Des enseignements systématiques sur les enjeux écologiques dans le supérieur
Cet article a été publié le vendredi 2 juin par AOC. Quelques liens supplémentaires sont donnés ici.
La nécessité d’enseigner les enjeux socio-écologiques de manière systématique dans l’enseignement supérieur est devenue évidente depuis la parution du rapport du think tank The Shift Project en 2019 dans la lignée du Manifeste étudiant pour un réveil écologique. Très rapidement s’est posée la question de comment instruire simultanément des dizaines de milliers d’étudiant·es. Les établissements et les enseignant·es-chercheur·ses se sont emparé·es de cette question pour expérimenter différentes solutions compte tenu de différentes contraintes : des cours massifs sous forme de vidéos ou à distance qui regroupent des cohortes de plusieurs centaines ou milliers d’étudiant·es, des enseignements optionnels, des enseignements obligatoires inclus dans des mentions plus ou moins disciplinaires, etc. Aucun n’est parfait pour atteindre les objectifs fixés notamment par le rapport Jouzel-Abbadie de février 2022, à savoir former 100 % des étudiant·es de Licence d’ici 2027. La solution en apparence la plus simple est celle de MOOC (Massive Open Online Course – des cours en ligne généralement sous forme de vidéos) ou SPOC (Small Private Online Course) ou d’enseignements à distance qui s’est vu concrétiser pendant la pandémie du covid, pour enseigner à un grand nombre d’étudiant·es avec peu de moyens humains, est à proscrire au maximum : l’enseignement de ces enjeux est susceptible de générer de l’anxiété suite à la prise de conscience de l’état de la planète. Il serait inhumain de laisser les étudiant·es seuls face à eux/elles-mêmes devant ce constat. La présence d’un·e (ou plusieurs) enseignant·e est donc un nécessaire accompagnement. Les enseignements optionnels ne résolvent pas la question de la massification, ils ne touchent qu’une partie des étudiant·es, volontaires.
Une proposition d’application réaliste dans les universités, compte tenu des moyens limités, serait la suivante.
Un cours d’introduction sur les enjeux socio-écologiques peut durer de 20 à 30 h, soit 1 à 2 % du volume horaire d’une Licence, et donc s’insérer relativement facilement dans une maquette pédagogique. C’est un minimum [1], tant le sujet est vaste et complexe, mais ce volume horaire permet néanmoins des prolégomènes acceptables. Il y a d’innombrables manières de présenter ces sujets et de mettre en exergue certains thèmes plus que d’autres, selon les disciplines des maquettes, par exemple. Quelques-uns semblent cependant incontournables, comme de donner des éléments épistémologiques sur comment s’élabore la connaissance scientifique, introduire les limites planétaires avec leur imbrication causale et la grande accélération. Il est important, enfin, de mentionner et de discuter les solutions envisageables à ces problèmes systémiques et reliés entre eux [2]. Et donc de parler du concept de décroissance [3] qui permet de réenchanter les perspectives : diminuer les pressions sur l’environnement tout en remettant du bien-être humain au cœur des sociétés. Un cours magistral peut toucher 100 à 200 étudiant·es en présence simultanément. Des moyens supplémentaires peuvent être éventuellement déployés pour des travaux dirigés ou des projets en plus petits groupes. Ce type d’enseignement minimaliste nécessite une équipe réduite, de 1 à 5 enseignant·es, idéalement de disciplines diverses pour aborder des aspects spécifiques. Soit 4 à 5 h de cours par enseignant·e. Les cours magistraux peuvent s’imaginer sous des formes actives, de façon à laisser de la place et du temps pour des échanges en amphithéâtre [4]. De surcroit, une cellule pédagogique réduite permet d’être plus résiliente et notamment de s’adapter plus facilement à l’évolution des connaissances et des faits.
Le déploiement à grande échelle peut se faire par essaimage successif d’un département d’une université à l’autre, voire d’une université à l’autre. Les enseignant·es spécialistes d’un sujet pourraient décliner un même cours devant plusieurs promotions étudiantes. Voire même entre plusieurs universités proches et ainsi tisser un réseau. Cela n’empêche pas la nécessité pour les enseignant·es de se former de manière autonome grâce à la multitude de ressources qui existent désormais, ainsi qu’avec l’aide de collègues. Du temps doit être dégagé, par exemple sous la forme d’une décharge annuelle d’enseignement de 30 à 50 h sur quelques années (l’équivalent d’une décharge pour responsabilité administrative) devrait être proposée par les universités pour les enseignant·es volontaires afin de leur donner le temps nécessaire pour cette acquisition de connaissances et pour les transformer en enseignements. Les traditionnels congés pour projets pédagogiques sur six mois ou un an ne sont pas adaptés : se former sur ces enjeux et créer un enseignement nécessite du temps étalé sur la durée ; un tel congé est également dissuasif dans le sens où il oblige les enseignant·es à retrouver un service complet à son issue. Les réseaux d’enseignant·es du supérieur s’intéressant à ces enjeux sont en train de s’organiser, on peut citer Labos1point5 qui recueille des retours d’expériences, qui propose un colloque national sur le sujet en juillet 2023, et qui lance une revue spécialisée dans l’enseignement des enjeux socio-écologiques. Ainsi, en l’espace de quelques années, une majorité d’étudiant·es pourrait ainsi être formée de manière humaine.
