Les tribulations d’un (ex) astronome

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Vocation astronome

vendredi 30 avril 2010 par Guillaume Blanc

« La vocation, c’est avoir pour métier sa passion » Stendhal

« La vocation est un torrent qu’on ne peut refouler, ni barrer, ni contraindre. Il s’ouvrira toujours un passage vers l’océan » Henrik Ibsen, Brand

« Je sais que la vie vaut la peine d’être vécue, que le bonheur est accessible, qu’il suffit simplement de trouver sa vocation profonde, et de se donner à ce qu’on aime avec un abandon total de soi » Romain Gary

« La vocation est un concept qui concerne très peu de gens. La plupart du temps, la vie se construit de hasards » Stéphanie Janicot, La Constante de Hubble

 Préambule

Tandis que j’envisageais une petite digression sur le pourquoi du comment j’en suis arrivé là, quelques lignes quoi, la chose m’a emporté d’elle-même dans les tréfonds de ma mémoire, et il en est ressorti plus de matériaux que je ne l’avais imaginé de prime abord. Moi qui pensais avoir une mémoire passoire ! J’ai quasiment tout gardé. J’ai un peu peur que cela n’intéresse que moi (ce qui est déjà pas mal, ceci étant), et n’ai guère d’intérêt pour vous...

Où peuvent bien être les prémices, les racines d’une passion ? Pourquoi l’astronomie et pas la culture des betteraves ou la collection de boîtes de camembert ? Autant de questions auxquelles il n’est pas aussi simple de répondre. Au « pourquoi » est inextricablement lié le « comment »...

 L'école primaire : premières curiosités

Dans mes premiers souvenirs, il y a mon père qui me montre quelques constellations dans le ciel, la Grande Ourse et Cassiopée, qui m’avait marqué, ce fameux W distordu et à l’envers. La Petite Ourse, j’ai mis du temps avant d’arriver à la repérer. Mes parents habitent à la campagne, en montagne, dans un lieu où le ciel nocturne brille littéralement de mille feux, loin de toute lumière citadine. Et ce sont à peu près les deux seules constellations que je sais encore reconnaître aujourd’hui !

Un vague souvenir d’éclipse partielle de Soleil, que nous avions regardé à l’aide d’un masque de soudeur. Le Soleil s’était alors couché en croissant derrière les montagnes — c’était pas très loin du solstice d’été, car le Soleil s’était couché très au nord-ouest, au-dessus de la Tête de l’Hivernet. Ça devait être le 30 mai 1984 [1] ! Je me souviens aussi avoir fait mon premier poster astronomique à l’occasion d’une fête de Noël de l’école. J’avais découpé des images du ciel dans Ça m’intéresse, que j’avais collées sur une planche recouverte de papier blanc. L’œuvre avait été exposé à l’auberge du village pendant la soirée. Personne n’y avait vraiment prêté attention (ben oui, déjà à cette époque...), tout à la fête qu’ils étaient. N’empêche que c’est resté gravé dans ma mémoire comme la première matérialisation d’une passion balbutiante.

 Les années collège-lycée : l'« astro » entre potes !

Puis il y eu le collège. En sixième j’ai découvert l’existence d’un club astro au sein de l’établissement. Malheureusement pour moi, il tenait ses réunions le lundi soir de 16h à 17h, et j’avais alors cours de français, c’était une sorte de « soutien » ou un truc du même acabit, avec une vieille prof acariâtre qui ne voulait rien savoir quand je la suppliais de déplacer le cours pour que je puisse aller au club astro... À la même époque, mon père m’emmenait à une série de conférences d’astronomie qui coïncidait alors avec le passage de la comète de Halley au voisinage du Soleil. À l’issu de l’une d’entre elles, j’ai même vu le petit nuage cotonneux qu’était la comète dans une paire de jumelles. Ces conférences étaient données dans une petite bibliothèque de village, créée par des amis à mes parents, par un vieil homme passionné et passionnant. Un conteur hors-pair qui nous racontait aussi bien les aventures de savants de la renaissance que les dernières découvertes astronomiques. J’étais subjugué et noircissait des cahiers de notes. Ce fut la naissance de l’association Copernic, qui officie toujours du côté de Gap, et que j’ai fréquenté plus ou moins assidûment par la suite. Je suis retourné épisodiquement discuté passionnément avec ce personnage, abbé de son état, voûté par le poids des ans, à la barbe blanche, jusqu’à ce son dieu le rappelle à ses côtés, fin 2008.

Du côté du collège, dès la cinquième, j’ai pu, enfin, aller au club astro. Nous étions une bande de copains passionnés par les étoiles. Nous nous réunissions pour discuter, faire des projets, etc. Ce club a eu des hauts et des bas. Des bas quand nous étions livrés à nous-mêmes, des hauts quand finalement un prof avait pitié de nous et décidait de nous aider à organiser des choses. Je me souviens en particulier d’une prof du lycée, pas particulièrement attirée par les sciences ni l’astronomie — elle était prof de dactylo ou un truc comme ça dans les filières professionnelles, je crois —, mais qui avait été conquise par notre enthousiasme. Grâce à elle nous avions pu aller observer à Puimichel, en Provence, dans ce qui était alors le plus grand observatoire amateur : un télescope de un mètre de diamètre ! Un beau souvenir [2].

Certains copains se sont lancés dans la construction de télescopes, avec grand succès. Moi je n’ai jamais franchi le pas, peut-être plus attiré par des choses plus théoriques... N’empêche que grâce au télescope de l’un d’entre eux, nous avons passé de belles nuits sous les étoiles, sur une petite butte au milieu de la forêt du Morgon, à scruter, l’œil à l’oculaire, ces nébulosités blanchâtres du « ciel profond », pendant que d’autres allaient en boîte... Ce qui ne nous empêchait pas de manger des merguez au Nutella et de délirer autour d’un joli feu de camp ! Quand d’autres s’abreuvaient de tords-boyaux, nous nous abreuvions de merveilles célestes... Que de nuits blanches avons-nous passées comme ça sous les étoiles !

À défaut de construire un télescope, je m’en étais payé un, d’occasion. Un « 115/900 » de base qui m’avait coûté 1500 francs ! D’ailleurs, c’était le prof de physique que j’aurais en Terminale qui me l’avait vendu. J’observais le ciel depuis le jardin familial, avec. Et puis je l’ai revendu quelques années plus tard, finalement.

Pendant mes années collèges, je regardais la télé. À l’époque, sur la troisième chaîne, il y avait une émission d’astronomie [3] pour les jeunes, le mercredi matin, ou quelque chose comme ça. Vous imaginez facilement que me priver de la chose eu été un crime de lèse-majesté. Je ne me souviens plus vraiment de quoi ça parlait, en revanche je me souviens qu’il y avait un concours étalé sur plusieurs émissions consécutives. Il fallait reconnaître un astre à partir de bouts d’images. Je me souviens que dès le premier morceau du puzzle, j’avais reconnu Jupiter. J’ai donc décidé de participer. Et j’ai contre toute attente, j’ai gagné. Et pas une vulgaire babiole ! Non, j’avais gagné un séjour d’une semaine d’initiation à l’astronomie à l’observatoire d’Aniane, dans l’Hérault. Le stage se déroulait en été. C’est ainsi que mon père s’est payé je ne sais combien d’heures de route pour m’emmener là-bas. Aller-retour pour m’emmener, puis de nouveau pour venir me rechercher. Oui, mon père est un saint : il m’aurait emmené au bout du monde pour satisfaire ma passion !

Je m’étais proprement régalé pendant ce stage. Bien sûr j’avais appris plein de trucs. La journée nous avions des ateliers théoriques et pratiques, le soir, c’était observations sur les télescopes amateurs de l’observatoire. Il fallait un peu marcher dans la garrigue entre les bâtiments communs, réfectoire et dortoirs, et les coupoles sur la colline qui abritaient télescopes et lieu du stage proprement dit. Au bord de la route j’étais tombé par hasard sur un champ de fossiles. Comme j’adorais collectionner les cailloux, je récoltais un paquet de fossiles de coquillages. Comme quoi l’astronomie mène à tout ! À la fin du stage, mon père est revenu me chercher. Nous en avions profité pour piquer une tête dans une belle rivière qui devait être l’Hérault (?) Et pour visiter une belle grotte...

Si l’observation du ciel me divertissait, surtout avec ma bande de copains, je préférais quand même l’astronomie dans les livres. Je passais ainsi des heures dans les encyclopédies du CDI de mon collège-lycée... Parallèlement, comme j’étais pas trop mauvais dans les matières scientifiques, qui me passionnaient infiniment plus que l’histoire-géo, c’est naturellement que j’ai fait une première S, puis une terminale C, comme ça s’appelait à l’époque. Au lycée, si mes souvenirs sont exacts, le métier d’astronome ou de chercheur m’était inconnu. Je voulais vaguement être pilote de chasse. Puis la guerre du Golfe m’en dissuada : j’aurais bien aimé piloter des avions de chasse mais pas pour faire la guerre... Or pour être pilote d’essai, il fallait en passer par là ! Rien à voir avec Tanguy et Laverdure dont les aventures en bandes dessinées me faisaient rêver.

 La prépa : révélation !

En terminale, j’ai tout naturellement fait des dossiers pour aller en prépa. Classes Préparatoires aux Grandes Écoles. Maths Sup’. Je ne me souviens plus pourquoi l’université n’avait pas retenu mon attention. Probablement à cause de ma prof de math, une des meilleures profs que j’ai jamais eu, qui m’avait naturellement poussé à faire un dossier prépa... C’est ainsi que j’ai été pris au Lycée Paul Cézanne, à Aix-en-Provence.

Quand je suis arrivé en Maths Sup’, notre prof principal, qui était aussi notre prof de maths (un sacré personnage qui a alimenté des heures et des heures de conversations entre nous : il avait pour habitude de nous donner la démonstration des théorèmes au tableau, mais dans le désordre ! Et le pauvre ne le faisait pas exprès... Mes notes de cours de cette époque sont remplies de flèches dans tous les sens qui tentaient de reconstituer les puzzles !), nous avait demandé à chaud, comme ça, quelle école nous souhaiterions intégrer. Je me souviens avoir répondu Sup’Aéro... Car je me voyais bien travailler plus tard sur les avions, les fusées, l’aéronautique, l’espace, tout ça, quoi... L’espace m’attirait (et m’attire toujours : je serais bien aller faire un petit tour là-haut...). Bon, j’ai réalisé plus tard que j’avais visé un peu trop haut, Sup’Aéro ne fut pas pour moi !

