Les tribulations d’un (ex) astronome

Un samedi à la BNF

lundi 29 mai 2006 par Guillaume Blanc

Bibliothèque Nationale de France. BNF. Samedi 6 mai après-midi. Un cycle de conférences « grand public » pour célébrer la naissance d’un nouveau laboratoire. Le mien. Enfin, celui auquel j’appartiens. Inauguration scientifique faite la veille, au sein du même établissement, à laquelle je ne suis pas allé. En revanche je suis allé voir quelques grands noms de la physique raconter leur physique, qui est aussi celle qui se fait dans mon labo. Un laboratoire au croisement de plusieurs disciplines.

Le laboratoire en question, c’est l’APC, pour AstroParticules et Cosmologie. Tout a commencé à la fin du siècle dernier, quand un certain nombre de chercheurs issus à la fois de l’astrophysique et de la physique des particules se sont regroupés pour donner l´élan nécessaire à une discipline émergente : l’astroparticule. Stricto sensu, il s’agit de l’étude des particules issues de l’espace, rayons cosmiques, neutrinos, voire ces particules de lumière que sont les rayons gamma de très haute énergie. Mais dans les faits, l’astroparticule recouvre des domaines de l’astrophysique somme toute assez vagues, qui couvrent bien entendu ceux-là, mais aussi celui des ondes gravitationnelles, ces « rides d’espace-temps » que l’on cherche à détecter, celui de la cosmologie, qui étudie notre Univers dans son ensemble... Le laboratoire a pris forme petit à petit, pour finalement voir le jour en janvier 2005, sous la forme d’une UMR (Unité Mixte de Recherche) du CNRS. Mixte car il dépend d’un certain nombre d’instituts, CNRS, CEA, Observatoire de Paris, Université Paris 7.

Et ce nouveau labo se trouve actuellement éparpillé un peu partout en Île-de-France, au sein de ses entitées de tutelle. Il va bénéficier de locaux tout neufs dans le bâtiment de physique de l’Université Paris 7, qui libère le campus de Jussieu, ancienne Halle aux vins, pour aller coloniser la zone qui se situe du côté de la Bibliothèque Nationale de France, ancienne Halle aux farines, que l’on appelle « PRG » (pour faire chic !) ou « Paris Rive Gauche » (pour l’ignare !) ou simplement « Tolbiac » (pour situer !). Les entrepôts sordides que décrit Tardi dans son roman graphique « Brouillard au pont de Tolbiac » sont en train de faire peau neuve, un nouveau quartier, place du savoir et de la recherche de pointe (un peu comme le « Royaume », l’hôpital de Copenhague de Lars von Trier, avait succédé aux marécages des tanneurs... On verra bien si des fantômes viennent aussi hanter les murs de ce nouveau temple de la science !), est en train de naître. Le déménagement vers les nouveaux locaux est imminent, mais, visiblement, ne se fait pas sans heurts.

