Dimanche soir je me posais la question de savoir quelle balade je pourrais bien faire le lendemain matin avant de prendre la route pour Paris... Un dernier bol d’air pur... J’hésitais entre la face nord du Morgon, et un petit tour sur les crête au-delà du Mont Guillaume. Pour la beauté de la chose, et parce que cette année fut celle du Mont Blanc, j’optai pour le pélerinage au Mont Guillaume. Mes deux montagnes. Comprenne qui pourra.
Lundi, réveil 6h45. À 7h30, je suis sur la route. Tout seul. À Embrun je passe devant mon ancien collège/lycée. Caleyère. Château de Caleyère. Petite route de montagne. Un gros pick-up me suit. 1587 mètres. J’arrive au parking. Le pick-up continue sur la route en terre, au-delà de la barrière sur laquelle est apposé un gros interdit aux engins motorisés sauf ayant droits. J’espère que le bonhomme l’a, le droit. 8h00. J’attaque le sentier qui serpente dans la forêt de mélèzes, sous un timide soleil matutinal. Ce chemin porte le nom de « sentier Widmann », du nom de l’inventeur du ski de randonnée en France, le lieutenant Widmann, qui fit la première ascension d’une montagne en skis, et cette montagne, c’était le Mont Guillaume. Sauf que lui était parti d’Embrun, 1700 mètres plus bas. C’était le 12 février 1897.
Il y avait quelques voitures sur le parking, mais pour le moment, je suis tout seul. Un craquement, et c’est un chamois au superbe pelage roux-estival, qui traverse la forêt. J’arrive à la chapelle des Seyères. Là, je retrouve mon pick-up. Garé à côté d’un autre 4x4. Comme le vallon résonne des meuglements d’un troupeau de vaches, je subodore que ces véhicules appartiennent aux bergers. Effectivement, là-bas, un berger avec son grand chapeau et son manteau de laine, que suit son troupeau... Plus haut, un autre... Le sentier est jonché, outre de bouses de vaches, de kleenex et autre papiers hygiéniques usagés. Bien plus que les bouses, cette vision me révulse. L’homme est incapable de se balader sans laisser un sillon de détritus dans son sillage. Navrant. Certes, c’est une montagne à vaches, ou plutôt, à trolls, vous savez, ces petits êtres malfaisants qui prennent un malin plaisir à gâcher le paysage, mais quand même, je pensais que... mais non !
9h30. Sommet. 2551 mètres. Personne. Chapelle Saint Guillaume [1], Croix,
tout y est ! Le soleil est voilé, mais le panorama reste là : une vue extraordinaire sur toute la vallée de l’Embrunais, depuis Guillestre jusqu’au barrage de Serre-Ponçon. Embrun, aux pieds du mastodonte, là-bas, Saint André, la maison familiale, en face les Orres, le Morgon, qui trône au-dessus de Savines, superbe.
Le temps de faire une poignée de photos, et je repars : un petit vent frisquet me rafraîchit les omoplates contre mon gré. Je poursuis par la crête, que suit un petit sentier, jusqu’à un col. Après quoi, ça devient un peu plus raide, mais ça reste facile. J’arrive sur la crête de l’Arpion. De l’autre côté le lac de l’Hivernet. Je suis pas encore à la bourre, plutôt en avance, même, sur un hypothétique horaire (il faut juste que je ne parte pas trop tard pour Paris, si je ne veux pas arriver à pas d’heure, avec les 700 bornes qui m’attendent), je poursuis sur la crête, cette ligne épurée qui s’étend entre deux sommets. Une pile d’assiettes de travers, des bancs de flyschs à helminthoïdes. Je marche sur le fil de l’arête, escalier de diverses couches sédimentaires qui se sont retrouvées proprement inclinée. Les traces de « vers » ou encore « helminthoïdes » abondent ! Quelle émotion de poser ses pieds là où de petits gastéropodes évoluaient à la surface de la boue du fond marin il y a une centaine de millions d’années...
Alors, et maintenant, descendre tout de suite, ou attendre un peu et grimper sur le sommet en face ? Bah, aller, allons au sommet ! Tête de Chant de Perdrix. 2719 mètres. Le lieu est austère, un cairn marque l’emplacement, mais le nom est chantant. Descente parmi les couches géologiques (bel escalier !) vers le lac de l’Hivernet, au beau milieu d’une belle prairie !
Après cette petite escapade faîtière hors sentier, je rejoins le balisage. Descente au pas de course. Je croise deux randonneurs qui montent. Puis d’autres par la suite. En passant sous la crête de l’Arpion, je traverse le lit jonché d’arbres déchiquetés d’une avalanche : la neige a fondu, ne restent que le boie emporté. Un pan de mélézin a été rasé. Les arbres balayés sont récents, la coulée responsable de ce massacre date de ce printemps : fin mars, début avril, un gros redoux a déclenché un paquet d’avalanches de fonte d’une grande ampleur un peu partout dans les Hautes-Alpes. Ces avalanches de neige très lourde ont balayé les arbres comme de simples fétus de paille. Sauf que les stigmates de l’avalanche que j’ai devant moi m’interpellent : celle-ci est partie de plus haut, sur des pentes qui me paraissent relativement faibles, moins de 30 degrés... Et presque au beau milieu de la forêt... Là où la « théorie » prétend que c’est sans danger. Mais la science des avalanches est loin d’être une science exacte !
Je poursuis ma descente. J’arrive dans la forêt de mélèzes qui, cette année, dans la région, n’est pas très belle : elle a perdu sa belle parure vert clair pour un piètre manteau marron, pas des plus seyant. C’est qu’elle lutte, la forêt : elle lutte contre un minuscule ennemi, la chenille d’un petit papillon, la tordeuse du mélèze, qui lui bouffe les feuilles... Les mélézins de la région deviennent ainsi périodiquement d’une couleur brunâtre pas des plus photogénique. Il suffit de patienter, que le cycle de la nature continue, la chenille laissant la place à l’arbre ensuite pendant six à sept années.
Bientôt j’arrive à la voiture au terme d’une petite balade de quatre heures. De quoi me revigorer avant d’aller affronter les trolls sur la route...
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