Il y eut pendant mes deux années de classes préparatoires un évènement déterminant. Je pense que c’était vers la fin de mon année de Sup’, que fut organisé une sorte de rencontre avec des professionnels pour nous livrer une petite panoplie des différents métiers auxquels on pouvait prétendre en sortant d’une école d’ingénieur (et donc après une prépa). Je me souviens d’une conférence d’André Turcat, le pilote d’essai du Concorde. Mais ce n’est pas lui qui m’a marqué. Non, en fait, c’est un jeune homme, chercheur de son état, qui travaillait alors sur la fusion thermonucléaire à Cadarache, pas très loin d’Aix-en-Provence, centre du CEA qui abritait — et abrite toujours ! — l’expérience Tore Supra. Ce n’est pas tant ma rencontre avec la fusion qui fut déterminante, mais plutôt celle avec un chercheur. Un vrai. En chair et en os. Le premier que je rencontrai, en fait ! J’étais pendu à ses lèvres, en même temps qu’un élève d’une autre classe. À la fin, il s’en est reparti épuisé, le pauvre, d’avoir été à ce point harcelé, mais il nous avait quand même donné ses coordonnées pour nous faire visiter le tokamak Tore-Supra. Je n’ai jamais osé l’appeler (à l’époque le courriel n’existait pas encore et le téléphone me terrorisait...). Dommage.

Il est une différence fondamentale entre les classes prépa et l’université (ce qu’à l’époque je ne savais pas) : en prépa les cours sont dispensés par des profs agrégés qui sont uniquement profs et n’ont jamais fait de recherche. À l’université les cours sont donnés par des enseignants-chercheurs, pas forcément agrégés, mais qui sont aussi chercheurs, ce qui a pour avantage d’ouvrir une dimension supplémentaire aux cours dispensés. Avis aux passionnés !

Aussi bizarre que cela puisse paraître, je me souviens mieux de mes premiers pas dans le monde des étoiles, que de la façon dont est venue mon envie de faire de la recherche en astronomie. Je pense que pour l’aspect « recherche » la rencontre avec le chercheur de Cadarache fut importante. Mais à quel moment ai-je décidé que je voulais étudier l’astro, je ne sais pas trop. Probablement qu’en Spé’, j’avais déjà une sorte d’envie de pénétrer dans ce milieu. Mais je ne savais pas si j’en avais les capacités. Contrairement à la plupart de mes potes de prépa, j’ai adoré ces deux années où j’ai bouffé de la physique et des maths à outrance. J’aimais ça. Je n’étais pas particulièrement brillant. Ni particulièrement mauvais. J’apprenais mes leçons et faisais mes devoirs du mieux que je pouvais. J’avais mes préférences. La physique et les maths. La chimie organique, malgré le charisme de notre prof, je n’ai jamais pu l’ingurgiter... Comme quoi, le prof ça ne fait pas tout non plus ! Durant cette période un peu monacale, il faut dire ce qui est, l’astronomie s’est faite plus discrète, en moi. Encore que...

C’était en mai. Au beau milieu du concours des ENSI, qui duraient une semaine, à raison de deux épreuves écrites de quatre heures par jour. Un vrai marathon. Mais l’avantage c’est qu’une fois la dernière copie de la journée rendue, j’étais libre. Le bachotage pour l’épreuve du lendemain était inutile. Il valait mieux en profiter pour souffler un peu et se détendre. C’est comme ça que ce mardi 10 mai 1994, je suis allé m’extasier devant un des rares spectacles que nous offre le ciel : une éclipse partielle de Soleil. L’astre du jour s’est couché avec une belle forme de croissant, une dizaine d’années après ma première éclipse ; les deux étaient d’ailleurs remarquablement similaires... J’avais sorti l’appareil photo avec un téléobjectif pour immortaliser l’occasion, sur la pelouse devant l’immeuble dans lequel je louais une chambre chez une vieille dame. Et j’ai réalisé là mes plus belles photos d’éclipse (et les seules, d’ailleurs) ! J’étais aux anges !

Malgré le fait que pendant les vacances de Pâques qui précédèrent les concours, période dédiée aux révisions, ben, je saturais littéralement, j’ai suffisamment bien réussi les écrits pour être classé aux ENSI, donc admissible. Certes, j’étais tout en queue de peloton, juste sous la barre fatidique. Cette nouvelle me ragaillardit, et je me mis à bosser au maximum pour préparer les oraux. C’est le cœur vaillant que j’allais à Paris pour les passer ces oraux. Je croyais néanmoins tellement peu accéder à une école de ma liste de vœux, rentrée sur le minitel à l’issu des concours, que j’avais même commencé à bosser les bouquins de français au programme de prépa pour l’année à venir !

Et les résultats tombèrent, le verdict était là : je récupérai un millier de place dans le classement grâce aux oraux ! Certes, j’étais encore loin des premiers, ce qui m’interdit l’accès à certaines écoles qui m’auraient pourtant bien plu. Parmi celles qui me furent accessibles, je trouvai l’ENSI de Caen (qui s’appelait encore l’Institut des Sciences de la Matière et du RAyonnement — ISMRA, à l’époque). Renseignements pris, la perspective me séduisait pas mal. Généraliste, dont une partie de physique nucléaire, des connections avec le GANIL, un accélérateur tout proche. Bref, je décidais d’opter pour cette école. Je découvrais par la suite où se trouvait Caen (ben oui, je sais, j’aurais jamais dû sécher mes cours de géo — Ô leitmotiv de ma vie d’adulte !), et qu’il me faudrait traverser la France pour m’y rendre. Mais ce genre de détails ne m’arrêtaient pas, alors. C’était loin des montagnes, mais à l’époque, ce n’était pas très important. Et puis à défaut de ski, j’ai fait de la plongée dans la Manche ce qui était bien sympa aussi !

 Vacances astronomiques !

C’est cet été-là, après les concours, que j’ai décidé d’aller faire un tour au festival d’astronomie de Haute-Maurienne. Ça faisait des années que je rêvais d’y aller, à saliver sur les publicités qui ne manquaient pas d’orner l’incontournable magazine Ciel et Espace. Le coût de la chose était non négligeable. Mes parents m’offrirent donc une semaine de vacances astronomiques en Haute-Maurienne. Là, je m’étais inscrit dans plusieurs stages, soigneusement choisis pour couvrir le plus large spectre possible et apprendre un maximum de choses. Je me souviens avoir fait un peu de radioastronomie avec un ingénieur de l’observatoire radio de Nançay, d’avoir eu un cours sur les caméras CCD, etc. Là encore je me régalais beaucoup plus pendant les ateliers théoriques de la journée qu’à observer les étoiles le soir dans les télescopes des amateurs présents, longs tubes dressés vers le ciel [4], qui n’étaient pas fait maison, mais qui rivalisaient de grosseur, de moteur, de rutilance à grands coups de dollars (ce festival m’est alors apparu comme un ramassis de bourgeois de l’astronomie : pas un seul instrument fabriqué maison. Je n’y suis plus retourné). Mais ce qui m’a le plus marqué, ce fut une conférence par Jean-Pierre Luminet. Jean-Pierre Luminet qui était mon idole du moment, après que j’ai dévoré son livre « Les trous noirs » quand j’étais en prépa. Vulgarisateur hors-pair, et, comble de la chose, il nous parla des résultats d’une expérience, EROS, dans laquelle j’irais faire ma thèse quelques années plus tard ! J’ai bu les paroles de monsieur Luminet toute la soirée, l’installait définitivement sur un piédestal, et allait timidement, à la fin, lui demander : « Dit, Monsieur, s’il vous plaît, comment on devient astronome ? ». C’est ainsi que j’ai su qu’il fallait faire un DEA, puis une thèse...

 L'ISMRA à Caen : prise de conscience

L’école où j’avais atterri abritant une multitude d’activités « extra-scolaires », je renouai avec l’astronomie en participant aux activités du club astro. Évidemment, la Normandie n’est pas la meilleure région pour observer le ciel. C’est ainsi que j’ai réussi à passer à côté de quelques splendeurs que déployait le ciel pendant cette période, ainsi la comète Hale-Bopp, pâle petit nuage dans le ciel normand, et formidable astre chevelu dans le ciel haut-alpin : je ne suis pas allé rendre visite à mes parents au bon moment cette année-là...

Mon attirance pour l’astronomie, l’envie d’en faire mon métier se faisait plus vive et s’est probablement concrétisée cette année-là, la première de mon cursus à l’ISMRA. La rencontre avec un étudiant de deuxième année qui avait la même passion que moi me permit de concrétiser un peu tout ça : il me donna quelques adresses de laboratoires et observatoires pour aller quérir quelque stage d’été. Y compris celui où il avait été lui-même l’été précédent. C’était à l’observatoire de la Côte d’Azur, sur le plateau de Calern au-dessus de Grasse...

 Premiers contacts avec le métier

Ma demande spontanée de stage avec un astronome de l’observatoire de la Côte d’Azur ayant été acceptée, j’allais passer mon été dans cet observatoire, perché sur un plateau calcaire désertique, pas très loin de Grasse. J’ai effectivement passé plus de deux mois là-haut, jour et nuit, même le week-end. Personne n’y vivait 24 heures sur 24. Sauf moi. Les astronomes et le personnel redescendaient dans la vallée un fois leur journée terminée. Moi non. Il y avait quand même un ou deux autres étudiants pour me tenir compagnie, c’est selon. Le week-end, je prenais mon VTT et m’en allait arpenter l’arrière-pays provençal. Il fallait commencer par descendre, et terminer par la montée. Une fois, je me suis payé des crampes aux cuisses sur le chemin du retour. J’ai cru que je n’arriverais pas à rentrer...

En semaine, je donnais un coup de main à l’astronome qui m’accueillait dans sa conception d’un interféromètre [5] pour observer les oscillations de Saturne. Ce fut passionnant, j’ai fait de l’optique rigolote, de l’informatique (et je me suis arraché mes premiers cheveux — peut-être l’origine de la calvitie qui menace insidieusement de désertifier mon crâne ; mais je lutte !), j’ai joué avec l’azote liquide [6], j’ai bidouillé des trucs, etc. J’ai passé beaucoup de temps tout seul, les week-ends étaient parfois longuets, mais bon, je préférais infiniment être là que faire la fête avec des copains (et cela ne m’effleura même pas l’esprit). Et puis surtout j’ai côtoyé de vrais astronomes (en chair et en os, si, si !) de tout près !

Car le plateau de Calern abritait alors le télescope laser-Lune qui mesurait en permanence la distance de la Lune en y envoyant une faisceau laser se reflétant là-bas sur un catadioptre laissé par les astronautes d’Apollo. Sur ce plateau il y avait également un télescope expérimental, le GI2T, Grand Interféromètre à 2 Télescopes, qui faisait de l’imagerie à haute résolution angulaire par des techniques interférométriques. L’idée était d’un astronome excentrique, professeur au Collège de France, Antoine Labeyrie. Il habitait une demeure dans la cambrousse et venait à l’observatoire à cheval.

