Multiactivités en Ubaye : entre ski-alpinisme et pouponnage
Saint Paul en Ubaye. Deux gîtes. L’un « d’étape » avec demi-pension à la clef pour le gros du troupeau, l’autre « en gestion libre » — dit « le chalet » — pour les quatre couples qui avaient apporté leur marmaille au grand air. Une semaine de vacances entre ski et babysitting pour plus d’une vingtaine de gumistes.
Anne-Soisig et moi débarquons samedi en fin d’après midi après avoir chargé la voiture d’une centaine de kilos de victuailles glanées dans le supermarché du coin — nourrir huit adultes et quatre enfants pendant sept jours, ça pèse ! —, de six paires de skis et chaussures ramenées de Paris pour les copains qui prenaient le train, de nos affaires et de notre fille, Sarah. Le matin, malgré le temps grisâtre, nous avons fait rapidement une petite Tête de Fouran, histoire de prendre l’air. La deuxième de la semaine. Mauvais temps oblige.
Mais le soleil revient — arrive ! — et dimanche matin, c’est le grand beau dans la Haute Vallée de l’Ubaye. Reste que les versants nord sur un large secteur voient leurs manteaux neigeux complétement instables. Piégeux. Il ne reste donc que les faces sud. C’est à moi de prendre le premier tour de ski. Anne-Soisig reste garder Sarah.
Dépité par l’impossibilité d’aller tâter la poudreuse du nord, j’envisage de monter sur le sommet qui domine Saint Paul au nord, donc entièrement en versant sud. Notre gîte se trouve sur les hauteurs de Saint Paul, avec une vue fantastique sur le Brec de Chambeyron et les crêtes de la Souvagea. C’est au réveil que je réalise combien les versants sud sont déneigés au départ. La perspective de commencer la semaine en portant les skis ne m’enchante guère, d’autant que le fond de vallée est bien enneigé. Tout en me préparant, les sommets alentours s’illuminent de soleil. Une belle pente de neige immaculée se détache au loin sur le ciel bleu azur et attire mon attention. Pas trop raide, ne pourrait-elle pas faire l’affaire ? Un coup d’œil sur la carte m’apprend qu’il s’agit du Bec Roux, au-dessus du village de Fouillouse. Cinq cent mètres de pente uniforme à vingt-cinq degrés, voilà de quoi faire un joli plan B ! Reste à convaincre mes ouailles — c’est un chouïa plus long que la course initialement envisagée. J’annonce la chose doucement, vantant les points positifs, sans trop rentrer dans les détails sordides.
Le départ est le même, quoiqu’il en soit. Fond de vallée sur les pistes de ski de fond gelées, skis aux pieds. Bifurcation. La gueule du versant sud, sec, motive le groupe pour le plan B. Nous empruntons donc le sentier GR, tracé par des raquettes, pour rallier Fouillouse. Fouillouse est un petit village d’altitude encastré au fond d’une vallée aux versants abrupts, connecté au vaste monde par une petite route asphaltée qui enjambe l’abîme de l’Ubaye sur un petit pont de pierre voûté, arche surplombant avec grâce les flots bouillonnants de plus d’une centaine de mètres. Le village en lui-même n’a que peu de caractère, plus typique de la relative pauvreté des Alpes du Sud. Nous le traversons rapidement, pour errer sur le versant sud du dessus, de plaque de neige en plaque de neige. Nous réussirons in extremis à ne pas déchausser. Plus haut, les alternances de neiges froide et chaude vont s’agripper désespérément à nos peaux, à notre plus grand désespoir, justement. Traîner sous les skis des patins de neige pesant leur poids en kilogrammes supplémentaires n’est pas là pour épargner la bête. Ça botte, donc. Et rien n’y fait : le coup de fart sur les peaux ne permet que de limiter le phénomène ponctuellement, qui revient ensuite insidieusement une centaine de mètres plus loin. Bref, seule la patience peut en venir à bout. Elle finit par payer, puisque la pente terminale, longue et régulièrement orientée nous offre une neige ensoleillée également humide qui fait ainsi cesser naturellement la chose. Marie retrouve le sourire !
