Un car-couchette de la mi-avril. Printanier. Sauf que, sauf que. Dans la semaine qui précéda le week-end en question, les prévisions météo enchaînaient perturbation sur perturbation déposant chacune son plâtra de neige sur les hauteurs avec ses gerbes de vent violent de surcroît. Il fallait donc changer de coin, de massif, pour éviter de se prendre toutes les purges des pentes raides inévitables dans la vallée du Vénéon, destination originelle, lors du redoux prévu pour le week-end en question.
L’Ubaye s’imposa. Beaucoup moins de neige fraîche de prévue, un grand beau temps en perspective, et des wagons de neige en montagne : l’hiver a été généreux. L’adhésion au détournement fut rapide, les formalités de changement de destination furent efficaces grâce à Sabrina.
Un week-end en amoureux, les beaux-parents venaient ainsi visiter Palaiseau et accessoirement garder Sarah. Ils débarquaient à peine vendredi en fin d’après-midi tandis que nous avalions une assiette de pâtes entre deux consignes sur les biberons et les couches, avant de charger notre barda sur les épaules pour aller prendre le RER, sous les yeux amusés d’une voisine.
L’aventure commence là. La gare est actuellement en travaux de rénovation, les abris ont été démontés. Mais, malgré leur sagesse, les ingénieurs n’ont pas prévu quelque chose de temporaire en guise de. Pourtant si notre train avait été à l’heure, l’averse qui menaçait depuis un moment, gros nuages noirs à l’ouest, nous serait passée par-dessus comme l’eau sur les plumes d’un canard. Comme il fut en retard, d’un bon quart d’heure, nous n’y échappâmes pas. Blottis sous un module de caméras trop étroit en guise de toit, j’ai réussi à protéger mon sac avec l’appareil photo, les papiers, le bouquin, mais je me suis retrouvé les pieds et le pantalon trempé. Maudit RER...
Le temps de nous égoutter un peu, puis Denfert-Rochereau. Le car est là, les copains aussi.
Une petite nuit plus tard, bercé par le ronflement du moteur, les épaules coincées dans l’étroitesse de la couchette, les pieds dans la tête du voisin, nous arrivons à Barcelonnette avec une heure de retard sur nos prévisions (qui étaient optimistes). De là, un taxi nous emmène à Bayasse, minuscule village encastré dans le coude d’une vallée défendue par des gorges abruptes. Petit-déjeuner rapide et nous mettons les peaux sous les skis. Il est tard, le soleil inonde déjà largement de lumière les montagnes alentours.
Nous nous dirigeons vers le Mont Pelat, seigneur incontournable des lieux. Route du Col de la Cayolle, avec son bon mètre de neige bien tassée, ouverte en partie à la fraise, tranchée bitumée qui contraste avec l’ambiance paisible et sauvage du lieu. Vallon de la Grande Cayolle, première pente un peu raide, orientée nord. Je trace, je trace, mais je ne suis pas tranquille pour autant, je n’ai pas une confiance solide en ce que j’ai sous les spatules.
Et puis la pente sous le Pas de la Grande Barre apparaît au-delà. Wouhaou, me suis-je dit tout de go. Surplombée de corniches de part et d’autre, vue de face, elle m’est apparue bien inhospitalière. J’ai tout de suite su que je n’irais pas me mettre dedans. Puis nous nous en sommes approchés, quand même, pour mieux voir. Évidemment, elle n’était pas si raide que ça. Pas si longue non plus, mais bel et bien cernée de corniches surplombantes témoignages du vent violent qui a régné ces jours-ci et dont la montagne frémi encore, langues d’écumes qui s’échappent dans l’azur. Cette pente est évidemment plaquée. Mais courte et non exposée, il serait possible d’y aller voir, un par un, bien sûr. Est-ce cependant bien nécessaire ? Il est déjà tard — midi — et si nous montons au Mont Pelat, c’est la certitude de ne pas pouvoir enchaîner sur le Cimet ensuite. Sans compter que la possibilité de descendre le couloir nord est très très aléatoire elle aussi.
Nous jouerons donc la prudence, faisant une croix sur le Sommet du lieu pour nous reporter sur son petit frère, le Cimet. Avec son arête sud, nous étions sûr d’arriver au sommet. Pour la suite de la balade, nous verrons bien !
