Copies
Il est là, dans un coin, tranquille, il attend. Il attend entre deux couches géologiques de paperasses sur mon bureau que je daigne lui prêter quelque attention. Je repousse sans arrêt l’instant fatidique. Le choper et lui tordre le cou, au paquet de copies. Un petit partiel, un bout d’examen, et hop, me voilà avec un potentiel de travail sur les bras. Corriger des tas de copies. Un tas. Plus ou moins épais. Souvent rebutant.
Aller, il faut bien s’y mettre, en fin de compte. Les premières sont les plus longues. Aller-retours fastidieux entre corrigé, barème et copie. Un crayon de couleur — rouge — ou vert ! — à la main. Des copies formatées, estampillées « université, » anonymes, cachetées. Mais personnalisées par le coup de stylo de chaque étudiant.
Des copies souvent décourageantes, trop vides, trop pleines de vides, ou trop pleines de rien. Des kilomètres d’écritures et de formules pour n’aboutir à... rien ! Il faut souvent aller à la pêche au point, un petit « 0.25 » par ici, extrait d’un fouillis inextricable de choses et d’autres, un autre « quantum » par là. Parfois, — Ô miracle — les idées s’enchaînent naturellement, mais c’est rare. L’exception. La règle étant la copie vide de sens, sur laquelle il faut s’acharner pour lui en donner, du sens. Des perles, pathétiques.
Des copies sales, au français approximatif — quand il y a des phrases ou des ersatz de phrases au milieu de formules mathématiques vides —, raturées, à charge au correcteur d’aller chercher le résultat là où il se trouve — on ne va tout de même pas encadrer la chose ! À charge au correcteur de le mettre dans le sens (unités, variables...), le résultat. Quant à la justification des relations utilisées, des raisonnements faits, elle est nécessairement évidente, n’est-ce pas ? Pourquoi s’appesantir dessus ?
Je sature très vite à cet exercice imposé. Quelques copies, et hop, l’esprit vadrouille ailleurs. La moindre tentation et on se laisse tenté — tiens, un nouveau courriel ! Le temps s’étiole, les copies corrigées s’empilent difficilement. Le tas fatidique diminue avec une exaspérante lenteur. La date limite pour rendre les notes se rapproche irrémédiablement, il faut mettre les bouchées doubles. Heureusement, ça va de plus en plus vite, barème en tête, corrigé aussi. Plus ou moins. Tentative fructueuse de parallélisation, exercice par exercice, plutôt que copie par copie. Taylorisme. Je profite des heures de RER, pour diminuer le tas de quelques unités. Toujours ça de gagné.
Les premières sont particulièrement dures, car le tas ne diminue pas. Un goût d’identique avant/après. En revanche la dernière douzaine défile curieusement à toute vitesse. La carotte de voir la fin, enfin. Dernier coup de crayon rouge (ou vert ou bleu ou noir), c’est fini. Bouclage sur l’ensemble. Et voilà.
Guillaume Blanc
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