L’année suivante, tandis que les cours à l’école devenaient de moins en moins intéressants (la mécanique quantique et la physique statistique avaient laissé la place à des choses plus terre à terre comme l’automatique, l’électrotechnique ou, pire, la gestion !), je me suis trouvé un stage tout seul. C’était au service d’astrophysique du CEA à Saclay. J’ai travaillé sur la résolution numérique d’une équation qui permet d’expliquer des choses (je ne me souviens plus très bien quoi, d’ailleurs !) dans les rayons cosmiques. Là encore, je me suis bien régalé ; même si en définitive mon travail n’a pas révolutionné la science des rayons cosmiques ! Même si passer l’été tout seul dans la région d’Orsay relève encore plus du sacerdoce (même le ciné d’Orsay ferme au mois d’août) que sur le désert de Calern, qui avait au moins le mérite, lui, d’être à la campagne. Bref. Il faut parfois faire quelques sacrifices pour ensuite parvenir à ses fins.

La troisième année d’école fut merveilleuse car j’ai fait en parallèle un DEA [7] de physique nucléaire. Adieu robotique, électrotechnique, microprocesseurs, gestion, comptabilité, automatique, et toutes ces choses où je n’entendais rien (surtout la compta, qui m’ennuyait profondément). Ou si peu. Enfin, pas vraiment adieu, mais disons que j’avais alors de bonnes raisons de potasser autre chose ! À moi la mécanique quantique, la physique statistique et la physique nucléaire ! J’ai fait ce DEA seulement pour le plaisir de faire un peu de physique. M’amuser un peu, enfin ! Car mon véritable objectif était de faire le DEA d’astrophysique de Meudon l’année suivante. Le copain qui me précédait à l’école avait fait le même parcours, c’était donc faisable. J’ai bien dû envoyer ma demande d’inscription au DEA de Meudon au moins six mois à l’avance !

Cette année-là je me suis offert un autre petit plaisir : un colloque international sur l’astrophysique des rayons cosmiques, « les rencontres de Moriond ». Ça se tenait en janvier, dans la station de ski des Arcs, pendant une semaine, et les « jeunes » pouvaient avoir une bourse pour payer le logement et la bouffe. J’ai fait la demande, à tout hasard. Et contre toute attente, ça a marché ! Je n’avais plus qu’à me payer le voyage jusqu’aux Arcs ! Faisable. Je l’ai fait. Et j’ai même pas eu honte. Le pire dans tout ça, c’est que je n’ai même pas skier. Car il faut savoir que cette conférence est précisément organisée pour permettre aux participants de skier, tous les après-midi de midi à quatre heures y sont libres, les présentations ayant lieu le matin et en soirée. Mais mon salaire d’étudiant en DEA ne me permettait pas de me payer le forfait. Et puis à l’époque, l’astronomie avait une importance bien plus grande pour moi que le ski. Comme quoi, on évolue. Je passais alors mes après-midi à réviser pour mes examens de DEA... Mais quelques années plus tard, je suis retourné à cette conférence pendant ma thèse : j’ai eu ma revanche ! Et désormais je boycotte les stations de ski, donc je ne suis pas près d’y retourner...

Puis j’ai refais un stage à Saclay avec le même chercheur que l’été précédent. À la fin du printemps, j’ai commencé à recevoir des réponses des divers DEA d’astro auxquels j’avais postulé : celui de l’Institut d’Astrophysique de Paris (IAP) et celui de Meudon, dont les responsables voulaient avoir un entretien avec moi. L’entretien à l’IAP fut très scolaire, j’ai eu un exo à résoudre au tableau, ce qui m’a rappelé l’oral des concours, sauf que cette fois-là, je n’y étais pas préparé, et j’ai tout foiré. Exit le DEA de l’IAP. En revanche l’entretien pour le DEA de Meudon était beaucoup moins scolaire et plutôt porté sur mes connaissances générales et ma motivation. Mi-juillet, courrier de Meudon : je suis pris ! Hourra !!! Ce qui tombait plutôt bien, puisque c’est exactement celui-là que je voulais. Comme quoi, ça tient parfois à peu de choses...

 Le DEA d'astrophysique de Meudon : le rêve prend forme

Début septembre 1997. Le samedi je file à Caen, cérémonie de remise des diplômes de l’école. Et je l’ai loupé, la cérémonie, car bien qu’ayant pris le premier train de la journée qui partait de Paris, je suis arrivé à la bourre. Bah, peu importe. Retrouvailles avec les potes, c’est ce qui compte. Le soir, mega-teuf... Celle-là, j’y suis allé. La seule de mes années d’école ! Et puis on a dormi un petit chouïa, je squattais dans la chambre d’un Formule 1, et le lendemain, dimanche, direction EuroDisney ! Il fallait vraiment un sacré concours de circonstances pour que j’aille une fois dans ma vie mettre les pieds dans ce lieu ; elles le furent ce jour-là. Je me suis bien éclaté. Même à faire trois heures de queue pour trois minutes de vertige en train. Mais qu’est-ce que EuroDisney vient faire dans l’histoire ? Ben, si je m’en souviens si bien c’est parce que le lendemain, le lundi, donc, c’était la rentrée du DEA à Meudon...

Ce DEA fut une de mes plus belles années d’étudiant. D’abord parce que j’avais des cours absolument passionnants : je faisais enfin de l’A-S-T-R-O-P-H-Y-S-I-Q-U-E ! Et puis la promo était très sympathique, ce qui n’était pas désagréable. J’ai bossé comme un fou cette année-là. Enfin, pas seulement. Les cours étaient géniaux. Premier semestre, tronc commun : physique stellaire, planétologie (faudra un jour que je vous raconte mes cours de planéto, un véritable « one-man-show » par André Brahic qui arrivait systématiquement avec une bonne heure de retard), relativité générale, physique atomique, hydrodynamique, et même cosmologie par Hubert Reeves, etc, etc... Le second semestre était celui des options. Il fallait choisir. Dur, dur... Je les aurais bien toutes faites, moi, les options. M’enfin. Des TPs d’observation, de simulation numérique... TPs d’observations qui se passaient sur les vieux instruments de l’observatoire de Meudon. J’avais hérité du TP « speckles », qui consiste à déconvoluer l’image d’une étoile de la transmission de l’atmosphère terrestre, turbulente, pour mesurer le rayon de cette étoile. On bossait le soir, forcément, sur la poignée d’étoiles visibles dans cette trop proche banlieue parisienne, avec le télescope de un mètre, qu’il fallait pointer « à la main ! ». Nous avions également un TP de simulation numérique, où j’avais choisi de m’amuser à simuler l’apparence d’un disque autour d’un trou noir, tout comme l’avait fait Jean-Pierre Luminet dans un de ses articles une vingtaine d’années auparavant. Là encore, beaucoup de plaisir à programmer la chose. Évidemment, tout ça vous semble complétement futile, mais pour moi c’était la concrétisation de mon rêve. Le régal total.

Cerise sur le gâteau, un stage collectif à l’observatoire de Hautes-Provence. Toute la promo a ainsi débarqué à St Michel l’Observatoire. Là, j’ai plus des souvenirs de parties de ping-pongs interminables, de bonne bouffe, que d’observations astronomiques, curieusement. Faut dire que le temps ne fut pas beaucoup de la partie cette semaine-là. Même si, quand même, on avait descendu la manip des speckles de Meudon pour l’adapter ici de manière interférométrique. Je ne me souviens plus vraiment des résultats que nous avions obtenus... En même temps que nous, il y avait Michel Mayor, le fameux suisse découvreur de la première planète extrasolaire, là-même, à l’observatoire de Haute-Provence, en 1995. Il nous a montré et expliqué ses observations.

Ensuite est venue l’heure du stage. Trois mois.

J’avais envie de tout connaître, de tout apprendre, chaque domaine de l’astrophysique me semblait intéressant (c’est à peu près toujours le cas !), chaque aspect technique me faisait envie : observation, traitement de données, simulation, théorie. C’est alors que dans mon enthousiasme débordant, j’ai fait une bêtise. Une petite erreur stratégique. Je suis allé voir notre prof de relativité générale pour lui demander s’il n’avait pas un stage à me proposer. C’est un type qui passe ses journées à faire des calculs de folie avec du papier et un crayon. Et moi je me pointe devant lui la gueule enfarinée pour lui demander s’il n’aurait pas un petit truc à me faire faire. Le pire, c’est qu’il a eu un truc à me faire faire : « Étude des effets de taille finie dans le rayonnement gravitationnel des binaires compactes spiralantes ». Et à la main, bien sûr. J’en ai chié, mais là encore je me suis régalé. Sauf que je n’ai fait en trois mois, qu’un dixième de ce qu’il envisageait de me faire faire : ben oui, faut être une sacré tronche pour faire de la théorie, de la vraie ! J’ai eu une sale note au stage, même si j’estimais avoir fait preuve d’autonomie et d’initiative : j’avais fait un petit modèle numérique, mais visiblement ça ne lui a pas plu... Cerveau trop petit. Sale note que j’ai eu du mal à digérer. M’enfin, chacun ses petits problèmes, n’est-ce pas ? J’ai au moins appris que je n´étais pas fait pour être théoricien ! Et grâce à mes autres notes pas trop dégueux, l’un dans l’autre, je me suis retrouvé dans les profondeurs du classement, mais avec une bourse de thèse. C’était ce qui comptait.

La quête du sujet de thèse, c’est un peu comme la chasse au trésor, quand on ne connaît pas la nature du-dit trésor. C’est tout un art ; un pack indissociable — à prendre ou à laisser — comprenant un sujet, titre jeté en vrac sur une pile de dossiers administratifs, un labo d’accueil et un directeur de thèse. Le labo d’accueil sera-t-il accueillant ? Le directeur de thèse sera-t-il sympa, compétent, présent mais pas trop ? Le sujet sera-t-il porteur, intéressant ? La loterie, en somme. Pour moi, un autre critère entrait en ligne de compte : il fallait que je fasse mon service militaire. Plus que deux ans de sursis après le DEA, pas le temps de finir une thèse qui en prenait trois, d’années. Et je voulais absolument faire une coopération, c’est-à-dire aller dans un labo à l’étranger pendant seize mois. Il fallait que je trouve une thèse que je pourrais interrompre ou poursuivre ailleurs. Et un ailleurs où aller pour ce faire. Cela limita pas mal mon choix, et c’est ainsi que j’allais me retrouver au CEA, dans le groupe EROS [8], à faire de l’astrophysique dans un labo de physique des particules. Ce même groupe dont les premiers résultats avaient fait l’objet de la conférence de Luminet au festival d’astronomie, quatre années auparavant... Destin ?

