme le fait qu’il y a encore moins de femmes dans les derniers échelons et sur les postes à responsabilité dans les métiers de la recherche et de l’enseignement supérieur. Bref. Ce biais a donc là un côté sympathique ! Mais pour revenir au débat, je n’en ai pas tiré grand-chose en définitive, chacun a ses idées, campe sur ses positions, quant aux miennes d’idées, je ne sais pas trop ce qu’elles sont, mais elles ne sont pas vraiment plus claires. Je calcule mal de tête, je connais très peu de choses par cœur, et même si je conviens que savoir faire des calculs rapidement et savoir beaucoup de choses permet de mener des raisonnements rapidement. Mais néanmoins les outils existants, calculatrice, par exemple, Internet aussi, sont très utiles pour tout ça. Pourquoi s’en passer ? Nous avons toujours le débat avec mes collègues de savoir s’il faut autoriser la calculatrice aux examens ou pas. Je pense que oui, qu’il est inutile d’apprendre la table des logarithmes par cœur ou d’apprendre à les calculer comme c’était le cas avant, par contre savoir se servir d’une calculette, cela s’apprend aussi. Et bientôt, les logiciels de calcul formel, comme WolframAlpha, en ligne, feront peut-être qu’il n’y aura plus besoin de savoir calculer des intégrales compliquées à la main… Quant à savoir tout par cœur, outre les quelques formules principales du cour, est-ce bien nécessaire ? Il vaut probablement mieux savoir retrouver et redémontrer les principaux résultats. Mais souvent les étudiants apprennent les exercices par cœur et balancent sur leurs copies des logorrhées à côté de la plaque, forcément.

Une autre intervention que j’ai trouvé intéressante est celle d’un enseignant en physique qui revenait sur la difficulté des étudiants avec les mathématiques, et nous a fait part d’une situation psychologique qui est l’ « impuissance acquise » qui pourrait expliquer le sentiment d’impuissance, justement, de bon nombre d’étudiants devant l’apparente difficulté des mathématiques. Pour sortir de ce schéma, il s’agit donc de passer d’un effet Golem, phénomène psychologique qui fait que des attentes faibles envers un individu le conduisent à des performances moindres, à un effet Pygmalion, où l’on relève les attentes pour que les performances suivent le même schéma. Il faut donc probablement sortir de l’état de fait que les maths, c’est dur (ce qui ne peut pas faire de mal, quoiqu’il en soit) !

Les organisateurs de ce colloque m’avaient demandé, en temps qu’organisateur d’autres éditions, de dire quelques mots à la fin, de même que Aude Caussarieu, qui avait organisé l’édition 2016 à Lyon. Plutôt que de faire un résumé subjectif des ateliers et interventions, car finalement chacun et chacune y puise ce qu’il ou elle souhaite y puiser, je suis simplement revenu sur le plaisir que j’ai toujours à organiser et à assister à ces colloques. C’est une constante depuis le début, ce plaisir que j’ai à passer ces deux jours à discuter d’enseignement. Et je constate que je ne suis pas le seul dans ce cas. Depuis la première édition l’amphi reste plein du début jusqu’à la fin, tout le monde écoute, pratiquement aucun ordinateur ne trône sur les tables. C’est un colloque rafraîchissant dans le sens où non seulement les présentations sont compréhensibles (et en français :) – ça compte ! —, mais aussi où les expériences pédagogiques relatées sont plus ou moins réussies (et souvent au succès difficilement quantifiable) ce qui amène à beaucoup d’humilité et de respect mutuel. Contrairement à ce qu’on peut voir dans des conférences de physique… Aude a mis l’accent sur les évolutions que l’on peut deviner en filigrane au fil des ans, à savoir une présence de jeunes doctorants plus prononcée cette année, ainsi que des présentations de projets pédagogiques collectifs, dont la mise en place de l’approche par programme semble être l’archétype. Alors que jusque-là, nous avions des présentations d’initiatives essentiellement individuelles, ce qui reste le cas, mais l’approche collective semble néanmoins s’immiscer dans les esprits…

Je suis reparti le moral gonflé à bloc, motivé non seulement pour inverser mon amphi, mettre de l’excel et du Fitex dans mes TP, dénouer les nœuds conceptuels, etc, mais aussi pour organiser la prochaine édition en région parisienne. À suivre…

[1J’ai encore entendu lors d’une réunion lundi un collègue dire que peu importe que l’on mette de la pédagogie (ou pas !), il y aura toujours une grosse fraction de nos étudiants qui seront en échec ; il a même utilisé le terme « excès de pédagogie »… Les bras m’en sont tombés, je n’ai pas su quoi répondre…


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