Nous arrivons ainsi tranquillement au sommet après une série de conversions. De là, belle vue sur les montagnes alentours : Tête de Paneyron, Mortice, Tête de l’Eyssiloun, juste en face, où doit se trouver le groupe de José, le beau couloir nord qui descend de la Tête des Adrechouns — mais qui sera pour une autre fois, versant nord oblige — la Font Sancte et son superbe couloir en Banane, et bien sûr, le Brec de Chambeyron, juste là, avec son sommet tronqué penché.
Après une courte collation sommitale, nous attaquons la descente. Cinq cents mètres de pur plaisir. Il suffit de se laisser glisser, la gravité fait le reste. Neige sublime. Petite traversée en poudreuse. Pour éviter de reprendre la scabreuse piste de raquettes sous Fouillouse, je décide de tenter le vallon au-dessus de Champ Rond. Vallon boisé. Boisé serré. Se sortir de là prendra ainsi quelque temps. Tant bien que mal, nous retrouvons nos petits, le sentier ici, et bientôt la route. Une enfilade de champs et ce sont les pistes de ski de fond du fond de la vallée qui nous ramènent à Saint Paul en quelques pas de patineur. Au retour, nous passons devant le gîte des copains pour quelques échanges respectifs sur nos impressions de la journée.
Le soir, c’est couscous. Thibaut et sa tribu arriveront tard. Lundi matin, je reste au bercail, c’est au tour d’Anne-Soisig d’aller goûter au soleil et à la neige. Malgré le beau temps je resterai la journée scotché dans mon bouquin — Millénium 3, — rythmée par les biberons de Sarah. Marie et Philippe sont là, ils sortent balader leurs enfants et celui de Thibaut et Vanessa, Kena, partis en rando avec Anne-Soisig, Stéphane et Laura. Levé du mauvais pied, je passe mon humeur maussade auprès de Lisbeth Salander et Mikael Blomkvist. Le soir, ça va déjà mieux ! La perspective de sortir le lendemain ?
Mardi. Mauvais temps annoncé. Mauvais temps effectif. Tant pis, on part dans le brouillard. Depuis Fouillouse, que l’on rejoint cette fois en voiture, nous irons tenter la face sud-ouest de Rocca Blanca. Le temps oscille entre neige, brouillard et éclaircies très ponctuelles.
Nous rejoignons le col du Vallonnet dans un brouillard intermittent, avant d’entamer l’ascension des pentes de Rocca Blanca dans les limbes. Un peu de visibilité nous permet de trouver le chemin, un court et étroit couloir, dans la barre rocheuse qui défend l’accès des pentes sommitales. Les nuages viennent continuellement nous lécher les basques tandis que je trace la route vers le haut. Je suis pourtant de moins en moins serein, le manteau neigeux sous mes skis ne m’inspirant parfois qu’une confiance relative. Je m’obstine pourtant. Mais vers 3000 m, j’ai l’impression que l’état « pourri » de la neige gagne en ampleur. Le fait de ne pas voir ce qui nous attend au-dessus n’est pas fait pour me rendre confiant. Un rapide conciliabule dans le groupe et nous décidons de jeter l’éponge. Tant pis, le risque ne vaut pas la chandelle.
Nous redescendons ainsi sur une neige croûté pas terrible mais néanmoins skiable. Au pied du col du Vallonnet, il faut remettre les peaux. Thibaut s’assoit et casse la croûte, suivi par le reste de la troupe. Je grignote mes fruits secs. Transis, mais repus, nous repartons. Histoire de bien terminer la journée, nous décidons quand même d’aller faire un tour au col de Stroppia ; après tout, on a déjà les peaux sous les skis, autant rentabiliser ! Philippe fonce bille en tête pour nous faire la trace. Descente en poudreuse tout à fait royale. Personne n’étant tenté par la refaire une deuxième fois, nous poursuivons la descente vers Fouillouse. Finalement, la journée de mauvais temps a été plutôt bien rentabilisée. Ce soir-là, c’est raclette.