 Cosmologie en Corse

Cet été-là, d’après DEA, je me suis offert une école internationale de cosmologie en Corse. Là encore, des bourses permettaient aux étudiants d’y participer. Je suis donc allé passé deux semaines à Cargèse, à l’Institut d’Études Scientifiques, à écouter les pontes de la cosmologie nous raconter (en anglais) les mystères de l’Univers (j’ai souvent tellement rien compris, que les mystères en question sont restés des mystères bien longtemps...). Je campais dans le sous-bois, à côté du centre. Ma sœur était venue avec moi, elle potassait ses cours de fac, pendant que j’essayais de comprendre un petit chouïa de ce qui se racontait dans l’amphi pas très loin... L’anglais ne m’aidait certes pas, mais je ne crois pas qu’il fut la principale barrière ! Mon futur directeur de thèse était venu quelques jours pour donner un cours. J’ai ainsi eu l’occasion de discuter avec lui. J’ai même croisé Georges Charpak, prix Nobel de physique de son état, dont c’était le lieu de villégiature.

Et puis ce fut l’occasion de nombreux bains dans le bleu profond de la méditerranée corse, de se perdre dans le maquis en VTT [9], d’aller balader dans les montagnes une fois l’école terminée...

 Dans le vif du sujet

Septembre 1998. Je redébarque en région parisienne. Début de thèse. Enthousiasme débordant. Je ne comprends rien à ce que je fais, mais c’est pas grave : je sens qu’une grande et belle aventure commence ! D’ailleurs, elle commença sur les chapeaux de roue. À peine arrivé, mon chef me demande si j’ai un passeport. Ben euh, oui mais non, j’suis jamais sorti du pays, jamais eu besoin de passeport ! Pourquoi ? Il m’envoyait observer au Chili un peu plus d’un mois plus tard ! Ce fut limite avec le passeport, mais ça le fit.

 Au Chili

Et je pris l’avion pour la deuxième fois de ma vie (la première fois, ce fut pour aller à la Réunion chez une amie d’enfance, alors que j’étais ado). Un grand moment plein d’anxiété mêlée d’excitation. J’ai passé quasiment tout le vol scotché au hublot. Escale à Buenos Aires. Puis survol de la pampa, et, enfin, de la cordillère. Un paysage à couper le souffle. Surtout quand le pilote s’est mis à contourner l’Aconcagua par le sud.

Aconcagua
Face sud de l’Aconcagua (6962 m), point culminant de la Cordillère des Andes, survolé en arrivant à Santiago au Chili.

Quelle montagne ! J’étais subjugué ! D’ailleurs, j’irais dessus, un jour... Peu après, atterrissage à Santiago. Un taxi m’attendait pour m’emmener à la guesthouse de l’ESO (European Southern Observatory). J’avais les mirettes grandes ouvertes : tout n’était que découverte et nouveauté pour moi. Le frisson du premier voyage. J’eu le temps de me balader un peu dans Santiago (après m’être perdu pour trouver la direction du centre-ville). Puis re-avion pour La Serena, puis bus jusqu’à l’observatoire de La Silla, au milieu du désert d’Atacama. Un village de gros champignons tout blancs au sommet d’une colline, le tout au milieu des cailloux. C’est ça le désert d’Atacama : des cailloux à perte de vue. J’ai passé plus de deux semaines là-haut. D’abord avec mon chef, puis tout seul.

Observatoire de la Silla, Chili

J’ai eu de grands moments de solitude quand je me suis retrouvé tout seul avec le télescope de la manip’, le « Marly », responsable de la chose, et boum, les ordinateurs qui plantent. Me voilà, la sueur qui commence à perler, à relire en détail la check-list pour tenter de savoir ce que je pouvais bien pouvoir faire pour remettre la machine en route... Rebooter... ? Certes... Mais cela ne suffit pas. J’allais demander de l’aide à des collègues du télescope d’à côté, qui faisaient un relevé du ciel dans le proche infra-rouge. Ils m’ont aidé à réparer le PC avec des bouts de ficelle. J’ai terminé mon shift tant bien que mal. Seules distractions au sommet, outre les couchers de Soleil hallucinants sur le désert et quelques levers de Soleil sur la cordillère qui valaient la peine de patienter un peu avant d’aller se coucher au petit matin, des balades dans la rocaille. Ici vers une oasis, quelques arbres dans un creux, là, des pétroglyphes antédiluviens sur les rochers épars...

Pétroglyphe et coupole à l’observatoire de la Silla

Malgré ses sautes humeurs, la manip’ était relativement automatique, ce qui me laissait un peu de temps libre. Un œil sur les écrans où défilaient la bonne santé des observations, et l’autre sur internet ; j’en avais profité pour me mettre au html, et à me fabriquer une page web perso, ancêtre de celle-ci...

Télescope Marly, observatoire de la Silla
Comment on peut s’occuper pendant les longues nuits d’observation...

Et puis la relève est arrivée, et moi je suis reparti. Je n’étais pas mécontent de m’en aller. Retour à Santiago. Puis à Paris. Via Stuttgart, Air France était en grève, je suis rentré sur un avion de la Lufthansa. On était fin novembre, grosses chaleurs printanière à Santiago, gros froids automnaux en Europe. Contraste. Choc thermique.

 Incertitudes des débuts...

Mon sujet de thèse n’était au départ pas clairement défini. Je devais travailler sur la recherche de supernovæ, ces étoiles brillantes qui contrastaient quelque peu avec les astres sombres dont la quête occupait la majeur partie de l’expérience EROS. Sauf que ma thèse reposait pas mal sur un projet de collaboration avec des américains qui était en pourparlers pour le printemps. Dans l’expectative j’ai travaillé un peu avec un autre groupe parisien, les FROGS (FRench Observer Group of Supernovae) au laboratoire LPNHE, qui se lançait alors dans la quête de ces étoiles qui explosent. C’est ainsi que j’ai passé mon printemps 1999 entre Paris et l’observatoire du Roque de las Muchachos au sommet de l’île de la Palma dans l’archipel des Canaries où j’allais observer pour ces derniers.

Obervatoire El Roque de los Muchachos, Canaries

 Des Canaries au Pic du Midi

L’observatoire de la Palma est situé sur une île très chouette, juste en bordure d’une superbe caldera, la caldera de Taburiente, dont les parois plongent à pic dans la végétation luxuriante.

Caldera de Taburiente
Sommet de l’île de La Palma, dans l’archipel des Canaries, où trône l’observatoire El Roque de los Muchachos.

J’ai effectué un certain nombre de séjours là-haut, souvent pour observer tout seul sur le petit télescope « JKT ». C’est là que j’ai vraiment appris à observer : faire les flats [10] sur le ciel crépusculaire, remplir le cryostat de la caméra d’azote liquide après les observations, le matin...

Arriver là-bas, là-haut, était un peu folklorique : Paris-Madrid, puis Madrid-Santa Cruz de la Palma, le tout avec la compagnie Iberia, avec exactement le même plateau repas (pas terrible) entre Paris et Madrid et Madrid et Santa Cruz.

Le télescope JKT, Roque de los Muchachos
Les étoiles défilent au-dessus de la coupole du modeste télescope JKT à l’observatoire Roque de los Muchachos.

Des heures d’attentes à l’aéroport de Madrid. Et puis, une fois sur l’île, un taxi, toujours le même conducteur pour monter au sommet, à l’observatoire. Une conduite absolument horrible sur la route en lacets qui n’en finit pas de grimper. Je n’ai jamais été malade, mais j’en connais qui ont rendu leur plateau repas sur la route ! Le retour est tout aussi erratique : par deux fois, l’avion pour Madrid était tellement en retard que je loupais ma correspondance à Madrid : Iberia devait me loger à l’hôtel. Pffff...

Observatoire du Pic du Midi dans les Pyrénées

Une autre fois, je suis allé observer au Pic du Midi, observatoire franco-français assez emblématique. Sauf que cette fois-là les communs (réfectoire, dortoirs...) étaient en travaux ; j’ai passé deux semaines au sommet au milieu de la poussière, et je n’ai eu que deux nuits de temps correct, mais avec un seeing [11] tellement pourri que les images furent inexploitables... Je passais mon temps à bosser, à prendre des photos, à me balader autour du Pic, et à m’ennuyer en regardant la pluie tomber. Mais j’ai vu de beaux orages, là-haut !

Éclairs au Pic du Midi

C’était fin 1999. Après ça, comme la campagne de recherche de supernovæ effectuée par EROS mais orchestrée par les américains s’est révélée être un franc succès, il fût décidé que je travaillerai sur ces données, et plus précisément sur la mesure du « taux de supernova », c’est-à-dire la fréquence d’apparition de ces explosions stellaires. Je n’ai donc plus eu vraiment l’occasion d’aller observer pour les FROGS. Ni de travailler pour eux. Ce qui me convenait parfaitement. Je ne me suis jamais senti un grand observateur dans l’âme, même si j’ai beaucoup apprécié la petite expérience que j’eu en la matière sur quelques observatoires du monde, préférant rester dans mon bureau derrière l’écran de mon ordinateur, plutôt que d’aller piloter des télescopes, boulot somme toute pas super passionnant à mon goût. Qui plus est, je n’avais pas apprécié les quelques mois où j’avais travaillé avec les FROGS, dans une ambiance pas des plus sympathique... Je préférais bosser avec mon chef de Saclay. Donc tout était pour le mieux.

 La thèse et ses questions existentielles

Pendant plus d’un an, je travaillais à l’analyse des données, ce qui consista essentiellement à débugguer le logiciel de mesure d’efficacité mis au point par l’étudiante qui m’avait précédé, essayer de comprendre ce que je faisais, ce que je devais faire, améliorer la chose, et enfin construire mon propre logiciel, pour obtenir le taux, finalement. Je m’amusais pas mal, en fin de compte. Mais les questions relatives à l’avenir ne cessèrent de me hanter : mon travail est-il suffisamment original ? Suis-je à la hauteur ? etc. Heureusement, j’avais un directeur de thèse épatant, qui arrivait toujours à me remonter le moral d’une manière ou d’une autre.