Des certifications sont inutiles : cela augmenterait le temps administratif pour un calibrage obligatoire, ainsi que le coût des formations, et serait ainsi contre-productif dans un espace contraint notamment par les ressources humaines. De surcroît une certification uniformise les connaissances, alors que la complexité interdisciplinaire des problèmes environnementaux nécessite au contraire des connaissances multiples : si les cours ne sont pas identiques les uns aux autres, tant mieux ! Dans le même ordre d’idée, plus que des compétences, ce sont des connaissances qui sont nécessaires. Les compétences (donc liées à des métiers) viendront par la suite, il est illusoire de vouloir les définir a priori pour un véritable changement structurel de la société : qui sait ce qui sera utile ? La diversité des parcours, des origines, des sensibilités feront que les « compétences » adéquates seront forcément présentes. Pour faire émerger ces compétences, les connaissances sur les enjeux socio-écologiques sont ce qu’il y a de plus important.
Le principal levier à actionner pour aller vers une massification indispensable de ces enseignements est de faciliter le travail des enseignant·es-chercheur·ses qui souhaitent le faire : incorporer le cours dans l’emploi du temps, idéalement en deuxième année de Licence afin de permettre aux étudiant·es d’avoir un minimum de recul sur leur discipline tout en leur permettant de s’ouvrir sur cet aspect de la société ; donner du temps aux enseignant·es sous la forme d’une décharge pluriannuelle et enfin, reconnaître cet investissement pédagogique dans leur carrière.
[1] L’organisation étudiante « Pour un réveil écologique » demande qu’il y ait au moins 100 h d’enseignement sur les enjeux socio-écologiques en Licence.
[2] Voir « Moins pour plus », Jason Hickel, 2022.
[3] Voir par exemple : « The political economy of degrowth », Timothée Parrique, Thèse de doctorat, 2019.
[4] Par exemple en « classe inversée » ; voir : « La pédagogie inversée », sous la direction de Ariane Dumont et Denis Berthiaume, DeBoeck Supérieur, 2016.
Guillaume Blanc
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La facilitation18 août 2023, par Olivier Ridoux
Bonjour et merci pour cet article que j’apprécie surtout pour sa fin que je partage à 100 %. Oublions les certifications qui sont l’antithèse de l’autonomie universitaire. Oublions les compétences, les enseignements dont on parle ici ne doivent pas devenir les otages des pédagogistes. Mais n’oublions pas que depuis notre dernière certification, doctorat, HDR, que sais-je, nous n’avons jamais cessé de nous former. J’enseigne aujourd’hui des choses qui n’existaient même pas en rêve quand j’étais étudiant.
Vous finissez par l’idée de facilitation et je voudrais la développer un peu car je crois que ça manque dans votre article. Je vois essentiellement deux axes de facilitation, et qui me semble tous les deux être largement entre les mains des directions des universités. 1- Désinhiber les enseignants-chercheurs. Je pense qu’on trouvera dans tous les départements d’une université des collègues sensibles (voire tourmentés) par ces questions, mais qui ne s’autorisent pas à trouver légitime d’en parler dans un cours, et spécialement dans un cours de *leur* discipline. Il faut leur dire qu’ils sont légitimes et qu’enseigner ces questions est légitime. 2- User du pouvoir de cadrage d’une direction est décider que ces enseignements doivent obligatoirement être proposés. Le cadrage s’arrête là. Au-delà ça serait de l’abus de pouvoir. On décide cela avant même de savoir qui le fera et ce qu’on y mettra. C’est de l’urbanisme pédagogique. Sans un tel cadre les départements ne sauront pas arbitrer en faveur de ces enseignements tellement il y a de forces antagonistes qui s’exercent sur les programmes.
On voit que ces deux axes sont des axes d’exercice de la confiance envers les enseignants-chercheurs (sans naïveté, d’où l’axe 2). Et on touche là un point crucial, car trop souvent nos directions font plus dans la défiance que dans la confiance.
Évidemment, les débuts seront chaotiques, mais pas plus que quand sont arrivés les premiers enseignements d’informatique ou de théorie de l’évolution. Il faut accepter cela. Il faudra aussi aider tous ces collègues qui se seront saisis de cette confiance de leur établissement en les constituant en réseau pour avancer et échanger. Réseau avec décharge pour qu’il soit effectif.
Bien cordialement, Olivier
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La facilitation19 août 2023, par Guillaume Blanc
Bonjour, Merci pour votre message... J’ai abordé le premier point que vous mentionnez, sous un angle un peu différent, dans un autre article publié dans AOC (et sur le site de Labos1point5) : https://labos1point5.org/les-textes-positionnement/OserEnseignerTransition#textecollectif, notamment sur la question de la légitimité d’un enseignant-chercheur pour faire un tel cours, quel que soit sa discipline originelle. Je suis évidemment d’accord avec votre point 2, sur le cadrage et la confiance. Quant au réseau, il est en cours de constitution notamment via le colloque ETES, à l’issue duquel une liste de diffusion pour les participants et au-delà a été mise en place. N’hésitez pas à nous rejoindre (me demander) et/ou l’équipe enseignement de Labos1point5 (https://labos1point5.org/rejoindre-gdr).
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