Le lendemain, Anne-Soisig restera avec moi pour garder les enfants, ce qui nous permettra de sortir ensemble jeudi, en laissant Sarah à Vanessa, Thibaut, Philippe et Marie. Mercredi, le temps mitigé annoncé s’est transformé en superbe journée ensoleillée. Je poursuis néanmoins ma lecture absorbante.
Jeudi ce sera la même chose, en plus froid. L’avantage de rester enfermé un jour sur deux est que cela me laisse le temps de potasser cartes et topos. C’est ainsi qu’au hasard des pages du topo, j’ai eu l’attention attirée par le Pic de Panestrel. Le circuit proposé ne nous convient cependant pas, car le versant est du col du Sanglier est raide, et fait parti des versants à éviter pour leur instabilité. Nous imaginons ainsi un autre parcours, par le vallon du Pont.
Un petit coup de voiture, que nous garons un peu avant le Pont Voûté, juste au départ du sentier qui rejoint le-dit vallon. Nous aurons un peu de portage, sur 350 mètres. Au moment où nous rejoignons la neige continue qui va nous permettre de chausser les skis, nous tombons sur un de ces festivals que seule la nature peut offrir : une troupe de bouquetins peuple les rochers qui nous dominent, les mâles juchés droits sur leur pattes avec leurs cornes immenses se détachant fièrement sur le ciel, semblant ainsi surveiller sereinement leur troupe. Plus loin, c’est une harde de chamois au pelage hivernal — noir et blanc — qui crapahutent entre névés et barres rocheuses. Nous nous sentons de trop au milieu. Nous poursuivons néanmoins en essayant de déranger le moins possible nos hôtes. Un peu plus loin, les mêmes bouquetins sous un angle différent, là-haut un chamois grimpe en galopant dans des barres ; d’un coup, un autre passe à vingt mètres de nous en courant comme un dératé sur la neige. Instants magiques !
Tout à ces émotions, nous loupons le passage pour traverser et rejoindre le fond du vallon du Pont. Il faut redescendre quelques mètres, s’insinuer au pied d’un bout de falaise, traverser des pentes un peu raides jonchées de boulettes d’avalanches. La suite est tranquille, dans une ambiance sauvage et minérale. Le vallon est superbe, tout de blanc vêtu, inondé de soleil, entouré de ces rochers aux teintes cuivrées, qui contrastent avec le bleu profond du ciel. Malgré le beau temps, l’air est vif, le froid est renforcé par un petit air glacial venant du nord. Mieux vaut ça que de cuire littéralement.
Nous passons le col du Pont, avec une centaine de mètres de descente dans une belle poudreuse que nous ferons sans enlever les peaux pour ne pas perdre trop de temps. Nous remontons ainsi le vallon du Pont jusqu’au pied de la face sud de la Pointe d’Escreins, traversant au passage les lacs Vert et Bleu, tout de blanc recouverts. Le vallon amorce alors un virage à cent quatre-vingt degrés dans une belle poudreuse, pour venir se refermer sur la Conque de Panestrel, sous le sommet convoité.
Une centaine de mètres sous ce sommet, nous troquons les skis pour les crampons, pour un petit passage alpin, en mixte un peu exposé. Peu après tout le monde se retrouve au sommet. Sommet où se trouve implanté une balise pour le réseau radio du secours en montagne : panneau solaire, antenne et tout le tintouin. Pour la virginité de l’endroit, il faudra repasser. Mais bon, c’est pour la bonne cause. Faisant abstraction de la chose — il suffit de lui tourner le dos ! — nous pouvons nous extasier sur le panorama. Puis, l’air étant toujours on ne peut plus vif, nous ne nous attardons pas.
J’avais monté les skis, comme Stéphane et Patrick, avec l’idée de peut-être pouvoir descendre le couloir ouest dont nous avions eu un superbe aperçu en montant. Mais nous n’en voyons pas la partie médiane, la plus raide, ce qui ne nous incite pas à nous lancer dedans bille en tête. Il aurait fallu le remonter. Sagement, nous redescendons donc par là où nous sommes arrivés. Nous poserons une petite main courante pour faciliter la descente du passage le plus délicat.
