Sur son blog « Histoires d’université » Pierre Dubois se fait l’écho de deux articles parus dans Libération, à propos du statut des enseignant-chercheurs en Licence, avant de conclure lui-même.
Le premier article, ou tribune, est l’œuvre de deux étudiants de Science-Po Toulouse, et s’intitule : « Recherche et enseignement, frères ennemis. » Un article au vitriol qui fustige les enseignant-chercheurs, tout au moins dans le premier cycle universitaire, celui de la Licence. D’après ces deux étudiants, les universités seraient « peuplées de chercheurs qui, pour gagner leur vie, sont contraints d’enseigner quelques heures par semaine, sans envie, » car le but de l’enseignant-chercheur n’est pas d’enseigner, mais de chercher. De surcroît, il n’est pas jugé sur son travail d’enseignant, mais sur sa recherche (ce qui est exact). Ils poursuivent leur diatribe : « L’un des principaux dangers qui guette une large partie de la jeunesse française est le fléau rampant de l’omnipotence de la recherche dans les universités : l’enseignement n’en est plus le cœur névralgique. » Pour finalement donner le coup de grâce : « Il est urgent de revoir le statut des enseignants-chercheurs. La licence doit assumer d’être le prolongement du lycée en donnant les bases de la discipline choisie, avec des enseignants et des méthodes proches du secondaire. »
Je me demande comment de telles contre-vérités, ou encore généralisations à l’université dans son ensemble de cas visiblement particuliers qui affectent peut-être Science-Po, et peut-être certaines sciences humaines, peuvent trouver colonnes dans un journal comme Libération ? Je savais que les journalistes étaient en train de perdre le sens de leur métier, mais à ce point ? Le fait est que le summum de la bêtise est atteint quand nos deux apprentis-je-ne-sais-quoi (on fait quoi à Science-Po d’ailleurs ?) en viennent à comparer Polytechnique et Science-Po. La première produit des têtes bien faites, mais la seconde ? Le problème ne vient probablement pas de l’université dont ils se font une vulgaire généralisation mais peut-être de leur microcosme à eux ? Avant de prendre la partie pour le tout, il serait bon de faire le ménage devant sa porte !
Car non, mille fois non, mettre de purs enseignants en Licence n’est pas la solution. Et non, tous les enseignant-chercheurs ne sont pas de mauvais enseignants, et non, tous les enseignant-chercheurs ne dédaignent pas l’enseignement (même si cela n’est pas reconnu pour leur carrière). J’en veux pour preuve un colloque récent que j’ai co-organisé, sur « l’enseignement de la physique à l’université » qui a réunit une centaine d’enseignant-chercheurs en physique des universités d’Île-de-France, sur deux jours, avec 40 présentations d’enseignants qui sont plutôt inventifs et créatifs et très loin d’être fatalistes. Et surtout, surtout, passionnés !! Le deuxième jour, à 18h, il y avait encore plus de 70 personnes dans l’amphi. Les idées ont volé très haut pendant ces deux jours, on était loin du chercheur complètement désintéressé de son enseignement. Loin du poncif que l’enseignant-chercheur enseignant parce qu’il doit le faire. Non, les physiciens aiment enseigner leur discipline.
Il y a certes des bons profs et des mauvais profs, indépendamment du fait que les mêmes individus sont également des chercheurs, bons ou mauvais, de surcroît. Ceci étant, les profs de lycée sont aussi bon ou mauvais, en fonction de leur motivation et de leur compétence. La thèse développée dans cet article comme quoi l’enseignant-chercheur est forcément un mauvais prof est à cent lieues de la réalité (en physique tout au moins !), ce n’est qu’un point de vue étroit et biaisé.
