Autour du Brec
Pendant l’été 2020, nous avions envie de faire une petite randonnée itinérante pour les enfants, avec famille et amis. Un camp de base dans le Valgaudemar, le dévolu s’est fixé sur le refuge de Vallonpierre, découvert avant la naissance de notre fille, au cours d’une tentative de tour pédestre des Écrins. Nous y sommes revenus régulièrement, notamment pour ascensionner le Sirac. Et une fois en famille pour une nuit en refuge, Sarah encore petite. Un chouette coin arpenté en mode tribu pendant l’été covid. Nous étions alors passés par le refuge de Chabournéou, pour rallonger la sauce d’une journée. Et pandémie oblige, nous avions opté de bivouaquer à proximité des refuges plutôt que dedans. Nous étions vingt à sévir sur les chemins, de quatre ans à plus de soixante-dix ans.
Nous avons décidé avec les amis de remettre ça cette année. Le camp de base s’est monté à Saint-Paul-sur-Ubaye, le tour du Brec de Chambeyron s’est naturellement dessiné. En trois jours.
Pour différentes raisons logistiques, nous avons démarré en début de semaine, dès le dimanche 8 août (2021). Nous partons de Saint Paul en voiture pour nous garer à Fouillouse. Voitures pleines à craquer, neuf enfants et huit adultes. Cinq à soixante-et-onze ans, trois générations. Nous peinons à trouver une place de stationnement dans cet écrin maculé de carrosseries (à quand une navette pour dispenser ces vallées profondes des véhicules, comme dans la vallée de Clarée, apaisée ?). La balade commence en traversant le village de Fouillouse, bariolés de tôles rouillées et de fils électrique ou téléphonique pendouillards, au milieu de quelques touffes fuchsias d’épilobes.
Je marche avec Sarah, même si, rapidement, la faim l’assaille et la pousse à geindre. La pause pique-nique est accueillie avec bonheur par tout ce monde. La famille Blanc savoure les croque-monsieur concoctés par dizaines par la grand-mère la veille. Nous sommes dans le vent, un peu frais, au soleil, assis sur le béton militaire d’un fortin à moitié enterré, l’ouvrage de la Plate-Lombarde, morceau de la ligne Maginot, qui a manifestement servi qu’une seule fois, pour repérer une attaque italienne en juin 1940 par le col Stroppia, repoussé par l’artillerie des forts placés aux alentours. Des détritus, verres, barbelés, bois, ferrailles, jonchent le sol.
Les estomacs, petits et grands, rassasiés, puisque le vent n’incitait pas à la contemplation extatique du paysage, dont le minéral Brec de Chambeyron avec son plateau sommital incliné, nous poursuivons. Je chemine toujours avec Sarah, qui a retrouvé le sourire. Nous parvenons au milieu de l’après-midi au col du Vallonnet qui domine le lac du Vallonnet Supérieur, où nous avions prévu de nous poser pour la nuit. Malheureusement le vent souffle continûment et impitoyablement partout. Pas moyen de trouver un coin abrité. Nous déployons quand même le camp au pied d’éboulis (mais dans l’herbe), dans un endroit un peu reculé, qui nous semble (psychologiquement ?) épargné. Nous profitons de l’après-midi restant pour ériger quelques fortifications précaires en pierres sèches pour tenter de détourner le flux de nos sacs de couchage. Le matériau est un calcaire remarquablement ciselé par l’érosion karstique. Finalement, si le repas est assez frisquet et requiert l’usage des doudounes dès que le soleil tourne le dos derrière la colline, le vent finit par tomber, et la nuit fut relativement calme bien que froide : 3 °C au petit matin. Les occupants des duvets trop légers n’ont pas bien dormi… La nuit a certes été fraîche, mais néanmoins splendide : quelques météores sous le regard et surtout un ciel d’encre piqué d’une quantité incroyable d’étoiles. Le genre de ciel qui devient de plus en plus rare, qu’il devrait être primordial de préserver coûte que coûte… Un océan d’étoiles embrassé, d’un horizon à l’autre, le nez dépassant à peine de l’orifice du duvet, pourvu que les yeux puissent se délecter et pétiller, à la lisière du cordon de serrage, la tête à plat sur l’oreiller mal fichu des habits mis en boule.
