En plein délire...
Je nage en plein délire ces temps-ci. Je viens de terminer la lecture du livre de Georges Charpak et Henri Broch : « Devenez sorciers, devenez savants », sorte de pamphlet condamnant, preuves à l’appui, la notion de para-science, mais j’ai surtout été effaré de constater que tant de mes concitoyens croient à la télépathie, à l’astrologie, à la télékinésie, aux sourciers et j’en passe, y compris, et surtout, parmi ceux qui sont le plus éduqués, étudiants, professeurs... Et puis, tandis que j’étais en pleine lecture, j’ai eu la surprise de recevoir un commentaire sur mon blog de la part d’Igor Bogdanov, sur mon article critique de leur livre, « le visage de Dieu ». Alors pourquoi il s’est fendu d’un article long comme le bras pour critiquer certaines de mes critiques, est un mystère qui s’ajoute aux autres à son sujet ! Je suis en train de lui répondre, je publierai cela par ici incessamment sous peu. Si j’ajoute que je suis passé à la FNAC récemment, pour constater que dans le petit rayon de livres sur le jardinage, on trouvait en exposition pas moins de cinq — CINQ ! — livres différents sur comment jardiner avec la Lune ! Tandis que dans le rayon d’à-côté, le livre des Bogdanov était en cinquième position du hit-parade des sciences sociales. Encore un peu et je vais voir une soucoupe volante atterrir devant ma fenêtre...
Voilà donc pourquoi je nage en plein délire ! Les croyances en tout genre ont bon dos de nos jours, tandis qu’à la véritable science on fait le gros dos. Bondieuseries, parapsychologie, et cie font vivre nombre de charlatans : la crédulité des gens m’étonnera toujours. La science fait peur, à une époque où pourtant tout un chacun passe sa vie sur l’internet, se rue sur le dernier gadget smartphone, télé à écran plat, GPS et autre bijou de la technologie. Bref, la science est absolument partout, elle régit notre vie quotidienne à chaque minute (ordinateurs, téléphones portables, internet, voitures...), mais on la dénigre, on a peur d’elle, on lui préfère des explications fumeuses et imaginer des êtres surnaturels censés guider, expliquer, donner la vérité. On a besoin de pouvoirs supra-normaux lunaires pour faire rougir des tomates, d’improbables ondes magnétiques pour guérir un mal de dos, on fait valser les termes scientifiques pour vendre des radiateurs qui chauffent sans consommer d’énergie. Des mots savants connectés pêle-mêle dans des phrases sans queue ni tête, qui servent de caution. Ils perdent toute leur substance au passage, mais qu’importe, ça fait « savant. » Ce qui fait savant à la côte, ce qui l’est ne l’a pas. Allez comprendre...
Déconnection entre la science et ceux qui la font et ceux qui l’utilisent quotidiennement mais ne le savent — apparemment — pas. Un besoin croissant d’irrationnel devant l’avancée grandissante du rationnel. La compréhension du monde qui nous entoure serait-elle suffisamment effrayante pour qu’on se réfugie dans des mondes imaginaires inventés de toute pièce ?
Guillaume Blanc
Articles de cet auteur
forum
-
En plein délire...15 octobre 2010, par Jacques Bolo
Quand vous dites : « j’ai surtout été effaré de constater que tant de mes concitoyens croient à la télépathie, à l’astrologie,... » cela signifie surtout que les scientifiques ne font pas leur travail de vulgarisation. Ce n’est pas la peine ensuite de se plaindre quand les Bogdanov s’y essaient. C’est pour cela que je m’interesse personnellement à la sociologie : pour étudier le monde humain réel, pas celui que les scientifiques croient être dans la tête de certains de leurs collègues (auxquels ils accordaient le bon dieu de la science infuse sans confession). La méthode scientifique consiste à admettre que cette croyance est donc fausse.
-
En plein délire...19 octobre 2010, par Guillaume
Je reviendrais sur les croyances au paranormal dans un prochain article ; Henri Broch n’a pas la même conclusion que vous pour expliquer la recrudescence des croyances à l’heure actuelle.
Toujours est-il que vous avez raison : les Bogdanov ont exploité une brèche dans la littérature de vulgarisation (même si cela ne les autorise pas à écrire n’importe quoi) de la cosmologie. Le dernier bon bouquin de vulgarisation que j’ai lu dans ce domaine était « les rides du temps » de George Smoot, qui date pas mal désormais. Ceci étant, et bien que je ne les ai pas lu, je peux me porter garant d’ouvrages tels que : « Matière sombre et énergie noire : Mystères de l’univers » de Alain Bouquet, ou encore « L’Univers dans tous ses éclats : Que se passe-t-il aux confins du Cosmos ? » de Alain Mazure et Stéphane Basa. Évidemment, ces auteurs sont moins en vogue que les Bogdanov, leurs livres sont passés plus inaperçus. Peut-être racontent-ils moins bien les histoires, aussi. Mais au moins ce qu’ils racontent est juste !
À décharge de mes collègues, je dirais qu’écrire un livre de vulgarisation de sciences (cosmologiques) qui sont à la pointe de la recherche, n’est pas un exercice facile (et de surcroît pas vraiment valorisé dans une carrière à l’heure actuelle). Tout le monde n’a pas la plume d’un Reeves ou d’un Luminet... Si les Bogdanov s’étaient alliés officiellement avec des chercheurs pour écrire leur truc, je n’aurais probablement rien trouvé à redire.