Pierre Dubois, dans son article, conclut par : « Je souhaite 1. un corps professoral unique en 1er cycle d’enseignement supérieur : des agrégés recrutés par concours national et exerçant à temps plein. 2. Un concours national qui vérifie que les candidats connaissent les avancées les plus récentes de la recherche dans leur discipline et qu’ils sont capables de mener des enseignements selon une pédagogie de projet (comme dans la recherche). 3. Ces agrégés enseigneraient dans des nouveaux établissements dédiés au seul premier cycle. »
Il ne manquerait plus que ça ! La richesse de l’enseignement y compris en Licence (pas seulement en Master), vient du fait que ses principaux acteurs sont aussi partie prenante dans la construction de la connaissance. Certes, ils enseignent les bases dans ces premières années, les briques élémentaires, les fondements sur lesquels viendra se poser les connaissances plus récentes. Le chercheur viendra toujours puiser dans ses thématiques de recherche des illustrations (exemples, problèmes, exercices...) pour agrémenter la mise en place des concepts primordiaux. Et en général, ça marche très bien. Et c’est aussi la diversité des chercheurs et de leurs thématiques de recherche que les étudiants ont devant eux qui fait l’extrême richesse des connaissances qu’ils acquièrent. Et ce, même si le fameux « niveau » n’est pas le même qu’avant, même si les réformes successives des programmes du lycée ont malheureusement sabré pas mal de choses. Le chercheur qui enseigne a plus d’un tour dans son sac pour s’adapter à son public (tant sur les connaissances qu’il lui prodigue que sur la pédagogie qu’il utilise pour ce faire), et pour amener une partie (certes, pas tous) des étudiants de première année de Licence au niveau Master. Les étudiants qui sortent de l’université ont ainsi une tête bien faite qui leur permet de s’adapter à de nombreuses situations qu’ils rencontreront dans leur vie professionnelle. Contrairement aux étudiants de Science-Po, ou tout au moins les auteurs de l’article cité, qui semblent avoir une bien pleine mais peu à même de leur faire écrire des choses justes au-delà de leurs cas personnels.
Pour revenir aussi sur les « agrégés » de Pierre Dubois, qui devront connaître « les avancées les plus récentes de la recherche dans leur discipline, » mais quelle horreur ! Déjà, l’agrégation (ou le capes au choix) devrait être un truc à abattre, à jeter dans des oubliettes profondes. Ce système à deux vitesses, capes, agrég’, c’est complètement dépassé, horriblement injuste. Il faut revenir à un unique concours d’enseignants du secondaire. Donc exit les agrégés pour la Licence ! Et puis franchement, pour se tenir au courant des avancées de la recherche dans leur discipline, très bien, mais ça existe déjà, ça marche pas mal, ça s’appelle un enseignant-chercheur ! Enfin, séparer la Licence de l’université, pour la mettre dans des établissements adéquats — des super-lycées ? — : on marche sur la tête ! D’ailleurs c’est en totale contradiction avec son point 2 : comment un enseignant ne faisant pas de recherche, se trouvant de surcroît loin de là où elle se fait peut-il se tenir au courant des avancées dans son domaine ? En lisant La Recherche... ?
Tout n’est pas rose dans le monde de la recherche et de l’enseignement supérieur, mais quand je lis tout ça, mon sang ne fait qu’un tour. Il y a des choses à changer (par exemple le nombre statutaire d’heures d’enseignement, actuellement de 192 h, qui doit être revu sérieusement à la baisse, mais aussi la reconnaissance de la moitié de ce métier dans l’évolution de la carrière des enseignant-chercheurs...), mais certainement pas de remplacer la Licence par le lycée.
C’est curieux, je n’ai jamais répondu à ce message. Mea culpa. Effectivement cela pourrait être une solution, mais cela implique néanmoins une diminution de la charge d’enseignement des enseignants-chercheurs. Car si ceux-ci n’ont ou ne trouvent pas le temps de préparer leurs cours comme il le faudrait, c’est, je pense, à cause de leur double-mission, sachant que la mission enseignement est trop lourde (192 h) par rapport à ce qu’il faudrait. Au passage, en principe les enseignants-chercheurs ont choisi ce métier parce qu’il voulaient enseigner. Reproduire le système des prépas à (…)
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