Sans enlever les peaux, nous descendons doucement les vallonnements le long de la face nord du Mont Pelat, vers le Petit Col de Talon. Raide, court et orienté est, il est rapidement franchi. Le vent nous accueille avec une petite bise d’ouest qui nous laisse frémissants. Le casse-croûte réclamé à corps et à cris n’en sera que plus rapide.
Nous gravissons l’esthétique arête sud du Cimet, sur son flanc ouest, pour éviter les corniches qui pendouillent sur le versant est. La pente est parfois raide mais ça passe très bien.
Au sommet, je vais jeter un œil sur le versant nord, par lequel j’avais envisagé de descendre. Si le vallon en contre-bas a l’air superbe, recouvert de son manteau blanc immaculé, je n’ose m’y aventurer, tant ces pentes nord me semblent minées. En revanche, la face sud-ouest que nous avons dominé toute la montée, ensoleillée à souhaits, semble nous tendre les bras.
Et c’est parti sur la directissime du sommet. Bonne neige, baignant au soleil, bonne pente avec ses 40° bien tassés. Quelques centaines de mètres à ce régime, dans le bas, c’est bien mou, ça part en coulée à chaque virage : il ne faut pas s’arrêter, sous peine de se faire rattraper et bousculer par la lampée de neige décollée par le virage du dessus. En bas, un chouette vallon nous ramène dans le droit chemin, sous le Petit Col de Talon. Nous remettons les peaux pour une centaine de mètres. Au col, on enlève les peaux pour du superbe ski dans les vallons de la Grande Cayolle. Au pied du col suivant des Esbéliousses, on remet les peaux. Ça colle toujours.
Nous gagnons ainsi le sommet sud de la Crête de la Roche Éclatée, par son arête ouest aux corniches sculptées par les caprices du vent, et de là, le sommet nord, qui surplombe Bayasse. Petit détour, donc, pour éviter l’inévitable séance de ski de fond le long de la route du col de la Cayolle si nous étions revenus par là où sommes arrivés.
Mais, sur cette ultime cime de la journée, au moment d’enlever les peaux pour la dernière fois, j’omets de jeter un œil sur la carte. J’embarque ainsi tout le monde dans la pente nord, qui se raidit rapidement. J’avoue que pour un 25°, je suis dubitatif. Bon. En tout cas, ça passe, la neige est dure, donc stable, mais la neige est dure, donc peu agréable à skier. Nous sommes dans une sorte de goulet à 40°, certain(e)s apprécient moyennement la plaisanterie. Mais bon, tout le monde en sort par le bas sain et sauf. La suite, c’est de la forêt, pourtant clairsemée de mélèzes, mais d’autres apprécieront moyennement qu’elle soit si mal rangée avec des arbres un peu partout. D’autant que la neige, sorte de mélasse humide, est profonde et peu skiante.
Comme ce dernier sommet domine Bayasse de sa face nord désormais à l’ombre, dans laquelle nous nous dépêtrons présentement, il suffit grosso-modo de laisser faire la gravité pour finir, tant bien que mal, par arriver en bas. Ceci étant, ce « bas » là est celui de la rivière qui s’écoule (forcément) en fond de vallée. Le Bachelard en l’occurrence. Or le village de Bayasse, et a fortiori le gîte qui nous héberge, n’ayant pas spécialement les pieds dans l’eau, et ayant de surcroit une position optimisant son ensoleillement, cela impliqua nécessairement une (petite) remontée sur le versant opposé. Terrasse baignée de soleil oblige.
Nous nous réveillons tôt. Enfin, disons que le réveil sonne tôt. Pour le reste, une certaine inertie, probablement due à la vaste journée de la veille, subsiste. Du coup, nous décollerons tard. Relativement à l’heure du réveil, j’entends. Nous partons sur les traces du groupe de Jean de la veille, tandis qu’eux sont déjà partis sur les nôtres depuis belle lurette. Comme ça, au moins, on préserve notre solitude face à la montagne ; on se partage le massif pour mieux ne pas se gêner. Nous remontons ainsi le vallon de Sanguinière, superbe de vallonnement tout en platitudes. Le temps est au beau, frais, mais cette fois le vent nous fait même la grâce de ne pas intervenir. Je tiens une petite forme, un peu plus petite que la veille, déjà. Mais je reste pas trop loin derrière et fais semblant de prendre des photos pour donner le change.
