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Manif’
Il faut bien commencer un jour... Jusqu’à présent, je n’avais pas de raisons sérieuses d’aller battre le bitume. Même si ma « première » aurait pu être en 2001 contre Le Pen, mais j’étais alors aux États-Unis, ou encore en 2004, pour Sauver la Recherche, mais j’étais alors en Italie. Bref, je suis un mouton du pouvoir en place, peu intéressé par les choses de la cité, politique à laquelle je ne comprends pas grand-chose finalement, me disant souvent qu’il vaut probablement mieux aller de l’avant, plutôt que de piétiner sur place. Laisser les dirigeants diriger tranquillement, en somme.
Certes. Mais je suis en train de voir les limites de ce raisonnement. À mes dépends. Parce que si les dirigeants se fourvoient dans la mauvaise direction, justement, il vaut mieux vaut veiller au grain. Et ça arrive, qu’ils se fourvoient tout dirigeants qu’ils sont.
C’est ainsi que fin janvier différents projets de décrets concernant en prime abord le statut des enseignant-chercheurs ont été épinglés par des universitaires vigilants. Décrets qui viendraient remplir la coquille jusque-là vide de la loi LRU (Libertés et Responsabilités des Universités) sur la soi-disant autonomie des universités. Clef de voûte du projet. Si deux ans auparavant je n’étais pas parvenu à cerner les éventuels travers de cette loi pourtant décriée alors par les étudiants, depuis qu’elle est entrée en application, en janvier de cette année, dans une vingtaine d’universités « pilotes », dont la mienne, on ne cesse de voir l’autocratie de certains présidents qui détiennent désormais des pouvoir accrus, au détriment des personnels, des étudiants et de la démocratie. L’autonomie rêvée, ce n’est pas encore ça...
Un mouvement de protestation s’est ainsi cristallisé contre le projet de décret sur le statut des enseignants-chercheurs, et contre le projet de masterisation du recrutement des enseignants du primaire et du secondaire. J’avoue que c’est le premier qui m’emporta dans la rue de prime abord.
Ma première manif’, ce fut le 29 janvier. Diverses composantes de la nation, pas seulement les enseignants-chercheurs et les chercheurs, c’était assez gros, et assez statique : pied de grue autour de la colonne de Juillet qui supporte le Génie dorée de la Liberté sur la vaste place de la Bastille à Paris.
Au fil de la mobilisation, les revendications se sont faites plus concrètes et surtout plus unanimes et plus coordonnées. Car il est rapidement apparu que ce projet de décret, bien que pierre de touche de la loi LRU, n’était pas seul en cause, loin s’en faut. Il faut lui adjoindre la suppression de près d’un millier de postes dans les universités en 2009, avec un démantèlement en règle des organismes de recherche tel le CNRS. Le CNRS, fleuron de la recherche française, que le monde entier nous envie, est en train d’être réduit en bouilli par d’arrogants politiciens qui pensent que la recherche est inutile, car non génératrice de profits à l’horizon temporel de leurs mandats. Alors que le chercheur et l’universitaire ne demandent qu’à faire leur boulot correctement. Rien de plus. Et parce qu’ils pensent que le savoir et la connaissance sont deux éléments essentiels du progrès.
Sous la coupe de la loi LRU, les universités sont en train de devenir « autonome », c’est-à-dire coupées de la bourse étatique : nos impôts qui servaient en parti à permettre à tous d’accéder à l’éducation et au savoir servent désormais à renflouer des banques... Face à ce changement radical les universités vont devoir se tourner vers d’autres sources de financement, sur le modèle (contestable) des universités américaines, à savoir les entreprises privées (qui vont ainsi financer des master MacDonald option BigMac ou Euro-Disney spécialité SpaceMountain, aux dépends de l’histoire des chevaliers-paysans de l’an mille sur les bords du lac de Paladru, ou encore de la mesure de l’équation d’état de l’énergie noire dans l’Univers avec les oscillations acoustiques des baryons, dont elles n’ont que faire, c’est évident !), les généreux donateurs, mais qui ne sont pas légion de ce côté-ci de l’atlantique, et finalement les étudiants eux-mêmes. Dans ce modèle anglo-saxon tant envié, les jeunes américains payent leurs études, et pas qu’un peu. Ainsi l’université publique de Berkeley en Californie demande au minimum plus de 4400 dollars de frais d’inscription, par semestre. Soit 8800 dollars par an. Une paille ! Sa voisine privée, l’université de Stanford, c’est 48800 dollars qu’il faut débourser par an pour y étudier. J’ai connu un doctorant là-bas, dont les parents avaient commencé à mettre de l’argent de côté pour ses études dès sa naissance !!! Dans un tel monde, j’aurais probablement fini caissier à Intermarché.
C’est ce qui nous pend au nez, ici en France. La marchandisation de l’université. Du savoir. Bravo.
Alors, je suis allé faire un tour dans la rue. Parce que non, l’université n’est pas une entreprise, le savoir n’est pas une marchandise.
