Le métier d’un maître de conférences, premier échelon de l’enseignant-chercheur à l’université, est à multiples facettes. Les deux principales sont d’une part l’enseignement et d’autre part la recherche. Avec un soupçon d’administratif...
Cela fait pas loin de cinq ans que j’ai été recruté par l’université Paris 7 Denis Diderot. 2005. Un concours très ciblé. Un profil très étroit. Le poste avait été dessiné pour un candidat local, sur un projet très précis. Candidat local qui travaillait déjà sur le projet en question. Son chef, qui dirigeait également le projet en question, dissuadait à peu près tous les candidats potentiels. Sauf que moi, je rentrais malheureusement exactement dans le profil publié, il n’a pas pu m’écarter. Mais pas moyen d’avoir de sa part le moindre renseignement sur le projet pour lequel était le poste. J’ai dû contacter ses collaborateurs, avant l’oral du concours, pour avoir des informations plus précises. Au final, nous étions trois en lice. D’ailleurs nous n’étions que quatre à avoir candidater, tant le bonhomme avait bien fait son travail de sape. J’ai donc passé l’étape du dossier, il restait l’oral. Déterminant. J’ai eu la surprise d’être classé premier.
J’ai débuté mon boulot de maître de conférences à la rentrée de septembre 2005 en me plongeant directement dans le bain de l’enseignement. Je ne suis pas parvenu à m’impliquer tout de suite dans le projet de recherche sur lequel j’avais été recruté. L’enseignement me laissait certes du temps libre — une journée par ci, une demi-journée par là — mais je me rendais compte que le projet avançait par ailleurs trop vite pour que j’espère attraper le train en marche. Je n’arrivais pas à me raccrocher à un quelconque wagon. Pendant que je préparais mes cours ou que je les dispensais devant les étudiants, mes collègues progressaient d’une étape, qui faisait que je me retrouvais systématiquement en retard par rapport à eux. Le temps que je me remette dans le bain, et l’enseignement reprenait déjà le dessus : j’ai besoin d’être disponible pour « chercher ». De surcroît, l’ambiance qui régnait dans l’équipe n’était pas des plus follichonnes. Le « chef » bossait avec moi faute de mieux, parce que c’est moi qui avait été recruté. Je culpabilisais de ne pas arriver à tout faire, je me demandais si là était bien ma place.
Pour la peine, je me suis investi de plus en plus dans l’enseignement, délaissant petit à petit cette recherche qui finalement ne me plaisait pas. J’ai utilisé mon temps libre à finir un travail que j’avais entamé avec une collègue italienne lors de mon séjour à Padoue. Ce qui m’a finalement pas mal occupé. Pendant ce temps, le projet suivait son cours, moi le mien, chacun sur des voies divergentes. Au labo, je rasais les murs, honteux de ne pas être capable de remplir mon contrat. Honteux d’avoir un poste permanent et de ne pas remplir mes objectifs, tandis que nombre de jeunes chercheurs Ô combien brillants restent injustement sur le carreau. Je me demande encore souvent quelles circonstances ont bien pu faire que je sois recruté ?
Il y a un an et demi, je me suis dit que ça ne pouvait pas durer ainsi, qu’il fallait faire quelque chose. J’ai changé de groupe, d’équipe et de projet. J’ai changé de stratégie dans mon service d’enseignement : depuis deux ans, je mets tout au premier semestre. Ainsi, le reste de l’année, je suis à peu près libre de faire de la recherche. Même si l’année dernière, côté recherche, ce n’était pas encore ça. M’étant un peu investi dans la lutte contre les réformes gouvernementales, cela m’a un peu accaparé, malgré tout. De surcroît, le projet dans lequel je pensais m’impliquer n’était pas à la hauteur de mes espérances. Je commençais à me dire que je n’étais finalement pas fait pour ce boulot, et pensais sérieusement à démissionner pour m’exiler dans quelque montagne vivre d’amour et d’eau fraîche. Ou encore changer radicalement de sujet, aller bidouiller des avalanches de neige dans quelque labo au pied des Alpes, ou je ne sais quoi d’autre. Je rasais toujours les murs, même si j’avais changé de bureau.
Et puis finalement, avec un petit coup de pouce de notre chef de groupe, je suis allé voir chez le projet voisin en septembre dernier, et là je crois que j’ai trouvé ma place. Je vous en parlerais bientôt, de ce projet. J’ai commencé mon travail au ralenti, le premier semestre de l’année universitaire étant dédié à mes enseignements. En revanche dés la fin des examens en janvier j’ai pu me mettre complètement en mode « recherche. » Et j’y trouve, enfin, mon compte : pouvoir bosser dans mon coin, à mon rythme. Et même si je n’ai pas abandonné l’idée d’aller voir ce qui se passe dans d’autres domaines de la physique (milieux granulaires, par exemple), je reste serein sur mon avenir comme chercheur. Enseignant-chercheur. En revanche il est fort possible que j’arrive à changer d’université un jour, j’aimerais tellement bosser dans un cadre plus idyllique que ce Paris (trop) grande ville auquel j’ai bien du mal à m’habituer.