Nous arrivons sur l’antécime de la Tête de la Sanguinière. Un petit bout d’arête mixte effilée et exposée nous sépare d’une large crête pour parvenir au sommet. Des traces de ski montrent que ça passe à skis, je trouve l’exercice un peu osé, et surtout inutilement exposé. Nous aurons quant à nous recours à une corde fixée sur deux corps morts de part et d’autre de l’obstacle. Nous chaussons les crampons, et avec le piolet dans une main, ça devient nettement moins banzaï. Marion appréciera ainsi d’étrenner sa paire de crabes qu’elle trimbale si souvent sans jamais les sortir du sac, Julien appréciera moyennement la plaisanterie et espère secrètement (mais fortement) que le couloir à l’autre extrémité du sommet sera en bonne conditions : tout pour ne pas avoir à repasser par là.
Ce petit épisode alpinistique franchi, nous parvenons sur un sommet antithétique, aux proportions collinesques. Un cairn est érigé sur le faite de la vaste calotte, indiquant probablement le point culminant. Je vais jeter un œil sur le départ du couloir sud pour constater que la neige y est encore trop dure. Nous en profitons pour casser la croûte sous un soleil généreux avec à peine une petite bise d’ouest glacée. Histoire de.
À la suite de quoi nous allons tous voir le départ en entonnoir du couloir, que chacun puisse se faire son idée. Le soleil a déjà fait son office, une fine pellicule de neige fondue agrémente agréablement les perspectives. Les conditions optimales sont réunies, là, maintenant. Anne-Soisig n’est pas convaincue pour autant et s’apprête à descendre en crampons, la mine renfrognée qu’on lui soustraie ainsi la bonne neige de la pente nord. Benoît s’élance, et s’envole de virage en virage dans des gerbes de neige ; appâtés, Marion et Julien ne traînent pas à s’en payer une tranche. J’insiste pour qu’Anne-Soisig essaie. Bon. Elle rechausse ses skis. Tente timidement un premier virage, s’aperçoit que finalement ça le fait bien. Plutôt bien, même. Du coup elle enchaîne les deux cents mètres du couloir sans s’arrêter. Je la rejoins en bas, elle rayonne. Encore quelques beaux virages dans cette neige printanière, légèrement fondue sur le dessus, avec un fond dur, puis il faut déjà remettre les peaux pour repasser de l’autre côté, par le col de la Sanguinière.
j’adoreeeeeeeeeeeeeeeeeeeeregarder skier les genset de temps en tempsj’enlève les peauxet je remets les peauxet je réenlève les peauxet je remets les peauxet je réenlève les peauxet je remets les peauxj’adoreeeeeeeeeeeeeeeeeeeee
Du col, on enlève à nouveau les peaux, quelques virages, puis traversée descendante du vallon, avant de remettre les peaux pour remonter une dernière fois sur le Col de Cime Plate. Deuxième remontée plein sud, plein cagnard. Je commence à rissoler sous ma casquette. Heureusement, c’est court. De là-haut, dernière descente en forme de longue traversée, puis retour au gîte presque skis aux pieds, cette fois-ci, après un peu de ski en mode « sous-marin » dans une neige en déliquescence.
Ce jour-là, nous aurons même un peu de temps pour profiter de l’immense terrasse. Avant que le taxi ne vienne nous chercher pour nous ramener en bas. À nouveau un peu d’attente sur un sordide parking de supermarché, les pronostics sur le retard du car vont bon train. Il aura exactement trois minutes de retard.
Direction Gap au milieu des vergers fleuris de cet avant-goût de printemps et de Provence, une poignée de chevaux paissent tranquillement l’herbe verte, le chauffeur s’étonne qu’ils ne soient finalement pas tous dans les lasagnes... Le temps d’un court resto, puis retour au car, en position couchettes. Retour vers la capitale d’un sommeil morcelé et balloté.
Hagard à l’aube de ce lundi, un coup de RER, maison. Tout est calme, ça dort. Sarah est là, dans son berceau à la beauté antédiluvienne. Paisible.
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