Le réveil est vif. Nous nous extirpons du sac de couchage et allons faire chauffer de l’eau. Une source se trouve à une centaine de mètres de là, nous y remplissons outres et casseroles. Chacun, chacune émerge à son rythme, tranquillement, par échelons. Le petit-déjeuner avalé, nous plions les affaires dans les sacs pour repartir. Le soleil est là sans toutefois y être, les montagnes le cachent longuement, il nous nargue, il nous frôle, la prairie illuminée, là-bas.
La montée au col Stroppia réveille définitivement : un tas de cailloux droit dans la pente. Sarah caracole en tête avec Nolan. Au col, du vent, et quelques abricots secs. Nous passons quelques heures en Italie au grand bonheur des enfants : même les panneaux sur les sentiers sont en langue étrangère ! Chacun et chacune ressasse le nombre de visites effectuées dans ce pays limitrophe. Par contre, le vent reste omniprésent. Nous avons lorgné sur le bivouac Barenghi juste à côté du lac du Vallonnet de Stroppia. La bicoque de tôle peinte en bleue et jaune est dans le vent. Occupé par la famille qui nous précède dans la balade. Ambiance minérale toujours, avec en sus des détritus tout autour. Et des étrons humains décorés de feuilles blanches qui virevoltent dans le flux. Quand mes concitoyens apprendront-ils donc à chier dans la nature ?
Nous nous posons quand même là pour pique-niquer, du côté le plus abrité du bivouac, en évitant au mieux les souillures. Le vent saoule, à la longue. Nous repartons en suivant le bord du lac sur des blocs de rochers avant d’atteindre le col de la Gypière, pour revenir en France. L’escapade internationale aura été de courte durée. Là, unanimement, ou presque, il est décidé d’aller faire un petit aller-retour sur le sommet du coin, la tête de la Fréma, 224 m de dénivelé au-dessus. Sarah, en forme jusque-là ne veut pas y aller et fait un blocage. Je renonce, mais Anne-Soisig développe des trésors de diplomatie pour finalement la convaincre, bien après le gros de la troupe. Papipat et Yannick préfèrent descendre un peu et aller repérer un bon emplacement de bivouac : les critères sont précis, abrité du vent, avec de l’eau accessible… Je monte au sommet sans attendre Sarah. La vue est belle, un peu brumeuse. Au loin, le dôme neigeux du Mont-Blanc pointe timidement derrière une crête. Le mont Viso est plus ostensible. Côté abrupte, le vallon de l’Infernet montre une palette de couleurs pastel du plus bel effet. Côté Fouillouse, le lac des Neuf Couleurs, en forme de cœur bancal écorché est éclatant vu d’en haut. Les enfants déposent une bafouille sur le cahier prévu à cet effet dans la boîte métallique qui se planque au pied de la nécessaire croix sommitale. Petite pause pour contempler un bouquetin, Sarah et Manon arrivent. Puis tout le monde redescend. Le goûter est avalé au bord du lac des Neuf Couleurs sur un névé qui finit dans le lac. Aucun enfant n’en fera autant.
Encore un léger effort, et nous rejoignons Papipat et Yannick qui ont trouvé un coin sympa, pas trop venté (mais un peu quand même !), au bord d’un mignon petit lac au nom évocateur, le lac de l’Étoile, coincé entre la face nord du Brec de Chambeyron et la face sud de l’aiguille de Chambeyron, parois rocheuses hérissées de reliefs divers aux ombres qui s’étirent dans le soleil déclinant. Nous sommes à quelques encablures du petit glacier rocheux qui descend du Brec, amas de cailloux dont la forme rappelle bel et bien celle d’un glacier, avec ses bourrelets dus à son écoulement visqueux. Les enfants s’occupent entre le lac, pourtant un peu vaseux, au pourtour bucolique, et les rochers à grimper ou les pierres à déplacer pour tenter un semblant de pare-vent. Nous dînons de l’autre côté du lac pour profiter au maximum des derniers rayons de soleil.