 Le service national : l'épée de Damoclès

Pendant mon DEA d’astrophysique, la chose me tarabustait déjà : de report en report pour cause d’études supérieures, j’allais finir par buter sur quelquechose. Il fallait que je m’organise en conséquence. Comme je ne me voyais pas perdre mon temps dans l’armée, la vraie (du coup je n’aurais jamais d’histoires débiles à raconter à mes petits enfants au coin du feu pendant les longues veillées hivernales), je concentrais mes efforts pour trouver une coopération à l’étranger. À savoir partir bosser seize mois dans un labo extérieur à la France. Une aubaine ! J’ai vainement essayé de passer par la voie officielle : il y a des organismes qui recrutait alors des coopérants français en astronomie/astrophysique. Je me souviens être allé passer un entretien pour aller observer les aurores polaires dans le Grand Nord Suédois, ou quelquepart par là-haut. L’idée était séduisante, mais je n’avais pas vraiment préparé la chose avec sérieux. Mes examinateurs ont dû s’en rendre compte car je ne fus pas pris. L’ESO (Observatoire Européen Austral qui gère les grands télescopes au Chili) employait aussi beaucoup de coopérants qui jouaient les assistants des astronomes en mission sur les télescopes de l’observatoire de La Silla, au Chili. Mais la longueur de la chaîne administrative pour y parvenir a dû anéantir tout espoir de ce côté-là. Il ne me restait plus qu’à trouver une thèse suffisamment flexible pour me permettre de l’interrompre (mes reports arrivant à leur terme avant la fin de celle-ci) le temps d’aller jouer ailleurs.

Ainsi fut fait.

Au départ, je pensais pouvoir partir au Chili travailler in situ sur la manip’ dans laquelle je faisais ma thèse. Mais certains chefs (qui ont pris pas mal de grade depuis) qui m’avaient fait miroiter un financement pour ça se sont débinés au dernier moment. Il fallait que je trouve autre chose. J’ai contacté divers collaborateurs, aux Canaries, à Cambridge, mais toujours ce problème du financement... Car pour partir en « coopé », le Ministère des Affaires Étrangères demande à ce que l’on soit financé : un salaire minimum doit être fournit, dont le montant dépend du lieu d’accueil. Tant mieux pour moi, je vivrais bien comme ça, mais pas facile à dégoter, d’un autre côté ! Et dans la foulée, en décembre 1999, j’ai contacté ce brillant chercheur à Berkeley, Saul Perlmutter, fort de la collaboration réussie entre mon équipe et la sienne, l’année précédente...

Pendant plusieurs mois, je n’ai pas eu de réponse (tandis que tous les autres m’avaient déjà donné la leur, du genre : pas de problème pour t’accueillir et te faire bosser, mais impossible de te donner de la tune !). En avril, mon directeur de thèse reçoit quelque nouvelle de Perlmutter, avec quelque espoir du côté financement. Juin, petit courriel cordial pour me rappeler à son bon souvenir : c’est que j’arrivais en extrême limite de mes divers reports, et quoiqu’il arrive je devais partir sous les drapeaux à l’automne. Début juillet, je me voyais déjà en train de crapahuter dans la montagne avec des chaussures qui font mal, un sac trop lourd, et un béret noir ou blanc, selon la saison, vissé sur le crâne, quand, Ô miracle, le 10 juillet, un message de mon éminent professeur américain qui me dit que c’est OK... Tout le reste, paperasses, visa, fut expédié comme lettre à la poste. C’est — c’était ! — facile la paperasse avec les États-Unis.

Mon incorporation devant avoir lieu en décembre 2000, elle eut lieu le 4 décembre, au Ministère des Affaires Étrangères, avec visite médicale expresse chez les militaires — la seule fois que je les ai vu ceux-là. Dans la foulée, je partais pour Berkeley, Californie, USA. C’était la première fois que je quittais la France pour aller vivre dans un autre pays. Quelques mois après que je suis parti, le service national était retiré de la circulation... Un des derniers pingouins à le faire, donc, ce service, mais je ne regrette pas : j’ai passé seize mois dans un des plus beau coins des États-Unis, et mon chef était un chercheur reconnu mondialement pour sa découverte de l’énergie noire avec les supernovæ. Je vous passe les détails.

 Trouver un toit, la vie sur place...

Nouveau pays, nouvelle langue (ben oui, j’avais beau avoir fait 13 ans d’anglais à l’école auparavant, je comprenais quedalle quand j’ai débarqué au Nouveau Monde !) : il m’a bien fallu trois mois pour réussir à saisir la question clef au moment de payer dans les supermarchés : « Paper or plastic ? ». Bref. J’ai atterri chez un copain post-doc, français, qui vivait en colocation avec un autre post-doc, américain. J’ai vécu comme ça trois mois, et puis il a bien fallu en toucher deux mots à la propriétaire, qui n’a pas voulu que je reste, trois personnes en permanence dans sa maison, ça faisait une de trop.

Coucher de Soleil sur la baie de San Francisco

Je me suis mis à chercher un toit. Ce qui voulait dire une chambre en colocation. Ce qui, là-bas, coûtait autant qu’un studio à Paris. Donc, j’ai fait le tour des petites annonces, puis des chambres disponibles. J’ai vu de tout. Des apparts qui croulaient sous le bordel, une fois, une chambre où l’on ne pouvait pas rentrer tellement y’en avait partout. D’ailleurs l’occupant d’alors était même en train de dormir avachi en travers du lit au beau milieu de l’après-midi. Une nana qui voulait partager son studio et louait ainsi une petite pièce sans porte qui était le passage obligé pour aller dans la salle de bain ; bonjour l’intimité ! Le tout pour $600... Délirant... Et puis des fois ça me plaisait : je me souviens avoir visité une chambre dans une maisonnée style Auberge Espagnole, mais j’ai dû subir un véritable entretien d’embauche. Sauf que là, j’aurais donné n’importe quoi pour qu’ils me prennent. Comme Xavier. Sauf que je n’étais pas dans un film de Klapisch, je n’avais pas le charisme ou la chance d’un Xavier, et ils ont trouvé quelqu’un d’autre... J’ai fini par accepter la proposition d’une dame charmante, la cinquantaine, qui avait une chambre décente à louer. Un peu loin du boulot, c’était à Oakland, mais tant pis, j’en avais marre de faire le tour des annonces...

San Francisco, vue sur l’île d’Alcatraz
Les rues de San Francisco

Et puis ce fut super. Elle était géniale cette dame, on avait de longues discussions passionnantes. J’ai passé huit ou neuf mois chez elle. J’allais au labo en vélo, je faisais la course avec les bus. Au labo, tout le monde hallucinait de me voir monter tous les matins la côte qui mène au Lawrence Berkeley Laboratory (LBL), à flanc de colline, en vélo. Faut dire qu’elle était sacrément raide cette côte. Pour corser le tout, avec mon pote français, on s’est dit que l’on pourrait aller à la piscine. Ainsi fut fait. Trois fois par semaine, je me levais aux aurores, j’enfourchais ma bécane à jeun, et allais me trampouiller dans la piscine de l’université, un bassin de trente-trois mètres et des brouettes, au grand air, bordé de marbre. Le marbre, c’est chouette, mais au mois de janvier, quand il gèle presque, les pieds restent collés sur place, tellement c’est froid : je sautais rapidement dans l’eau chaude et fumante, en minimisant au maximum la surface de contact entre ma voûte plantaire et le sol. Je nageais trois quarts d’heure en moyenne, le temps de faire un kilomètre et demi, deux kilomètres. Et puis douche, petit déj’ en terrasse, au troquet du coin, re-vélo, côte, et boulot. La douche, c’était un peu spécial : tout le monde à poil. Les premières fois, je l’ai fait à la franchouillarde, avec le maillot. Et puis je me suis rendu compte que j’avais l’air ridicule comme ça, alors je me suis mis à faire comme tout le monde. Et puis, ben, c’est plutôt agréable en fait. On y prend goût. On se demande pourquoi en France on est si puritain. On rêve aussi d’aller zieuter dans les douches des filles... Mais ça, ça n’est resté qu’un fantasme ! Et puis très vite, je me suis retrouvé tout seul pour aller nager aux aurores. Mon pote français ayant rapidement déclaré forfait.

Ça, c’est Berkeley !

Je logeais à Oakland. Et puis un soir en rentrant du labo, sur mon vélo, je me fais alpaguer par deux p’tit jeunes. Ils me demandaient gentiment mon sac et mon vélo. Au début je ne comprenais rien. Ils répétaient calmement et gentiment. Inlassablement. Et puis j’ai compris. J’ai voulu faire volte-face, mais en vélo, c’est pas pratique : ils l’ont attrapé et je me suis cassé la figure. J’ai commencé à avoir la trouille. Heureusement, j’étais sur un grand boulevard, je me suis foutu au milieu de la route, et à la première voiture qui s’est pointé, ils ont décampé. Mais moi, j’ai quand même eu la trouille. Je savais que je traversais des quartiers pas terribles terribles, mais là ce fut la goutte d’eau... Le soir même j’annonçais à ma roommate que j’allais déménager et me trouver un truc plus près du boulot.

Re-petites annonces, re-visites en tout genre. Et puis j’ai trouvé une petite chambre que laissait un étudiant français qui rentrait au pays. Pas cher. Chouette, je vais faire des économies. Mais sur ce coup-là, je me suis un peu trop vite laissé emporter. L’appart était partagé avec trois autres étudiants, des mecs. La cuisine était dans un état post-apocalyptique. Les cloisons étaient en papier à cigarette. Quand mon voisin le plus proche rentrait de ses pérégrinations à trois heures du mat’ et mettait la musique en arrivant, je me réveillais invariablement.

San Francisco de nuit, vu depuis Twin Peaks

Un jour, j’ai pris mon courage à deux mains, et j’ai nettoyé la cuisine. Il y avait une montagne de vaisselle sale, c’était immonde. Mais j’en suis venu à bout. Le soir même, tout était à refaire. Du coup, j’ai re-cherché une chambre. Je ne pouvais pas vivre dans ces conditions. Et j’ai trouvé. Une chambre sous les toits, dans une belle maison victorienne, dans un quartier résidentiel de Berkeley, proche du centre. Je partageais l’appartement avec un argentin. En fait je l’ai vu une semaine, et puis il est parti en Argentine, se marier. J’ai passé quatre mois tout seul, il a refait surface une semaine avant que je ne revienne en France. C’était le bon plan. Sauf qu’un soir j’ai croisé la proprio. Et visiblement il n’avait pas le droit de sous-louer... Quelques jours plus tard, en rentrant du boulot, y’avait un papier sur la porte lui demandant que je fasse mes bagages dans les deux jours. Et mer-de ! Je lui envoie un courriel, seul moyen que j’avais de le contacter. Par miracle il l’a reçu, et a arrangé le coup : j’étais officiellement là pour garder la place en son absence. Ça m’allait très bien, je n’avais pas particulièrement envie de re-re-re-re-déménager...

Berkeley by night
J’ai habité dans cette rue !

 D'explorations en découvertes...