Manifester, ce n’est pas ma passion première. Il y en a qui semblent avoir ça dans la peau, qui prennent le mégaphone de manière naturelle et fabriquent des banderoles aux slogans éloquent comme s’il s’agissait d’une seconde nature. Moi non. Je me sens plutôt à côté de la plaque. Les seuls trucs que je suis arrivé à faire, c’est faire des photocopies de tracts, c’est les distribuer, un peu, une fois, à la gare de Lyon, c’est de porter un tiers de banderole dans les manifestations et de lutter contre la poussée du vent sur la toile. Et puis c’est être là quand les universités descendent dans la rue. À raison d’une fois par semaine, depuis huit semaines. Et toujours l’arrogant silence gouvernemental. Évidemment, une grève des universitaires, ça ne gêne pas grand-monde, alors pourquoi s’en soucier ? L’élite intellectuelle de la nation passe son temps dans la rue pour dénoncer les réformes stupides de notre gouvernement, tout le monde s’en fout, c’est un fait. C’est tout juste si 15000 personnes qui défilent sans faire de dégâts auront droit à trois secondes d’attention dans le journal de France Inter. Et encore, presque tout à la fin, entre la rubrique chiens-écrasés et la météo...
Évidemment quand les cheminots font grève, tout le monde le sait. Même si c’est pour revendiquer des acquis que je trouve injustes, ils ont de bonnes chances de voir le gouvernement plier.
Nous nous battons pour garder l’éducation publique, pour que nos enfants aient droit à une école égalitaire et gratuite, une université gratuite et de qualité, ouverte à tous, une égalité des chances. Pour que l’université puisse continuer de dispenser le savoir sans discrimination et sans pression d’aucune sorte. Pour que les enseignants puissent faire leur travail dans des conditions décentes. On ne demande même pas une hausse des salaires des chercheurs et enseignants-chercheurs, salaires de misère qui fait que la plupart des « cerveaux » formés dans ce beau pays préfère aller soit ailleurs (les américains nous remercient de leur fournir ainsi d’excellents chercheurs à moindre coût), soit dans le privé (ce qui est louable, somme toute). On demande seulement que l’on arrête de nous prendre pour des cons. Des pages et des pages de propositions concrètes pour réformer la recherche et les universités ont été écrites, rien n’a été retenu par nos ministres...
Manifester. Généralement, nous partons de notre université en manif sauvage, c’est-à-dire non déclarée. C’est, semble-t-il, toléré. Pour rejoindre le point de rendez-vous officiel. Marcher sur la route. Route sans voitures. Arpenter le bitume. Scander des slogans chocs : « Et hop Pécresse, ton décret il va sauter » accompagné d’un petit saut qui se propage dans la foule, ou pas ; « Agression de l’Université, régression de la Société » ; « On veut un CAPES pour pas finir CRS » ; « Marre ! Marre ! Mar... cel Proust, la recherche n’est pas du temps perdu » etc, etc... L’imagination est parfois sans limite. Marcher en silence, souvent. Être là. Montrer son mécontentement en silence. Ou pas. Moi, j’œuvre plutôt silencieusement. Comme ça, ça se voit encore moins. Mais c’est comme ça. Je fais quelques photos quand un rayon de soleil montre le bout de son nez, pour passer le temps. On marche un peu, on piétine beaucoup.
Parfois je papote avec un collègue. Souvent je reste avec mes pensées, ma recherche qui stagne, changement de thématique oblige, des supernovæ devenues un temps sursauts gamma, pour finalement finir dans les oscillations acoustiques de baryons ; mon départ imminent au Groenland, je vous en reparlerais. Mais malgré tout, c’est souvent long, bien long, une manif. Franchement, je préférerais faire autre chose de plus constructif à la place. Même si ça a au moins le mérite de me faire voir Paris sous un autre angle. Marcher au beau milieu des avenues et autres boulevards, c’est pas commun. Paris sans voitures ! Un autre rêve ? Ainsi j’ai découvert que les catadioptres qui reflètent les phares des voitures au milieu de la chaussée, étaient souvent de simples et uniques demi-sphères de verre. Je vous parlerais de ça un de ces jours, c’était le problème d’examen de nos étudiants en première année. Ils n’ont pas compris grand-chose...
Fleuve humain qui s’écoule tranquillement. Dans le calme. Des gendarmes barrent les rues adjacentes. Déguisés en robocop. Casques, jambières, boucliers. Bardés. Force tranquille. Ou pas. Combat inégal. Je n’ai jamais vu d’agressivité de leur part. Encore que. Parfois une salve de lacrymo est vite arrivée... Ils sont là parce qu’ils doivent être là. Je me demande si harnachés comme ils le sont j’aurais une chance de les battre au sprint, au cas ou. Probablement pas car je suis moi-même harnaché de mon éternel et pesant sac à dos. Mais bon, s’il le fallait !
Et nos ministres qui restent sourds devant les coups de bélier. Épuisant. Ersatz de démocratie.
À défaut de moyen de pression, la détermination est là. Ronde infinie des obstinés. Ténacité et obstination, les qualités d’un chercheur. Ils vont voir, un peu, de quelle trempe nous sommes forgés !
Et puis allez donc signer la pétition pour un véritable statut des enseignants-chercheurs, pour quelque chose de constructif... Le renouveau de l’université passera par là.
Guillaume Blanc
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