Le silence des montagnes : hélicos et compagnie
La montagne procure à ceux et celles qui l’arpentent de vastes plaisirs, qui vont de la simple contemplation à l’exploit sportif. L’un de ces plaisirs, et non des moindres, est de fuir la civilisation parfois trop envahissante, pour retrouver le calme des espaces sauvages.
Le calme, parlons-en, justement... Originaire des Hautes-Alpes, je n’étais pas particulièrement habitué à que l’on me vrombissent aux oreilles quand je sue en montagne. En posant le pied dans le massif du Mont Blanc, j’ai découvert l’incessant ballet des hélicos et autres avions de tourisme. À chaque fois que je mets les pieds dans ce massif, ça ne rate jamais : les turbines de ces machins volants me vrillent les oreilles tout au long de la journée. Faut faire avec, me dit-on. C’est comme ça.
La dernière fois, dans le cirque du glacier de Talèfre, des avions viennent profiter du spectacle des cimes majestueuses et acérées. Tout comme moi, en somme. Sauf que je crois sincèrement que ma démarche est moins dérangeante et moins nocive pour l’environnement... Les avions s’en donnaient donc à cœur joie, hop, un p’tit tour, re-hop, un deuxième, et vroum, que l’on marque le glacier de son passage d’un coup de patin, tiens, voilà même un copain qui s’empresse de faire de même... Moi, je dis : insupportable ! Depuis la terrasse du refuge du Couvercle, j’aurais aimé pouvoir contempler l’extraordinaire paysage dans le calme et la sérénité. Je supporte — tant bien que mal — suffisamment de nuisances sonores à Paris pour ne pas devoir les retrouver en montagne !
La semaine suivante, rebelote dans le massif du Sustenhorn, en Suisse. Des hélicos cette fois. Pendant une journée entière, de bon matin jusqu’au milieu de l’après-midi, ça n’a pas arrêté de tournicoter en vrombissant... Je ne sais pas ce qu’ils bricolaient, dépose de skieurs ? Le résultat était assourdissant...
Agressant ainsi la montagne, les riches, car il faut bien l’être pour se payer ce genre de tourisme, semblent n’avoir cure du destin de la planète, du réchauffement climatique avéré, dépensant sans compter les litres de kérosène pour leur seul plaisir contemplatif. Égoïstes, ils pratiquent leur loisir sans tenir compte des autres, aux dépends des autres. Se rendent-ils seulement compte des nuisances qu’ils génèrent ?
Outre le loisir contemplatif aérien, l’hélicoptère sert pour déposer des skieurs hors-pistes au sommet de belles pentes, leur évitant par là même les affres d’une montée à peaux de phoque qui ne manquerait pas de les faire suer. À coups de dollars, s’ils peuvent s’éviter la dure fatigue de lutter contre la gravité... S’ils savaient que la montée à peaux de phoque, c’est ce qu’il y a de plus beau ! Et ceux qui préfèrent aller en montagne avec leurs propres moyens et subissent leurs attaques sonores ? Ils n’en ont cure, cela va de soi. C’est tellement In de se faire déposer en hélico... En France, cette pratique est interdite... Alors, à défaut de dépose, on effectue des reprises au bas des hors-pistes des stations de ski. Ou bien on dépose sur les sommets frontaliers, Suisse, Italie, où cette pratique n’est pas prohibée. Évidemment, ce genre de pratiquant, n’ayant pu reconnaître l’état du manteau neigeux lors de la montée se trouve forcément au-dessus des avalanches. De toutes façons, ils sont riches, les avalanches ne peuvent les atteindre. L’héliski, c’est très en vogue dans d’autres massifs de la planète, Rocheuses, Caucase... Heureusement que quand j’y étais, dans le Caucase, je n’ai pas eu à déplorer de telles nuisances !
Le pire à mon sens vient du fait que ce sont certains guides de Hautes-Montagne, seuls à même d’emmener des gens en hors-piste, qui promeuvent cette pratique. Ces guides n’ont-ils aucune éthique vis-à-vis de leur approche de cette montagne qu’ils aiment, forcément, et qui les fait vivre ? Lors d’une manifestation de Mountain Wilderness contre cette pratique, un guide rétorque : « Je comprends votre action, mais il faut bien que je vive. » C’est beau la conscience professionnelle !
Et quand je peste contre ces bruyants, en montagne ou même ailleurs, on me rétorque que je suis pour le moins intolérant. Que les gens ont bien le droit de se balader eux aussi, de pratiquer leurs loisirs, même en engins motorisés... Certes, je ne pense qu’à mon bien-être personnel, ces bruits de civilisation nuisent à mon bien-être. Enfin, pas uniquement le mien. La plupart des montagnards, j’ose espérer, même si parmi eux, s’en trouvent de plus tolérant que les autres...