Il y a eu des balades découvertes, souvent en vélo, autour de la baie de San Francisco, parfois en voiture, avec des amis. Amis qui ont pointé le bout de leur nez assez tard, français et suisse du labo, australienne, aussi... Mes parents sont aussi venus me voir quinze jours. On en a profité pour faire un joli tour de la Californie en voiture... Big Sur, Las Vegas, Death Valley, Mono Lake, Lake Tahoe, Sacramento, Yosemite... Plus tard, ce sont ma sœur et son copain qui sont venus. Nous sommes allés dans le parc du volcan Lassen randonner ensemble. Nuit à la belle étoile en forêt près d’un lac, réveil au petit matin par une biche et son petit, là, à deux mètres à peine de mon sac de couchage. Un grand moment. Avec mon pote français, je suis allé deux fois au Yosemite. J’adore ce parc, ses parois de granit interminables, paradis de la grimpe (je ne grimpais pas encore à l’époque, dommage), domaine des Big Wall, comme on dit. Mais aussi ses cascades impressionnantes... À part ça, j’ai exploré toutes les collines autour de Berkeley avec mon VTT. Au départ, j’avais acheté un VTT d’occase. Cher. Et pourrie, la bécane. Après j’ai fait rapatrier mon vélo de France : j’ai pu commencé à vraiment m’amuser ! Toutes les collines y sont passées, au-dessus de Berkeley, d’Oakland, et même de l’autre côté de la baie, au-delà du Golden Gate Bridge, dans Marin County. C’est d’ailleurs là qu’est né le mountain bike ! J’ai même fait le plus haut sommet du coin, le Mont Tamalpais, 2571 pieds, dans Marin County. La plupart du temps je partais tout seul.

Otaries de Pier 39 à San Francisco

Pas vraiment d’amis américains. C’était l’époque où je n’étais pas assez mûr : ma passion pour la montagne n’était pas suffisamment exacerbée pour que j’ose aller au devant des montagnards. Comme eux ne sont pas venus me trouver, je me suis borné à essayer les amitiés que j’avais sous la main. C’est à dire au labo. Et finalement, les seuls avec qui je m’entendais bien, ce sont les français. On a passé d’excellents moments ensemble... Et on est toujours potes. Plus ou moins. Je n’ai pas gardé d’amis américains. Je n’en avais pas. Les seuls qui auraient pu en faire parti étaient les étudiants en thèse au labo. Ceux de mon groupe que je cotoyais m’ont accueilli à coup de sarcasmes devant mon anglais balbutiant, en se foutant de ma gueule, et sans faire d’effort pour se faire comprendre. Des cons.

 Noëls

J’ai passé deux Noëls là-bas. Ben, oui, c’était pas facile facile de rentrer passer Noël en famille. D’autant que pour le premier, je venais à peine d’arriver, trois semaines plus tôt. Tout seul, donc. Tout seul dans la baraque de mes colloc’ aussi. Le 24 je me souviens être allé rouler dans les collines. Le 25, j’ai regardé le Soleil se lever partiellement éclipsé, joli !

Éclipse partielle de Soleil
Projection du Soleil entamé par la Lune à travers les feuillages sur le sol.

Et puis je me suis baladé ici et là. J’avais encore tout à explorer, dont la belle San Francisco, de l’autre côté de la baie, à une portée de BART, le RER local...

Le deuxième Noël, l’année suivante, j’avais encore prévu de le passer sur place, mais ma copine d’alors devait venir le passer avec moi. Réjouissante perspective. Mais la donzelle en atterrissant m’a avoué que c’était fini entre nous. Pffff... Dur, le coup. J’allais devoir me la coltiner pendant les fêtes, et en plus quand on allait au labo sur internet, elle envoyait des messages à son nouveau mec. Y’a quand même des plans foireux, dans la vie... M’enfin, on a réussi à se balader un peu, pour sauver les meubles. Quel Noël à la con, que ce fut !

 Le boulot

Lawrence Berkeley Lab
Là-haut, dans les collines, se niche le LBL...

Le boulot ne fut pas particulièrement passionnant. Les équipes de recherche sont très hiérarchisées, et comme je n’avais pas vraiment de statut, si ce n’est vaguement celui d’étudiant en thèse, et encore, même pas dans le labo en question. Du coup, on m’avait refilé des tâches subalternes, que personne ne voulait faire. Je ne me souviens même plus de la chose exactement, c’est dire si cela m’avait passionné ! Bon. Pourquoi pas. De toute façon, le simple fait d’être là, c’était le bonheur. Au début. Par la suite je me suis mis à travailler avec le post-doc français qui était arrivé quelques mois avant moi, et qui m’avait hébergé au début. On bossait sur la photométrie des supernovæ proches détectée au printemps 1999. Un travail de titan pour intercalibrer la grande quantité de données prises sur une bonne dizaine d’instruments différents de par le monde, mais somme toute beaucoup plus passionnant que le reste. Une telle quantité de travail que l’objectif — fut-il atteignable ! — ne fut jamais atteint, je suis parti des États-Unis avant qu’il ne soit bouclé, ainsi que mon collègue, qui a finalement obtenu un poste au CNRS. Quelques post-docs se sont succédés au LBL pour tenter d’en venir à bout, sans succès immédiat. En fin de compte, elles ont été publiées fin 2008, près de 10 ans après...

 Le retour

Et puis il a donc fallu rentrer en France. À Paris. Finir cette thèse interrompue pendant seize mois. Enfin, pas vraiment, j’avais pas mal avancé la rédaction pendant mon séjours outre-atlantique. Mais rentrer, j’avais pas vraiment envie. Ma copine d’avant n’était plus ma copine, elle s’était trouvé un autre mec dans l’intervalle. Normal. Mouais, mais bon. Bref. Retour à Paris. Chez elle dans un premier temps (elle m’avait largué, mais elle était sympa quand même), et puis elle m’a trouvé un appart. D’autant qu’une semaine avant de prendre l’avion, je sors du labo le soir, enfourche mon vélo dans la nuit (sans casque ni lumière, bien sûr), et descend à toute berzingue la belle pente qui descend vers le centre-ville. Je ralentis quand même à hauteur du poste de garde. Un gros pick-up qui s’était gourré de route en train de faire demi-tour. J’avais la priorité, je continue mon chemin. Mais lui ne m’avait pas vu et continue aussi le sien. Qui a fini par rencontrer le mien. Et je me suis cassé la gueule. Et je me suis fait mal. Je me suis arrangé pour tomber sans faire toucher la tête, car je n’avais pas de casque, et en essayant de protéger mon sac à dos qui abritait mon ordinateur portable tout neuf !! Reste que le vélo s’est retrouvé tordu, que j’avais une plaie au doigt, et un pied tordu. Le gardien à appelé les pompiers, et j’ai eu droit à deux beaux camions, avec des lumières clignotant de partout et les sirènes à fond, rien que pour moi ! Et puis les flics, bref, tout le tralala... Finalement, c’est un copain qui m’a emmené à l’hosto. Et puis c´était tellement long d’attendre (je n’étais pas à l’agonie, je n’ai pas eu la priorité), là-dedans, que je suis rentré chez moi tout seul, avec des béquilles toutes neuves, et des points sur l’index gauche. Après, je suis devenu une statistique : le seul accidenté dans le labo en 2002... Mais cette histoire compliquait quelque peu mon déménagement. Heureusement celle qui était devenue mon ex n’était pas rancunière, sa sœur qui habitait à San Diego, dans la Silicon Valley, à l’époque est venue m’aider. Puis elle m’a hébergé chez elle pour le dernier week-end. Et finalement elle m’a emmené à l’aéroport avec mes cent kilogrammes de bagages. Elle était enceinte à cette époque. Je dépassais légèrement le poids autorisé, mais personne ne m’en a tenu rigueur... Un estropié accompagné par une femme enceinte.

Ah, l’Amérique, pays de libertés...

 Fin de thèse...

De retour en France (avril 2002), il a bien fallu se remettre à bosser sur l’analyse de mon travail de thèse, interrompu 16 mois auparavant. Ça m’a prit un peu de temps pour me remettre dans le bain : j’ai toujours été un peu lent à la détente. Petit à petit je me suis mis à bosser comme un fou avec pour objectif de soutenir avant Noël. Quelques mois de vie monacale n’ont jamais fait de mal à personne ! Ce qui ne m’a pas tout de même pas empêché de m’offrir un petit tour du Mont Viso avec sommet, en autonomie avec ma sœur, pendant la semaine de fermeture du centre de Saclay, au mois d’août. Puis pendant tout l’automne, j’ai bossé de onze heure du matin à parfois une ou deux heures du matin suivant. Je me payais seize kilomètres de vélo par jour, avec une jolie côte à l’aller pour grimper depuis le fond de l’Yvette jusque sur le plateau de Saclay. Comme le soir il faisait souvent nuit quand je rentrais à la lueur de ma frontale, je l’avais dotée d’une ampoule halogène pour l’occasion. Tout cela ne m’empêchait pas de partir en vadrouille le week-end, même si mes finances de l’époque ne m’autorisaient pas ce que je fais aujourd’hui. J’allais faire du VTT, seul, dans les fougères et la fange de la vallée de Chevreuse.

 ...En préparant la suite

J’avais l’air d’avoir la tête dans le guidon, mais je n’en pensais pas moins à la suite. Depuis Berkeley, j’avais réussi à dégoter quelques vacations d’enseignement à l’université. Ça faisait des années que j’essayais désespérément de me faire une expérience dans le domaine, mais sans avoir de monitorat, pas facile facile. J’ai quand même pu faire ces quelques heures d’oraux pour des étudiants en deuxième année de ce qui était encore le Deug, peu après mon retour des États-Unis. Et puis, il me fallait déjà préparer la suite, ce que j’allais faire de mes dix doigts après ma thèse.

Outre les traditionnels post-docs, ces expatriations à l’étranger pour faire de la recherche pendant un à trois ans, selon les contrats, il y avait les postes d’ATER. Être ATER, c’est être « Attaché Temporaire d’Enseignement et de Recherche ». Enseignant-chercheur pour un an. Je voyais là l’opportunité de goûter plus sérieusement à l’enseignement. Mais pour y parvenir il me fallait auparavant passer un concours. Je postulais à l’université Paris 7, qui proposait des postes de demi-ATER, charge d’enseignement de moitié, mais salaire moindre. Néanmoins, j’avais besoin de temps pour terminer ma thèse, ce type de solution serait parfaite. J’ai donc préparé le concours des ATER, qui comportait une première sélection sur dossier, suivie d’une interview. Ça se passait en juin 2002. La présentation orale avait ceci de spécial qu’elle ne devait pas excéder trois minutes. Présenter son travail et ses perspectives en trois minutes relève d’un sacré tour de force. Mais les règles du jeu étaient posées. J’ai joué sans râler. Je me suis même plutôt amusé à préparer mes trois transparents, n’en faire ressortir que l’essentiel, et peaufiner mon speech que je répétais inlassablement la veille du jour J : devant le jury, je n’aurais pas le temps de la moindre hésitation !