La nuit, tout aussi belle que la précédente, est beaucoup moins fraîche : malgré une altitude plus élevée, le thermomètre ne s’aventure pas sous les 6 °C. Quelques degrés qui vont faire la différence : tout le monde dort correctement, le froid ne s’est immiscé dans aucun sac de couchage.
Au matin, le Brec est à nouveau embrasé de couleurs chaudes, mais les éclairages ont changé, les ombres sont inversées par rapport à la veille au soir. Une fois le camp remballé, nous reprenons notre chemin : aujourd’hui, de la descente, uniquement. Nous commençons par contourner le front du glacier empli d’un petit lac, le lac Long. Nous croisons une équipe valeureuse qui s’échine à faire grimper quelques personnes handicapées haut perchées sur des fauteuils en équilibre sur une roue, fermement maintenues par une armée de gaillards et de gaillardes. Obstination impressionnante, mais serais-je rassuré, ficelé et perché là-haut sans maîtriser mon destin ? Plus bas, des marmottes et marmottons font le spectacle dans l’herbe grasse des alpages. Le monde est là, le refuge aussi. Celui du Chambeyron où nous rassemblons la troupe. J’en profite pour aller photographier un champ de linaigrettes au bord d’un magnifique ruisseau en contrebas, à proximité du lac Premier. Les fleurs arborent un pompon d’une éclatante blancheur qui tranche sur le vert chlorophylle des feuilles, l’eau cristalline qui s’écoule et le bleu du ciel, au-delà. Malheureusement, le beau ruisseau me fait déchanter en approchant : il est complètement pollué par des immondices, comme si les égouts du refuge juste au-dessus se déversaient dedans. Je n’investigue pas plus avant pour trouver l’origine des effluves, même si le coupable semble tout désigné. Je suis stupéfait qu’il en soit ainsi. Décidément, dès que l’homme passe, la nature trépasse. Où que ce soit.
Nous poursuivons par le magnifique sentier balcon sous la Souvagea. Des touffes d’édelweiss bordent le sentier. La descente commence à se faire longue, l’atmosphère se réchauffe durement au fur et à mesure que les mètres de dénivelé diminuent. Mais nous finissons par arriver à Fouillouse. Comme il est à peu près l’heure de manger, nous nous posons dans un coin au bord du torrent de la Baragne sous le village, à l’ombre de quelques feuillus. Forcément, les enfants vont se tremper les pieds dans l’eau glacée. Nils donne le la en s’immergeant complètement. Les autres sont obligés de suivre. Marie s’y met. Pas le choix, il faut y aller. C’est rude, à couper le souffle, littéralement, mais ça fait un bien fou, un décrassage express !
Déjà, l’année dernière, au retour, ce fut pique-nique et baignade expresse dans les eaux autrement plus furieuses du torrent du Gioberney. Comblés, nous rejoignons les véhicules, puis le camping à Saint Paul.
Guillaume Blanc
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Autour du Brec26 août 2021, par Laure VINCENT
Hey c’est chez moi !
Quel chouette récit, et plaisir d’imaginer cette petite expédition. Un très joli tour. Avec en partage une même frustration : j’ai toujours voulu aller dormir dans cette bicoque italienne de Barenghi ! :)
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Autour du Brec26 août 2021, par Guillaume Blanc
J’avais dormi à Barenghi il y a quelques années lors d’une balade en ski de rando, en hiver, donc. Finalement, on est probablement mieux dehors :-) En tout cas, en hiver et en été, le coin est magnifique !
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