Ces dernières années, m’étant concentré essentiellement sur mon enseignement, j’ai pu constater combien cela était globalement mal vu. Disons qu’il est mal vu de ne pas bosser en recherche. Alors que l’inverse serait plutôt encouragé. Évidemment il existe des enseignants-chercheurs qui sont à la fois bons enseignants et bons chercheurs. Mais soit ils bossent le week-end et ne prennent presque pas de vacances, soit ils sont particulièrement brillants. Ce dernier point ne faisant malheureusement pas parti de mes attributs, et ayant d’autres passions dans la vie, je tiens beaucoup à garder mes week-ends et mes vacances. Donc, théoriquement je ne peux pas faire un enseignement de qualité ET une recherche de qualité. De fait, j’ai quand même fait une croix sur mes ambitions dans la profession. Mon objectif est de me sentir à l’aise dans mes baskets.
Effectivement, l’enseignant-chercheur est fait pour faire de la recherche, pas de l’enseignement. Celui-ci doit être fait, certes, mais le plus vite possible, pour pouvoir s’attarder sur les aspects « nobles » de la profession. Passer du temps à préparer des cours et des TDs, réfléchir sur comment enseigner mieux, tout cela semble être considéré comme stérile, tout au moins par les collègues « chercheurs purs jus ».
Je me demande pourquoi la composante « enseignement » dans notre métier n’est pas reconnue. Disons qu’elle l’est, mais plutôt comme une « tâche d’intérêt général, » un truc qu’il faut faire (comme nettoyer les chiottes), tant bien que mal, mais qui ne compte absolument pas dans l’évolution de notre carrière d’enseignant-chercheur. Seule l’aura scientifique (les publications) comptent. Ainsi que nombre de (nobles) tâches administratives telles que la participations aux différents conseils, commissions de spécialistes, ou le chapeautage de telle ou telle section d’enseignement (Je ne parle pas du module « bidule », ça, tout le monde s’en fout, mais plutôt des « Masters » truc-muches ou des « Licences » chouette-chose dans leur ensemble). Chapeauter, c’est bien. Enseigner, oui, et alors ? Les ambitieux ont tout intérêt à bacler leur enseignement vite fait, bien ou mal fait, peu importe, pour se consacrer sur leur travail purement scientifique, sans oublier de se montrer dans quelque cercle administratif, parce que le paraître, ça compte aussi. Faire simplement et correctement (même si la définition de « correctement » est très subjective ; « consciencieusement » serait peut-être plus exact) son travail d’enseignement sans fioritures, c’est « normal. » Il y a pourtant différents niveaux d’implication dans un enseignement, en dehors des 192 h de présence obligatoire devant les étudiants : améliorer les textes de TD, en corriger les fautes d’orthographe, se préoccuper des examens de 2e session, des partiels, de l’organisation d’un enseignement, etc. Sans une certaine implication de certains enseignants, l’ensemble serait bien bancal... En général ceux-là même qui se destinent — bien malgré eux, il faut en convenir ! — à finir leur carrière simples maîtres de conférences. Le portail des « profs » ne veut pas des enseignants, il veut des chercheurs.
Il est vrai que l’enseignant-chercheur universitaire n’est pas évalué, contrairement à son homologue chercheur du CNRS qui doit remettre des rapports régulièrement à la noble institution (rapports pas nécessairement lus, ceci étant). Non, l’universitaire n’est régulièrement évalué ni sur sa recherche (même si le fait de publier est en soi une évaluation) et encore moins sur son enseignement. Je n’ai jamais dû remettre un seul rapport d’activité, que ce soit en recherche ou en enseignement. De même, personne ne m’a jamais dit si j’enseigne bien ou pas, et pour cause, aucun collègue n’a jamais mis les pieds dans un de mes TDs. Tout seul depuis le début face aux étudiants, sans formation pour ce faire.
Évidemment, je ne considère pas mon boulot d’enseignement comme une « tâche ingrate » mais bel et bien comme un véritable travail, voire même quelque chose de plus important que ma recherche. Après tout, savoir si la lumière des galaxies qui se trouvent à des centaines de milliards d’années-lumière est perturbée ou pas sur son trajet, ce n’est pas crucial ; en revanche, tenter de former des êtres humains à la vie active, essayer de leur donner le goût du travail et de l’apprentissage, leur dire que la physique c’est un truc vraiment beau, qui permet de mieux comprendre le monde qui nous entoure, n’est-ce pas primordial ?
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