Fin juin de la même année je présentais un poster au colloque annuel de la Société Française d’Astronomie et d’Astrophysique (SF2A), qui se tenait à Paris. Là, j’appris par un membre du jury des ATERs que j’avais été bien classé. J’appris aussi que la foire aux enseignements de l’université devait se tenir le lendemain. C’est ainsi que je m’y suis rendu, ce qui m’a permis de choisir ce que j’allais enseigner, et surtout quand j’allais le faire : il fallait absolument que ce soit au second semestre pour me permettre de terminer ma thèse tranquillement. Ainsi fut fait.

N’allez pas croire que je voulais ainsi « gratter » du temps supplémentaire pour terminer ma thèse. C’est seulement que étant revenu des États-Unis début avril, ma bourse de thèse, interrompue seize mois auparavant, reprenait son cours normal. Il me restait dix mois de financement. Donc jusqu’en février de l’année suivante. En quadrature avec tous les calendriers de concours, post-doc et compagnie, qui considèrent que l’année débute en septembre...

D’ailleurs, j’ai dû démissionner de ma bourse de thèse pour bénéficier du salaire d’ATER. De demi-ATER. Certes pas mirobolant, mais c’était un peu mieux que la bourse ministérielle. Un petit échelon de gagné dans l’échelle sociale !

 Soutenance

Je voulais absolument soutenir avant la fin de l’année, afin de pouvoir me faire qualifier pour pouvoir ensuite postuler aux concours de Maître de Conférences. La date limite des dossiers de qualification était fin décembre, juste avant les vacances de Noël.

Mon jury de thèse a été défini d’un accord commun avec mon directeur, j’ai contacté ses futurs membres pour leur demander leur avis. L’espoir revenait, après tout, si j’étais en mesure de soutenir, c’est peut-être que mon travail valait quelquechose ? Comme c’était la mode et je n’étais pas en mesure de la contrecarrer, j’ai invité dans mon jury un étranger. Un américain. Saul Perlmutter n’aurait accepté, j’ai demandé au seul ami que je me suis fait sur place, un chercheur un peu excentrique. Il a accepté. D’autant que mon labo lui payait l’aller-retour en avion. Quand le sous-directeur du labo a vu la note, il a dû regretter de m’avoir donné le feu vert...

J’ai envoyé mon mémoire, pas tout à fait terminé, aux deux rapporteurs début novembre. La date de soutenance était fixée au 18 décembre. Il me restait donc un mois et demi pour terminer une partie de l’analyse, celle des erreurs systématiques, mettre un point final à mon mémoire, et préparer mes transparents pour ma soutenance.

J’ai tout fait dans les règles de l’art, à savoir celles de l’université d’Orsay. Tout était prêt pour ma soutenance le 18 décembre 2002. J’avais réservé l’amphi, dégoté le vidéoprojecteur, fait des essais pour ne pas être pris au dépourvu le jour J, envoyé les invitations par courriel, trouvé des barils de champagne pour fêter ça (pourtant, j’aurais bien aimé trouver autre chose que du champ’ que je n’aime pas, mais je n’ai pas eu le courage de courir après un breuvage décent pour de telles circonstances, mais néanmoins buvable. J’ai donc fait dans le classique !), parce qu’il le faut bien. Mes parents sont « montés » exprès à la capitale pour l’occasion. Je soutenais le mercredi, mon speech était prêt le lundi pour répétition lors de la réunion de groupe. J’étais zen, parce que rien n’a été fait à l’arrach’...

La veille de la soutenance mon directeur de thèse m’invitait à dîner chez lui. Il avait invité également notre ami commun, l’américain membre de mon jury. Voilà comment j’ai eu mon doctorat !

 Jour J

Costume sombre trois pièces, cravate vissée autour du cou... Non mais ça va pas la tête ? Pantalon de toile, certes, chemise propre de circonstance, mais cravate Ô grand jamais, j’avais besoin de tout mon souffle pour parler pendant cinquante minutes.

La soutenance s’est bien passée. J’ai répondu à toutes les questions du jury. Même celles de mon ami américain, qui étaient en anglais — quelle classe ! L’amphi était assez clairsemé, un petit regret, mais c’est parce que je soutenais dans la cambrousse, loin de la capitale. Après m’avoir bien assaisonné, le jury s’est retiré pour délibérer. Moment de détente. Et puis, passé un interminable laps de temps, il est revenu annoncer son verdict : voilà, j’étais docteur. Mention très honorable. Dans la moyenne, en somme. J’ai retenu que ma présentation avait été appréciée pour sa clarté. Et puis chacun et chacune fut invité à se translater vers le traditionnel « pot ». Finalement à discuter avec les uns et les autres, je n’en ai pas bu beaucoup, du champagne, c’était aussi bien ainsi !

  Et après ?

Juste après ma soutenance, c’était les vacances de Noël, décompression, air pur des montagnes, et ski en perspective !

Néanmoins, la fin de la thèse, c’est le début des ennuis et la fin de la belle vie estudiantine : il m’allait falloir trouver que faire de mes dix doigts. J’avais vaguement repris confiance en moi à l’issu de ma soutenance, et j’avais vraiment envie de continuer sur ma lancée. La perspective de me retrouver ingénieur à aligner des lignes de code dans une SSII quelconque ne m’enchantait pas plus que ça. Certes, j’étais à peu près tranquille un temps, celui de mon ATER [12], mais je savais qu’il me fallait déjà penser à la suite. J’épluchais les annonces de post-doc [13] en France et un peu partout dans le monde. J’ai envoyé des candidatures au Chili, aux États-Unis, au Canada, à Lyon, en Italie, et probablement ailleurs... Entre les uns qui attendaient le financement pour donner une réponse, ceux qui ont choisi un autre candidat et n’estimaient pas nécessaire de prévenir les autres, et enfin ceux qui répondaient, nécessairement positivement, puisqu’ils se donnaient la peine de répondre, je me suis bien amusé pendant l’hiver 2003 !

Sur cinq ou six dossiers envoyés à travers le monde, pour des post-doc dans mon domaine de compétences, celui des supernovæ, je n’ai reçu que deux réponses. Mario Hamuy, courant février me disait que j’étais sur sa « short list » pour le post-doc au Chili, mais qu’il avait quelque problème pour trouver les fonds nécessaires. Et Massimo Turatto, en mars, le 19, qui m’envoie un courriel me disant que je suis aussi sur sa « short list », pour le post-doc en Italie, qu’il attend un numéro de téléphone pour m’appeler et m’interviewer. Je m’empresse de me faire interviewer ! Résultat : premier sur la short list ! Yes ! Tout de suite, je suis aller voir sur un atlas où se trouvait « Padoue », puisque c’est là que ça se passerait : à deux pas de Venise, au beau milieu de la plaine du Pô, pas très loin de la mer Adriatique. Dans le nord de l’Italie, donc, pas très très loin des mythiques Dolomites, dont je ne connaissais alors que le nom. Et encore. Ça se présentait — géographiquement au moins — pas mal du tout...

Je me suis quand même rencardé autour de moi pour savoir ce que les gens pensaient de ce « Turatto » et de son équipe. Tout le monde me conseillait d’y aller.

Mais comme rien n’est simple en ce bas monde, les italiens voulaient me voir rappliquer au plus vite. Mon contrat à l’université se terminait fin août. J’ai quand même réservé ma réponse en attendant de voir le résultat des concours. Ce petit jeu a duré jusqu’en juin. Fin juin, je suis allé passé deux semaines à Padoue, sous une chaleur torride, dans le seul camping de la région, pour, entre autre, signer mon contrat de post-doc. Et chercher un logement. Au départ sans grande conviction, j’ai réussi à trouver les trente mètres carrés dans lesquels j’allais passer deux ans le jour même où je repartais de Padoue.

 À Terre...

Pour mon poste d’enseignant temporaire, j’avais bien manœuvré pour faire mes enseignements au second semestre, et ainsi terminer ma thèse tranquillement à l’automne. C’est ainsi qu’en février je débutais cette grande aventure. J’ai enseigné la physique, mécanique et optique, à des étudiants en première année de ce qui s’appelait encore « DEUG ». Je faisais les TDs — Travaux Dirigés —, nous étions une dizaine d’enseignants à œuvrer dans ce module. Ce fut un véritable plaisir que de bosser avec cette équipe, j’ai appris plein de choses ; bref, j’ai adoré cette expérience, nouvelle pour moi. Même si entre la préparation des TDs, les réunions pédagogiques, les cours proprement dits, il ne me restait plus beaucoup de temps pour mon travail de recherche.

J’avais été affecté à l’expérience SNLS — SuperNova Legacy Survey — qui débutait sa recherche de supernovæ distantes dans le but de mesurer avec précision les paramètres cosmologiques. Je ne m’étendrais pas plus sur le sujet, puisque je n’ai pas eu le temps de vraiment m’y pencher sérieusement. Au printemps, les rares plages de temps que me laissait l’enseignement furent occupées par la préparation des concours. Ensuite, je me suis mis à la rédaction de l’article présentant les résultats que j’avais obtenus pendant ma thèse.

 Premiers concours

À peine ma thèse soutenue, j’envoyais un dossier de qualification pour les concours d’enseignant-chercheurs. Pour pouvoir se présenter à ces concours, il faut non seulement être docteur, mais également qualifié. La qualif’, comme on dit, c’est une sorte de passe-droit qui permet de s’inscrire aux concours en question.

Au CNRS, je candidatais dans trois sections : « physique des particules », « astrophysique » et une section inter-disciplinaire, « astroparticules ». Les dossiers devaient être envoyés courant janvier. Les auditions avaient lieu au printemps.

À l’université, une présélection des candidats est faite au vu de leur dossier. Seule une poignée est auditionnée. Tandis qu’au CNRS tous les candidats sont systématiquement auditionnés ! La première année, on est naïf, on se pointe la gueule enfariné, et parce que le jury de thèse vous a félicité (officieusement) pour votre travail, vous pensez que le monde vous appartient. Et bien non ! Il m’a fallu plusieurs années (trois en l’occurrence) pour comprendre un tant soit peu les rouages de ces concours.