Toujours est-il qu’a défaut d’inaugurer ses nouveaux locaux, l’APC a décidé de faire son inauguration scientifique à la date prévue, le vendredi 5 mai, pas très loin de sa future implantation, à la BNF, le tout accompagné d’une série de conférences le samedi 6 mai par des « stars » de la physique ! Il fallait s’inscrire sur le web. Et puis le grand jour est arrivé ; mauvais temps en montagne, j’ai pu y aller la conscience tranquille. Rendez-vous vers 13h30 à l’entrée Est pour le Grand Auditorium. D’abord montrer patte blanche à l’entrée de ce bâtiment, gigantesque gardien du savoir. On vérifia que je n’avais pas de bombe dans mon sac. À moins qu’on ne contrôlait que je n’apportais pas mon quatre heures, peut-être est-il interdit de goûter à l’intérieur ? On eu l’air satisfait du contenu de mon sac ce qui me permit de pénétrer dans le Temple. Ensuite, faire la queue. J’avais mon Tonino Benacquista sous le bras pour poireauter. La queue s’est finalement réduite, petit à petit, j’ai présenté l’accusé de réception de ma réservation, je n’étais pas sur la liste, normal, j’étais sur celle du labo. Petit carton jaune, pour la peine, avec le droit de m’enfoncer dans les entrailles de la BNF vers le Grand Auditorium. Traverser d’abord un sas, puis une sorte de pont-levis ou pont tout court, métallique, au-dessus d’une profonde fosse, une configuration architecturale sortie tout droit de Brazil. Deuxième sas, antichambre, une grande pièce de moquette rouge traversée de colonnes, à droite, le vestiaire, de chaque côté, un sas, le troisième, pour pénétrer, enfin, dans la salle de conférences. Mon petit carton jaune me confère le privilège d’aller m’asseoir tout devant sur un de ces fauteuils « réservés ». Des collègues, ici et là, je n’ai pas particulièrement envie de me jeter dans quelque dialogue insipide (il est des jours où je n’ai rien à dire de particulièrement intéressant, je préfère donc m’abstenir), je reste dans mon coin, je fais l’ours comme je sais si bien faire en pareille occasion. J’adore mon métier, mais les mondanités qui s’y rattachent me sortent par les yeux. J’aurais préféré être dans l’anonyme foule du public, finalement. Quoique, en fait, personne ne me cherche des noises, je reste tranquillement dans mon coin. C’est aussi bien.

Petit discours d’entrée en matière par la directrice de la BNF, puis par le directeur de l’APC, Pierre Binétruy. L’après-midi sera orchestrée par Marie-Odile Monchicourt, dont je connaissais la voix, pour l’avoir mainte fois entendue sur les antennes de Radio France, mais que je voyais en chair et en os pour la première fois.

Le premier orateur est Jim Cronin, un américain de 75 ans, prix Nobel de physique en 1980 pour avoir mis en évidence la violation de CP, ce qui permet d’expliquer pourquoi notre monde est fait de matière et non de matière et d’anti-matière. Mais là, tel ne fut pas son propos, il nous parla plutôt d’une expérience qui se déroule sur 3000 kilomètres carrés dans la pampa argentine où des physiciens détectent les particules très énergétiques issues du cosmos. C’est l’observatoire Pierre Auger. Sa conférence était très bien, encore que, selon moi, d’un niveau bien trop élevée pour le grand public. Il parlait en anglais, d’une manière claire, mais comme j’ai vu certaines personnes avec des écouteurs, j’en ai déduit qu’il y avait quelque part une traduction simultanée. Même pas fait attention en entrant.

Le deuxième conférencier était Gabriele Veneziano, l’un des pères de la théorie des cordes, qui est à la tête de la chaire de cosmologie du Collège de France. Un théoricien, donc, italien, qui fit son oraison en français, avec un fort (bel ?) accent italien. Il nous parla de la théorie des cordes, donc, qui est aussi le dada de notre directeur, cette fameuse (fumeuse ?) tentative de réconcilier l’infiniment petit qui est régie par la physique quantique, et l’infiniment grand qui est le lieu de la relativité générale. Or quand l’infiniment petit devient infiniment dense, comme on imagine que cela a pu être le cas lors du Big Bang, la physique s’arrête faute de théorie cohérente de la chose. Les cordes semblent être notre meilleur atout pour expliquer tout ça. Mais ce n’est pas gagné, loin s’en faut : aucune preuve observationnelle ne vient étayer ces histoires de cordes, de membranes et de dimensions supplémentaires... Alors...

Entractes. Tout le monde dehors, re-queue, rebelote. Une petite heure de pause. Je vais fureter dans la petite librairie de la BNF. Puis après une petite attente, je réintègre mon siège. La salle est beaucoup plus remplie qu’auparavant. Normal, le peuple vient voir le « phénomène ».