Par ailleurs, quand vous dites :
« [...] la sociologie : pour étudier le monde humain réel, pas celui que les scientifiques croient être dans la tête de certains de leurs collègues (auxquels ils accordaient le bon dieu de la science infuse sans confession). La méthode scientifique consiste à admettre que cette croyance est donc fausse. »,
je ne suis pas sûr de bien comprendre ce que vous voulez dire. Mais à lire votre texte « Crise de la recherche » je m’aperçois que les méthodes, les objectifs, les résultats diffèrent pas mal entre sociologie et sciences « dures » (comme la physique puisque je connais un peu celle-là !). Parce que j’ai au contraire plutôt le sentiment de savoir ce qu’il y a (à peu près) dans la tête de mes collègues : la physique ne dépend pas de celui qui la pense ! Contrairement à la sociologie, si je ne m’abuse...
-
En plein délire...20 octobre 2010, par Jacques Bolo
Vous vous abusez ! La sociologie consiste à vérifier par l’enquête et pas à « avoir le sentiment ». Sinon, je faisais allusion au fait que les physiciens (par ex.) ont toutes sortes d’idées et de croyances (sans parler des différents états de connaissance dans l’histoire).
Les sciences dures ont un peu tendance à considérer les questions comme réglées (c’est sûr que les questions réglées sont réglées). En fait, c’est ça le pb : les croyances paranormales se réfèrent aux questions qui ne sont pas réglées pour ceux qui y croient. Dans le cas où la question est réglée pour d’autres, encore faut-ils que ces derniers soient capables de le communiquer.
Si vous croyez savoir ce que les autres physiciens ont dans le crâne (en physique), c’est parce que vous êtes capable de refaire la démonstration. C’est pareil ailleurs. C’est une question de diffusion des connaissances. Si vous ne voulez pas qu’il y ait de la mauvaise vulgarisation, il faut s’astreindre à en faire de la bonne.
-
En plein délire...20 octobre 2010, par Guillaume
Bien sûr que la sociologie s’emploie à « vérifier par l’enquête », mais peut-être que les résultats obtenus sont moins gravés dans le marbre que ceux de la physique... ?
Pour ce qui est de la physique, elle est quand même dotée de bases relativement solides, et grosso modo seules les avancées actuelles sont spéculatives (car ce qui est réglé est à peu près réglé ; même si la notion de « certitude » n’existe pas vraiment), et amènent les scientifiques à discuter et proposer divers scénarios. Scénarios qui sont ensuite validés (ou pas) par les observations et les expériences.
Les croyances paranormales sont des croyances, et bien souvent ceux qui y croient ne savent pas que la science a déjà réglé la question (d’où le problème de manque de communication) : jardinerie avec la Lune, sourcellerie, suaire de Turin... Voir par exemple Les phénomènes « paranormaux »... au secours de la culture scientifique ou le laboratoire de zététique... Par ailleurs aucune preuve n’existe, à l’heure actuelle, de tels phénomènes.
Quant à la diffusion des connaissances dans ce domaine, je m’y frotte un tout petit peu sur ce blog (l’article « coup de lune » a pas mal de succès), Henri Broch a écrit pas mal de livres sur le sujet, mais les croyances semblent avoir la vie dure !
« Si vous ne voulez pas qu’il y ait de la mauvaise vulgarisation, il faut s’astreindre à en faire de la bonne » : je suis complètement d’accord. Mais je crois que ça n’empêchera pas la mauvaise d’exister (clamer que la Lune n’a pas d’impact sur la pousse des tomates n’empêchera pas ceux qui publient des calendriers de jardinage lunaire de faire leur beurre), et j’estime qu’il est de notre devoir de scientifique, de se prononcer sur la bonne et la mauvaise vulgarisation afin que le public puisse s’y retrouver. Mais c’est aussi un peu du devoir des journalistes de ne pas entretenir des mythes infondés. L’histoire du sarcophage d’Arles-sur-Tech dont j’ai récemment pris connaissance dans un livre d’Henri Broch, est éloquente à ce sujet : entretenir le mythe est souvent plus vendeur que de découvrir la vérité scientifique.
Je crois que le problème est plus complexe que la seule responsabilité des scientifiques, et l’analyse qu’en fait Henri Broch dans l’article cité ci-dessus mérite réflexion.
-
En plein délire...23 octobre 2010, par Jacques Bolo
En fait, c’est bien la sociologie qui a montré à Henri Broch l’écart entre les connaissances supposées et les croyances parapsychologiques diverses, y compris chez les étudiants en science (voir : http://www.unice.fr/zetetique/zetet...) ! Ces apports sociologiques sont aussi « gravées dans le marbre » que la physique. Comme serait gravée dans le marbre l’ignorance de ce phénomène pour celui qui l’ignore.
Je suis également assez sceptique sur l’efficacité actuelle des rationalistes (Broch compris) pour lutter contre les superstitions diverses. Ce n’est pas de la seule responsabilité des scientifiques, encore qu’ils pourraient vraiment faire un peu plus d’efforts en général (Broch est plutôt l’exception que la règle). Effectivement, les journalistes passent leur temps à diffuser les mythes les plus éculés (de ce point de vue, on pourrait même dire que les Bogdanov font de la science avec leur science-fiction en cela qu’ils travaillent au moins sur des mythes contemporains).
Dans mon livre (http://www.jacquesbolo.com/), je traite en fait des croyances (phénoménologiques) qui concernent bien la question des pouvoirs de l’esprit par opposition à la vile matière qu’est supposée représenter l’intelligence artificielle. Cette pensée est assez dominante dans les sciences humaines. Elle correspond à la résistance à la science qui se manifeste depuis la fin du XIXe siècle.
On peut aussi dire que les sciences dures, imitant en cela le dualisme prudent de Descartes (prudence du fait de l’inquisition - pas d’excuses actuellement) n’affrontent pas scientifiquement les questions des sciences humaines en les laissant aux charlatans au nom de la « mollesse » de ces sciences.
-
Site réalisé avec SPIP + AHUNTSIC
Visiteurs connectés : 6