Après coup, je me suis ainsi rendu compte qu’au CNRS, je n’avais aucune chance : trop peu de publications en premier auteur, une année de perdue à faire de l’enseignement (ATER), et en plus je n’avais pas fait ma thèse dans un laboratoire du CNRS mais du CEA, qui plus est dans un labo de physique des particules, bien qu’ayant une formation d’astrophysicien, et sur un thème que l’on situe (curieusement) à la charnière entre l’astrophysique et la physique des particules. Donc le jury de la section « physique des particules » m’écoutait gentiment, ne comprenant pas, visiblement, ce que je racontais, et accessoirement se disant que mes préoccupations n’étaient pas de leur ressort, mais plutôt de celui de leurs collègues, les astrophysiciens. Quant au jury de la-dite section « sciences de l’univers », astrophysique, donc, ils ne comprenaient rien à la problématique de mon travail, mais m’écoutaient poliment, sans omettre de me poser quelques questions qui démontraient qu’ils n’avaient rien compris au schmilblik. Et puis, il restait les « astroparticules » où je pensais éventuellement avoir ma place. Mais non. Encore que c’est dans cette section que je connaissais le plus de membres du jury — un signe ? — et c’est là également que j’ai eu droit aux questions les plus intelligentes, preuve que mon auditoire comprenait quand même quelquechose, en fin de compte. Mais il ne me sélectionna pas pour autant. Là, je n’ai jamais vraiment bien compris pourquoi je ne rentrais pas dans les bonnes cases... Un de ces mystères insondables des concours.

Les apprenti-astronomes ont également la possibilité d’obtenir un poste permanent comme « astronome » dans l’un des divers observatoires du territoire. Les astronomes sont historiquement chargés de faire fonctionner le service des observations. Avec l’évolution du métier, ce service se mue en tâches diverses et variées, toujours pour la communauté, qui vont de l’enseignement à la construction d’instruments ou à la fabrication de catalogues d’utilité générale. Pour passer le concours correspondant il faut avoir pied dans un des observatoires géré par le corps des astronomes, et présenter un projet de « tâche de service » qui tient la route, en adéquation avec les compétences du postulant, les attentes de la communauté, et les capacités du laboratoire d’accueil. J’ai finalement compris, que ayant fait ma thèse bien loin de ce type d’établissement, je n’avais aucune chance dans cette voie. Là encore, comme au CNRS, tous les candidats sont auditionnés. J’ai eu vaguement l’impression à une ou deux reprises, de retenir l’attention, peut-être pas du jury, mais tout au moins de mon rapporteur, ce qui est déjà un exploit en soi !

Restaient les concours de l’université...

2003. L’hiver et le printemps furent donc consacrés à mes enseignements, à la rédaction de divers dossiers, et la préparation de divers auditions, concours CNRS, université, observatoires, etc... Si le CNRS m’a gentiment souris, l’air de me dire, c’est bien, mais on attend de voir la suite, j’ai eu la surprise d’être classé deuxième sur un poste à l’université Paris 7. Mais c’est un sport où il n’y a pas de médaille d’argent pour le deuxième : il n’y avait qu’une place. Forcément. J’ai gardé espoir longtemps, espoir que le premier serait pris sur un autre concours, mais il n’en fut rien. Sur ce coup-là, j’ai eu de la chance. Parce que si j’avais été pris, je ne serais pas allé en Italie. Ce qui aurait été dommage, j’aurais loupé quelquechose, même si à l’époque je ne le savais pas. En parallèle je faisais mon tour de France des laboratoires pour donner des séminaires sur mon travail. Marseille, Lyon, Toulouse, Paris... Colportage. Marseille, je l’ai même fait dans la journée. Aller-retour en TGV, le temps de parler de mon travail au Laboratoire d’Astrophysique de Marseille, mais sans passer par la case « Calanques... » En somme, tout ce foin m’occupa pas mal à cette époque.

 Astronomie hawaïenne

La suite (et la fin) de mon poste d’ATER fut qu’après avoir terminé les enseignements, en juin, je me suis porté volontaire pour aller passer un mois à Hawaï (dur !) en août 2003, donc, pour bosser sur la recherche de supernovæ du SNLS qui se faisait sur un télescope de là-bas. Un cadeau ! Un cadeau, car le boulot ne serait pas vraiment pénible, et me laisserait pas mal de temps pour bosser — enfin ! — sur la rédaction de l’article présentant mes résultats de thèse ; article qui avait avancé au ralentit jusque-là pour cause d’enseignement et de concours divers et variés. Le boulot, c’était grosso modo jeter un œil sur les candidats supernova détectés pendant la nuit. Nous lancions le logiciel de détection sur les images toutes chaudes, descendues de la montagne par le réseau, le matin pendant le petit-déjeuner depuis notre maison. Une fois au labo, il nous fallait inspecter visuellement les « bons » candidats pour séparer le bon grain de l’ivraie...

Bord de mer à Kona

Lors de mon séjour, nous n’avons pas découvert de nombreux bons candidats. Les aléas de la statistique poissonienne auxquels sont soumis les explosions de supernovæ présentèrent un creux lors de cette campagne de recherche. Je restais scotché le reste du temps sur mon article, plutôt que de me lancer dans du développement propre à l’expérience SNLS, ayant toujours eu du mal à me focaliser sur plusieurs choses simultanément. De fait, ce pourquoi j’étais vaguement payé, outre l’enseignement que j’ai mené à bien, à savoir la recherche au sein du SNLS, n’a pas fait un bond en avant grâce à moi...

L’expérience louait une maison pour abriter ses « shifteurs », comme on dit. Ça se passait sur Big Island. Notre pavillon se trouvait côté sud, qui jouit d’un climat sec. Nous travaillions dans les locaux du Télescope Canada-France-HawaïCFHT —, qui se trouvaient au nord, du côté humide de l’île. Chaque jour nous passions ainsi en voiture du sud au nord. Et chaque jour nous franchissions une frontière immuable, celle entre l’herbe jaunâtre, sèche, grillée, et celle d’un vert grassouillet resplendissante. La transition, aussi surprenant que cela puisse paraître (et je m’en étonnais chaque jour), se faisait sur l’espace de quelques mètres. Généralement, passés côté vert, nous devions actionner les essuie-glaces.

Flore locale

 Sous les tropiques exactement

Avec les tortues de Beach 69

Malgré tout j’ai pas mal profité de l’endroit. Baignade le matin dans des eaux d’une transparence indécente — À Beach 69 —, et surtout chaudes comme un bon bain, avant d’aller au bureau. Quelques brasses avec les tortues, ça aide tout de suite à avoir les idées plus claires !

L’observatoire au sommet du Mauna Kea
En arrivant à l’observatoire du Mauna Kea (4205 m), de gauche à droite : Canada-France-Hawaii Telescope (3.6 m), Gemini Nord (8 m), Université d’Hawaii (2.2 m), United Kingdom Infrared Telescope, Université d’Hawaii (0.6 m).

C’est aussi le seul endroit où je suis allé à plus de 4000 mètres d’altitude en voiture ! Notre travail n’impliquait pas que nous devions être de nuit au télescope, les images étant transférées par le réseau en bas de la montagne. Toujours est-il que nous eûmes l’opportunité de monter sur la montagne — le Mauna Kea — pour visiter le télescope CFHT. Nous y sommes allés en fin de journée. En voiture. Monter là-haut en voiture était un peu révoltant. Mais la visite valait le coup ! Après une paire d’heures d’ascension, le temps de passer de 0 à 4000 mètres, avec une « pause » vers 3500 mètres « pour s’acclimater », ce fut visite du télescope, un petit « grand » au miroir primaire de 3.60 mètres de diamètre, et pour finir, coucher de soleil au sommet, sur le Pacifique, depuis la passerelle de la coupole, avant de redescendre de nuit vers la plaine.

Le télescope Canada-France-Hawaii dans sa coupole

J’ai quand même fait l’autre « 4000 » de l’île à pieds, le Mauna Loa, voisin du Mauna Kea. Le Mauna Loa était encore en éruption dans les années 1980. C’est un véritable mastodonte dans le monde des volcans. J’y suis allé avec des collègues de l’observatoire. Nous sommes montés en voiture jusqu’à un observatoire de l’atmosphère, à 3400 mètres. C’était curieux, car le volcan est si imposant que la pente sur son flanc est faible : le chemin grimpait droit dans la pente sans que cela ne paraisse excessivement raide ! Les derniers huit cents mètres de dénivelés se firent à pieds, quand même. Mais pas de chemin, il faut y aller au juger au milieu de torrents de lave figés pêle-mêle par quelque démiurge. Le sommet n’était qu’une vaste dépression, plaine de lave au fond d’une gigantesque cuvette. La caldera. En faire le tour aurait pris une éternité, et même si le point culminant de l’édifice n’était pas clairement identifiable, nous décidâmes que le « sommet » serait là, et nous nous posâmes au bord du précipice pour casser la croûte.

Sommet du Mauna Loa
La caldera sommitale du Mauna Loa, à 4170 m d’altitude. La dernière éruption du volcan date de 1984.

 Tourisme hawaïen

Le côté tropical de l’île

La dernière semaine, ce fut vacances. Au programme, découverte de Big Island sous toutes les faces. J’arpentais l’île en long en large et en travers. Et seul. Je découvrais la forêt vierge et sa végétation luxuriante, les grandes étendues herbeuses, ses troupeaux de vaches et ses cowboys, les couchers de Soleil sur la plage, et puis ses volcans ! J’allais passer deux jours dans le parc national des volcans sur les flancs du Kilauea ; pour ce faire le directeur du CFHT me prêta même une voiture de l’observatoire !

Des volcans en activité ! Le rêve ! Je ne savais où donner de la tête. J’avais envie de tout voir, de me balader partout. Un lieu magique, lunaire, grandiose. Je promenais mes pompes près d’immenses cratères fumants, sur de la lave vieille d’à peine quelques jours : étrange sensation (sol tout chaud, croûte solidifiée sous laquelle on devinait le rougeoiement de la forge de Vulcain : est-elle solide, au moins ?) ! Vague sentiment d’insatisfaction, néanmoins : pas de lave incandescente dégoulinante à se mettre sous les mirettes. Il y avait bien quelques points rougeoyants, là-bas, plus haut, là où l’on avait pas vraiment le droit d’aller traîner nos savates. J’arpentais le champs de lave, pesant l’idée d’aller jeter un œil là-haut, même si ce n’était pas très autorisé, et puis coup de chance : un tube de lave se brise, épanche son flot incandescent à quelques centaines de mètres de moi. Je vais voir de la lave de tout près. Ça, c’était quelque chose !

Épanchement de lave sur les flancs du Kilauea

Et puis il a bien fallu quitter ce coin de paradis, avec la satisfaction, néanmoins, d’en avoir à peu près fait le tour, pour revenir à Paris, via Washington, où j’ai poireauté plusieurs heures dans l’aéroport, avant de m’enquiller plus de dix heures de vol jusqu’à Paris. À l’arrivée, j’étais décalqué !

 Revenir et repartir

À peine de retour à Paris — où pendant que je découvrais les charmes insulaires au beau milieu du Pacifique tropical, une canicule sans précédent mettait l’hexagone sens dessus dessous — je préparais déjà mon déménagement en Italie.

Coucher de Soleil au sommet du Mauna Kea depuis la passerelle du CFHT

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