La deuxième partie de l’après-midi commence avec Jacques Paul, un astrophysicien de l’APC qui nous parle des phénomènes de très haute énergie dans l’Univers. Sursauts gamma et autre supernovæ. Là c’est plus dans mon rayon. J’ai bien aimé son speech, et à mon avis c’était le plus accessible de tous pour le commun des mortels. Le moins soporifique aussi, car il a l’art de glisser anecdotes ici et là, tout en montrant de belles images en s’abstenant d’exhiber les graphiques pourtant si chers aux scientifiques. Mais en fait, dans tout ça, ce n’est pas lui que tout ce monde était venu voir. Non, ce n’était pas lui.

C’était le dernier orateur que nous étions tous venus voir. J’avoue que s’il n’avait pas été à l’affiche je ne me serais probablement pas déplacé (parce que bon, venir à Paris le week-end !). Il a tardé à faire son entrée, il a fallu faire des branchements spéciaux, une présentation spéciale, par Pierre Binétruy qui s’est emmêlé les pinceaux et par le jeune chercheur qui travaille avec lui depuis plusieurs années à Cambridge. Il s’est fait attendre, et finalement Robocop a fait son entrée sur le devant de la scène. Euh, non, pas Robocop, mais bel et bien Stephen Hawking. Le fameux cerveau sur roues. 50 % homme, 50 % machine, 100 % savant. C’est un peu l’effet que ça m’a fait, en voyant débarquer le fauteuil roulant bardé de machinerie et de filasse. Et dedans un petit bonhomme recroquevillé par la maladie. J’avais déjà vu cette image dans son film « Une brève histoire du temps », je ne fus donc pas surpris. En fait c’est plutôt un sentiment de pitié qui m’envahit, et je me demandais pourquoi quelqu’un comme lui acceptait de venir faire le clown comme ça. Car ce ne fut rien d’autre que de l’exhibitionnisme de sa part et du voyeurisme de la notre. Elephant Man. J’avais beau me dire que j’avais en face de moi l’une des têtes pensantes les plus brillantes de notre époque, je n’arrivais pas à dissocier cette image mentale de l’image réelle de résidu humain. Car c’était bel et bien ça que j’avais en face des yeux : je voyais ses efforts démesurés pour cligner de l’œil droit et ainsi faire fonctionner son ordinateur et son synthétiseur vocal lui permettant de nous parler. Parfois un rictus d’effort déformait vaguement sa bouche. Le reste ne bougeait pas. Corps figé. Sa conférence commença sans autre forme de procès, une voix métallique d’outre-tombe s’éleva (« Do you hear me ? »), incompréhensible (si j’avais su j’aurais opté pour la traduction simultanée !), avec de grands silences entre chaque phrase. Des illustrations défilaient péniblement sur l’écran derrière lui. Il nous parlait de l’origine de l’Univers, avec des analogies et des anecdotes plutôt bien trouvées. Il a encore de l’humour, le père Hawking ! Entre tendre l’oreille pour tenter de déchiffrer la voix métallique, transpirer pour lui entre chaque phrase, j’avoue que le fil exact de la chose m’a vaguement échappé. J’en ai retenu quelques images. Mais ce n’était pas le plus important, finalement. Sa prestation fut terminée comme ça, quand un silence dura un peu plus longtemps. Son disciple reprit la parole (humaine) pour le remercier. Ce fut au tour des questions. Elles lui avaient été envoyé à l’avance, il en avait retenu deux. Les auteurs furent invités à lui poser en direct. Le premier était un petit jeune, j’ai trouvé ça bien que ce fut lui, qui répéta sa demande au micro et en anglais. Bravo. La réponse fut tout aussi métallique que précédemment. Le deuxième était un chercheur, je n’ai bien saisi la réponse. Mais peu importe. Le show était terminé. Le mot de la fin, le cerveau à roulette remisé dans les coulisses, et direction la sortie.

Dehors il pleuvait. Gare à la glissade sur les grandes esplanades de bois qui bordent la BNF. Certains architectes ont oublié qu’il pouvait pleuvoir, des fois, à Paris. On ne peut pas penser à tout.


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