Un article du Dauphiné Libéré revient sur le pour et le contre de l’héliski, en interrogeant des guides sur le sujet. L’un d’entre eux répond que cette pratique permet aux pilotes de s’entraîner aux conditions de haute montagne, entraînement utile lors des secours. Il ajoute que les nuisances sonores sont minimes à côté des vols « panoramiques », qui eux, sont autorisés en France. Le fait est. Mais c’est dû au fait que l’héliski est interdit en France, et pas le vol panoramique ! Et heureusement que l’héliski est interdit, sinon, plus une pente ne serait vierge pour le pauvre randonneur qui verrait passer des hordes d’hélicos au-dessus de sa tête à peine aurait-il collé les peaux sur ses skis, de bon matin ! Dans ce même article d’autres guides évoquent la consommation outrancière des hélicoptères et donc leur active participation au réchauffement climatique. Je pour quoi je suis entièrement d’accord. L’un d’eux est particulièrement radical, il se dit pour une complète interdiction de l’usage de l’hélicoptère à des fins de loisirs, y compris le ravitaillement des refuges... Il est clair que la canette de coca que j’aime m’offrir en arrivant dans un de ces petits coins de chaleur humaine en altitude, outre son coût en espèces sonnantes et trébuchantes, a un certain coût environnemental. Pour ne pas dire un coût certain... Ce même guide reproche à ceux qui prétendent défendre une certaine éthique de la montagne d’avoir recours à ce moyen de transport en Himalaya, par exemple, pour gagner des jours de marche d’approche. Il est vrai que le style n’est ainsi pas des plus économique pour la planète.
Mais indépendamment du fait que l’hélicoptère est un gros consommateur de carburant, il n’en est pas moins un nuisible bruyant. C’est contre cet aspect-là que je m’insurge ici. Si c’était une fois de temps en temps (comme le ravitaillement des refuges, le secours en montagne...), ça resterait supportable. Mais à longueur de journée, ça donne envie d’aller piquer un bazooka dans la caserne d’à côté, de le trimbaler là-haut sur le dos, pour finalement se faire plaisir !
Au moins, dans le parc National des Écrins, l’alpiniste est tranquille de ce point de vue : survol interdit à moins de 1000 mètres du sol. Autant dire que les vols « panoramiques » peuvent aller voir ailleurs. Du côté du Mont Blanc, par exemple. D’ailleurs dans le parc des Écrins, même le vol libre, en deltaplane ou parapente, est réglementé !
À quand un Parc National pour préserver ce qu’il reste du Mont Blanc ?
Samivel (1907-1992)
Guillaume Blanc
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Le silence des montagnes : hélicos et compagnie12 février 2012, par Rachel
Je lis avec grand intérêt tous vos billets sur le danger qui menaces nos montagnes, voici un copier coller qui devrait vous interesser, le Pérou est le pays du Monde qui héberge une montagne d’une beauté divine mais aussi des sites archéologiques patrimoines de l’humanité, je connais bien ce pays, celà fait des années que le parcours et tout ce que je constate c’est l’avancé du capitaliseme sauvage, voilà l’article, source RISAL site très interessants pour tous les passionnés d’Améroque Latine
PÉROU
Le tourisme sauvage dévore le Machu Pichu par Mateo Balín Article publié le 28 décembre 2006 envoyer par mail C’est avec ironie qu’on raconte dans le village d’Aguascalientes, au pied du Machu Pichu, que le tourisme est en train de réussir là où les “envahisseurs espagnols” ont échoué cinq siècles auparavant. Le vestige le plus étonnant de la civilisation Inca est le témoin de sa dégradation, fruit de la négligence institutionnelle.
C’est avec ironie qu’on raconte dans le village d’Aguascalientes, au pied du Machu Pichu, que le tourisme est en train de réussir là où les “envahisseurs espagnols“ ont échoué cinq siècles auparavant. Si ce symbole inca avait alors échappé au feu conquistador sans qu’on sache encore comment, jusqu’à ce qu’en 1911 un avide archéologue états-unien tombe dessus, il n’a pas fallu longtemps pour que cette merveille visuelle, patrimoine culturel de l’humanité, cède ses privilèges au tourisme ‘dollarisé’ sous le regard impavide des institutions internationales (UNESCO) et nationales (gouvernement péruvien), sans parler des compagnies privées dont le caractère déprédateur frise l’horreur.
L’UNESCO, agence de l’ONU qui protège le patrimoine considéré comme appartenant à tous, peut bien annoncer, comme elle l’a fait il y a deux ans dans un rapport diffusé dans les médias, l’inexorable dommage que subit le Machu Pichu ; le gouvernement de Lima, aussi bien lors du mandat « privatisateur » de Fujimori que de celui poursuivi par le décevant Toledo, peut bien reconnaître des erreurs de gestion alors qu’on ne peut plus faire marche arrière ; des voix indépendantes peuvent bien implorer le ciel et la revue New Scientist certifier les dangers ; ou l’Institut de prévention des désastres de Kyoto (Japon) annoncer : « Le Machu Pichu bouge d’un centimètre par jour car il est situé sur des terrains volcaniques ».
