Les tribulations d’un (ex) astronome

Des sous, des sous, des sous !

mercredi 2 février 2011 par Guillaume Blanc

J’ai décidé d’arrêter de me laisser porter au gré du vent, et de tenter, au contraire, de prendre mon activité de recherche en mains. Et pour piloter plutôt que de se laisser conduire, dans le monde moderne, cela signifie qu’il faut récolter des sous.

C’est ainsi que je m’en suis allé à la pêche aux sous, puisque la chose ne tombe pas d’elle-même, qu’elle ne pousse pas toute seule, même si on l’arrose patiemment. Enfin, en guise de sous, il s’agit plutôt de chair fraîche que je m’en vais tenter de quérir. Nous souffrons dans l’équipe dans laquelle je travaille d’un manque chronique de main d’œuvre, qui va devenir sérieusement critique si nous souhaitons que nos collaborateurs américains continuent de nous faire confiance.

C’est pourquoi, après une demande de « post-doc » cet automne, ces CDD de recherche corvéables à merci — mais non, pas des esclaves, ils sont tout de même libres de ne pas venir, et s’ils viennent ils sont même payés pour ce faire ! —, qui a lamentablement avortée pour d’obscures raisons, à peine mon dernier paquet de copies de partiel terminé de corriger, à quelques jours de la fin du semestre en décembre, je me suis lancé dans la rédaction d’une demande de sous dites « ANR », puisque aimablement sponsorisée par l’Agence Nationale de la Recherche. L’un des multiples organismes qui voient le jour depuis cinq-six ans, agences de moyens plus ou moins gouvernementales qui viennent se substituer au CNRS pour distribuer de l’argent aux équipes de recherche. Désormais le financement de la recherche se fait effectivement sur « projets », à charge de ces agences de décider quels projets financer. La main mise sur l’orientation de la recherche est en route. Le CNRS n’est plus que l’ombre de lui-même, et les chercheurs, déjà multi-tâches — en particulier les enseignants-chercheurs — doivent rajouter une nouvelle corde à leur arc, celle de gestionnaire. Car pour mener un tel projet il faut gérer pas mal de choses en plus d’un projet scientifique. Gérer de l’argent, gérer des hommes. Bientôt, il suffira d’avoir un diplôme de secrétariat pour être chercheur. À moins que ce ne soit en plus. En plus du reste.

Bref, à défaut de pouvoir refaire le monde et de bouder ces pratiques que je juge peu efficaces et n’allant certainement pas dans le bon sens, je me suis donc retrouvé ces derniers temps en parfait conformiste en train d’essayer de pondre trente pages de projet de recherche sur les quatre années à venir, pour justifier le besoin urgent d’un post-doc. Trois bonnes semaines de travail à temps complet pour pondre ce projet.

Parce qu’il ne suffisait pas de définir un projet de recherche. Il fallait également en définir le budget. Mais aussi le coût total, qui implique de connaître le coût de chacun des chercheurs impliqués dans la chose, au prorata du temps qu’ils prévoient d’y passer... Et puis ce projet de recherche à saucissonner en différentes « cases » — objectifs, état de l’art, contexte, description des tâches, qui fait quoi, comment, où... —, mettre des trucs ésotériques, diagramme de Gantt, et autre organigramme technique pour faire joli.

Et le tout avec WORD !! WORD, c’est ce logiciel de traitement de texte où dès qu’on modifie un truc y’a tout qui bouge avec, placer une figure relève de la pure gageure, on se retrouve au final avec des titres de section tout en bas de page, un rendu final pas terrible terrible, et quelques touffes de cheveux en moins. WORD, c’est le logiciel pour les chauves. Ils ne craignent rien, au moins, eux.

Bref, que n’aurais-je donné pour pouvoir avoir les modèles pour rendre le projet en format Latex ! Latex, c’est chouette, parce que les styles sont mis une fois pour toutes, parce que les figures se placent correctement toutes seules, parce que jamais un titre de section ne traînera tout seul en bas de page, et puis surtout, parce qu’au final, le document est beau ! En sus d’être gestionnaire, il faut donc aussi être bureaucrate : les ronds de cuir de l’ANR n’ont jamais imaginé une seule seconde que nombre de chercheurs ne pipaient mot à ce logiciel — WORD — de daube ? Surtout quand ils ont Latex à côté.

Et puis il faut faire des résumés, des résumés de résumé, en anglais, en français, et il faut mettre le tout sur le site web de l’ANR en temps et en heure. Ainsi soit-il.

Voilà, c’est fait, c’est signé par le directeur du labo, le reste n’est plus de mon ressort. Bon, je reconnais que l’exercice m’a permis de faire un peu de ménage dans ma tête sur ce projet, que cela m’a permis de discuter avec des gens charmants, avec qui je n’avais jamais eu l’occasion de faire la causette outre mesure (gestionnaire, directeur...), et puis de faire le mariole auprès du dirlo parce que je demande des sous. Mais le temps passé à mettre le document d’aplomb parce c’est WORD, le temps passé à comprendre quoi mettre dans telle et telle case, pffff, franchement, je m’en serais facilement dispensé.

Au final, un conflit avec une autre demande ANR, dans laquelle j’apparais sans que l’on m’ait demandé mon avis, ce qui fait que je risque de travailler à 150 % de mon temps dans les années qui viennent, si toutes les deux viennent à être miraculeusement acceptées. Bourde qui pourrait — en fin de compte, la chose semble tellement occulte que personne n’en sait vraiment rien — mettre en péril mon projet. Mais comme j’avais parfaitement joué le jeu — un peu malgré moi, à vrai dire —, que j’avais discuté avec le directeur du laboratoire avant de soumettre quoi que ce soit — surtout parce que je ne comprenais alors pas comment il fallait s’y prendre pour faire un tel dossier — j’ai eu droit a sa signature sans fioriture. Tandis que l’autre projet, a eu droit à une petite bafouille. Lèche-botte.

La date limite des signatures est passée. Ouf. Plus qu’à patienter six mois pour avoir le résultat des courses. Sachant qu’il y a dix pour cents de succès... Le temps de passer du temps à faire d’autres demandes ?


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