Ensuite, la descente se fait tranquillement, entre un peu de poudre (et quelques cailloux qui exploseront ma semelle de ski sur vingt bons centimètres) et une neige dure, nous empruntons le vallon sans nom entre le vallon des Houerts et celui du Pont, remontant ainsi vers un col sans nom à 2743 m juste sous le Sommet Rouge. Superbe vallon, superbe neige poudreuse que nous ne skierons pas en descente, mais que je trace en montée. La pente en question est orientée nord-nord-ouest. La neige est profonde. Je choisis ma trace pour être sûr de ne jamais passer par des pentes supérieures à 30°. De nombreux « wouff » me rappellent combien le manteau est instable sur ces versants. Heureusement, la pente est trop faible pour que la gravité fasse son œuvre.
La descente du col en versant sud, déjà à l’ombre, est excellente en neige dure. Nous rejoignons la trace de montée, puis retraversons les pentes raides moyennant quelques escaliers pour arriver au-dessus de la ruine de la Cabane du Pont, et de là retrouver le sentier qui nous ramène à la voiture. Neuf heures de balade, sans traîner, deux mille mètres de dénivelés, des belles images plein les mirettes. Nous rentrons, heureux.
Le lendemain, repos. Pour moi. Anne-Soisig ira avec Benoît faire un tour au-dessus de Larche. Grand beau, toujours. J’ai terminé mon bouquin la veille, alors je fricotte avec l’ordi, et d’autres bouquins, moins prenants. Un peu démuni, quand même. La journée se passe. Thibaut, Vanessa et Kena nous ont quitté le matin même.
Samedi, dernière journée, Anne-Soisig reste avec Sarah, Stéphane, Marie et Simon s’en vont dès le matin, je pars avec Laura faire la Tête de Girardin au-dessus de Maljasset avec le reste de la troupe : collective gumiste. Grand beau, glacial.
Départ au-dessus du parking dans des pentes de neige dure qui se redressent rapidement, et finissent par s’évaporer dans des pentes de terre gelée. Les crampons auraient été utiles, mais tant bien que mal, nous rejoignons le sentier du col de Girardin qui serpente par ici, pour rechausser les skis un peu plus haut.
Nous débouchons dans un entrelac de vallonnements du plus bel effet. Nous remontons les pentes de neige compacte en mode éparpillé, chacun sa trace, le gumiste étant là enclin à l’étalement. Sur la crête, un petit vent glacial nous accueille pour nous saisir jusqu’aux os. Des vestiges de traces en relief, sculptures d’Éole, nous conduisent ensuite au sommet. De là, belle descente en face est, pour parachever une traversée ouest-est. Neige dure, légèrement revenue sur le dessus, excellente. Un petit piège, toutefois, ici et là, petite croûte déstabilisante. Je me laisse avoir, tandis qu’enfilant les grandes courbes, j’avais malencontreusement laissé mon esprit vagabonder plutôt que de le concentrer sur l’action présente. Faute de carre dans un virage, je pars en vrille et me vautre. Je me relève aussi sec, pour constater quelques virages plus bas, une petite douleur dans le genou gauche. J’éviterais donc de forcer dans la suite pour ne pas risquer d’aggraver la chose.
En cours de descente, nous saluons Benoît, Martin, Marta et Florent qui remettent les peaux pour aller faire un tour sur le sommet d’à côté. Le reste de la troupe poursuit sa descente, dans une neige de printemps fabuleuse. Nous empruntons par chance le bon goulet qui nous emmène tranquillement jusqu’en bas sans déchausser, avec une neige plus que correcte de surcroît.
Nous n’échappons pas au rituel du pique-nique juste au-dessus de Maljasset, et comme je n’ai rien à becqueter, je joue les pique-assiettes. Mais comme Thomas trimbale de la bouffe pour quinze, tout va bien. Retour tranquille, l’estomac satisfait.
Et puis voilà, c’est fini, tout le monde s’éparpille pour regagner la capitale. Nous rangeons nos affaires, chargeons la voiture. Il reste un peu de bouffe, mais finalement, pas tant que ça : nous avions a peu près visé juste sur les quantités.
Le lendemain, ce sera tempête de neige sur la région, avec des quantités hivernales. La semaine était bien calée entre deux grosses perturbations.
Guillaume Blanc
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