On peut continuer à parler du halo mystérieux qu’il renferme, des exquis secrets qu’il recèle, de l’importance de ses vestiges archéologiques ou du « courons le visiter ! » des agences touristiques.
Mais, par contre, pas un mot expliquant pourquoi les parties intéressées ont convenu de limiter l’entrée à moins de mille personnes par jour, alors que les visiteurs sont multipliés par deux ou trois, selon les dates et les saisons ; ou comment des dizaines de microbus circulent à toute allure, six ou sept fois par jour, aller et retour, sur un chemin de terre qui zigzague dans la vallée, et s’arrêtent juste à quelques mètres des ruines ; pas un mot de la poussière et du bruit qu’ils dégagent et des conséquences qui en découlent sur l’écosystème - une réserve sylvestre de 200 classes d’orchidées et de 300 espèces d’oiseaux - ; pas un mot de la raison pour laquelle le rapport de l’UNESCO sur le Machu Pichu (juillet 2004) force la note sur les recommandations secondaires - comme un contrôle plus important des routards qui parcourent le Camino Inca, 64 kilomètres de Cuzco au Machu Pichu - oubliant complètement le véritable nœud gordien : le modèle touristique capitaliste dévore le Machu Pichu.
Bénéfices économiques
Parce qu’il vaut mieux ne pas parler des vertus économiques de cette merveille du monde. Que ce soient les invitations répétées à l’investissement privé de la part du président Toledo, avec en prime une photo au pied du village aux côtés de Kofi Annan, [ancien] secrétaire général de l’ONU, ou le pactole qu’elle représente pour les autorités de Lima : une délicatesse évaluée à 15 millions d’euros annuels. Et juste avec les bénéfices des entrées individuelles, d’environ 25 euros.
A quoi il faut ajouter les 80 autres euros du train qui fait le trajet Cuzco-Machu Pichu-Cuzco et cinq euros (l’aller seulement) de microbus balai qui grimpe jusqu’aux ruines. Plus le prix de la nuit si nécessaire.
Les chefs d’entreprise de Lima dominent une partie de l’activité hôtelière d’Aguascalientes, où se sont installés environ 40 établissements dans un village de 5 000 habitants, dix fois plus qu’il y a une décennie. L’autre partie est exploitée par le consortium états-unien Orient Express et ses bâtiments modernes aux chambres à prix occidental.
Mais la privatisation de l’‘espace Machu Pichu’ ne s‘arrête pas là. Une entreprise sous-traitante de la compagnie aérienne chilienne LAN exploite l’unique voie d’accès au village - la voie ferroviaire - et le chemin des microbus. Dans une illustration évidente de la funeste politique initiée par Fujimori dans les années 90 et qui n’a fait qu’accentuer la marginalisation d’une population qui vivait du tourisme à petite échelle (vente de produits artisanaux, porteurs, pensions) et en a soudain été réduite à mendier tant bien que mal pour faire face aux hausses du billet de train et acheter des biens de consommation surévalués. Et plus grave encore : assister impuissante à l’agonie de son identité culturelle et gastronomique provoquée par le ‘fast-food’ et le spaghetti. « J’imagine qu’on veut plus de visiteurs. C’est un piège à touristes », observe le journaliste chilien Benjamin Labatut après avoir visité le « monument le plus important d’Amérique » par sa signification transcendantale.
Artisans en guerre
Le meilleur exemple des ravages qu’a provoqués ce modèle de tourisme est la protestation symbolique des artisans d’Aguascalientes depuis des semaines. Chaque jour, une centaine d’entre eux, en majorité des femmes, attendent sur les voies ferrées l’arrivée des cinq convois bondés de touristes en provenance de Cuzco. Ils manifestent leur colère auprès du spectateur par des cris et des pancartes contre l’entreprise qui assure le service : Perú-Rail, qui est aux mains d’un conglomérat anglo-chilien. Ils exigent que les engagements soient respectés et qu’on ne retarde pas d’une seconde de plus la reconstruction du pont englouti par une crue meurtrière en avril 2004.
L’objectif des artisans est d’accélérer les travaux pour que le train arrive à sa destination naturelle, la gare du village, au lieu de l’arrêt provisoire situé à côté du complexe hôtelier. Mais cette demande recouvre une autre motivation : pouvoir récupérer les ventes du marché d’artisanat populaire situé à côté de l’arrêt. En d’autres termes, empêcher que la part du gâteau que leur rapporte le tourisme ne leur échappe, mangée par les chefs d’entreprise hôteliers.
« Il s’agit d’une métaphore du cannibalisme touristique en vigueur au Machu Pichu, dont seuls profitent quelques-uns », affirme Francisca González, une jeune vendeuse ambulante, en proposant aux touristes de petites bouteilles d’eau d’une marque européenne afin qu’ils se désaltèrent pendant le quart d’heure qu’ils mettent pour monter en microbus d’Aguascalientes jusqu’aux ruines du Machu Pichu.
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