Résonance
Instant de grâce. La voiture se gare sur le parking enneigé sommairement par de hauts bourrelés, en bout de route. La sapinière accrochée sur les pentes abruptes nous domine de toute la majesté de ses sombres houppiers délicatement ciselés de fines coroles blanches. La lointaine canopée s’estompe dans le brouillard qui occulte le regard et nous confine dans un espace feutré. Nous chaussons les skis pour suivre la trace déjà là. Et nous pénétrons dans un autre monde. Ce qui s’avèrera être mon ultime randonnée de la saison nous permet de profiter d’une chute de neige exceptionnelle dans la Chartreuse malgré le printemps installé. Soixante centimètres d’une hivernale poudreuse. Le paysage restera circonscrit, sorte d’au-delà imaginaire. La forêt, sublimée par cette chute providentielle, me donne l’impression d’évoluer dans une caverne gigantesque aux diaphanes parois délocalisées. Je m’attends presque à voir surgir entre deux sombres branches quelque animal fantasque flottant avec grâce dans l’atmosphère ouatée. La balade est courte, je me laisse guider par les rails profonds de la trace le réflex à portée de main. Je jubile. Je ne cesse de faire des pas de côté pour glisser l’œil derrière le viseur, l’index sur le déclencheur, mon champ de vue instantanément réduit par les bords du cadre, l’attention affutée par la focale de l’objectif.
À proximité du sommet, sur la crête, nous dépeautons. Descente majestueuse dans une neige virevoltante, avant de remettre les peaux pour prolonger l’euphorie. Certes, nous allons en montagne pour y chercher une certaine forme de plaisir, nous tentons de contrôler nos sorties pour tendre vers cette raison d’être. Parfois, nous sommes justes bien, simplement là comme il faut, en symbiose avec notre entourage, sans pour autant l’avoir outre mesure prémédité. Ces moments ne se calculent pas, ils sont ou ne sont pas. Catalysés par l’esthétique d’un instant, les compagnons ou compagnes de balade, le fonctionnement de la machine musculaire, la découverte ou l’exaltation de ceux qui découvrent, l’ivresse de la glisse, la neige « comme il faut », la liberté, la lumière, le silence, la résonance avec l’environnement naturel, que sais-je... Indépendants ou savamment orchestrés par quelques fils invisibles du destin, paramètres subtils ou évidents, peu importe, arpenter la montagne sauvage hivernale skis aux pieds est comme un creuset où se mêlent de nombreuses émotions.

Courbes