Le grimpeur, cet égoïste...
Après moi, le déluge. Le grimpeur, ce sportif qui s’évertue à défier la gravité en escaladant falaises et rochers, ne veut même pas se préoccuper de la pérennité de son propre terrain de jeu.
En région parisienne, il s’agit de Fontainebleau. Un fantastique terrain de jeu, une kyrielle de blocs de grès tous plus beaux les uns que les autres, entre sable, fougère et canopée, qui est pris d’assaut chaque week-end par des grimpeurs de tout poil. Fontainebleau existe comme site d’escalade depuis des décennies, avant c’était le tremplin pour la montagne, et même la haute-montagne ; désormais c’est une destination en soi, très à la mode dans le microcosme des grimpeurs : on vient de loin pour grimper à « Bleau. »
L’explosion de la fréquentation au début des années 2000, loin de se tarir, semble même diverger. L’escalade est « le sport » à la mode et sa récente entrée aux Jeux Olympiques ne va pas certainement pas le démentir. Certes, ce sont d’abord les gymnases qui sont pris d’assaut, « Structures Artificielles d’Escalade, » murs plus ou moins déversants de contreplaqués ornés de protubérances de résine, servant de défouloir aux hordes de cadres ou bobos en mal de sensation après une journée de labeur. Dont je suis.
Mais parfois, l’escalade en salle en vient à se répandre dans la nature. Et la nature, à proximité de Paris, c’est « Bleau. » Les grimpeurs se déversent donc sans transition de leur gymnase citadin à la pleine nature périurbaine. Sans pour autant adapter leur comportement. Bleau pourrait être un fantastique terrain d’éducation à la nature et à l’environnement, mais ce n’est qu’un vaste dépotoir-défouloir où les Bidochons du dimanche vont s’égarer quelques heures entre deux rounds de télé-canapé. Mais je m’égare !
Si dans les gymnases d’escalade les prises sont démontables, lavables, interchangeables, ce n’est pas le cas « dehors. » Dedans quand les prises s’usent, s’encrassent sous des couches et des couches de magnésie moite et gluante, il suffit de brosser un coup, puis de dévisser pour en changer avec une prise neuve si cela devient problématique. Dehors, à « Bleau, » quand les prises s’encrassent de poudre, quand elles s’usent sous l’assaut de chaussons mal nettoyés, et bien on ne peut plus grimper. Tout simplement.
Les bonnes pratiques ancestrales des bleausards se sont perdues dans la masse. On ne s’essuie plus les pieds soigneusement sur un tapis brosse puis un chiffon propre avant de les poser sur le rocher, et on se tartine les mains, parfois jusqu’au coude, de magnésie. De fait, on en dépose ainsi une bonne couche sur le rocher. Inutile blancheur. Les rochers blanchissent à vue d’œil.
À l’automne dernier, agacé par une journée de grimpe à Rocher Canon, sur un circuit bleu tout blanc, j’avais écrit une petite nouvelle d’anticipation, sur la mort prochaine de l’escalade à Bleau. Au GUMS, cela nous avait alors motivé pour lancer une campagne d’abord contre l’utilisation de la magnésie à Bleau, puis plus généralement pour un respect des blocs à Bleau.
Malheureusement, tout cela est en train de capoter, parce que les grimpeurs ne veulent surtout pas que l’on touche à leur « perf’ » (ormance, pas usion, bien sûr). Et les priver de leur précieuse poudre risquerait de leur faire perdre une fraction de degré dans la difficulté.
Pourtant, je me disais que sans enjeu financier (si la magnésie est la drogue du grimpeur, elle ne fait pas — encore — pour autant l’objet d’un trafic comme sa cousine de même couleur), sans enjeu de pouvoir (ni dieu ni maître), avec seulement en ligne de mire l’envie de préserver un site magique pour les générations futures, les grimpeurs pourraient faire quelques concessions sur leurs performances actuelles, et faire un effort pour limiter l’altération des rochers... On avait préparé un « appel » à lancer vers la communauté des grimpeurs afin qu’elle prenne le problème à bras-le-corps et s’auto-discipline, avec un argumentaire pour expliquer le pourquoi du comment.
Sauf que, sauf que... Même entre nous ça diverge. De fait, impossible de se mettre d’accord sur un texte. Les arguments des uns sont les contre-arguments des autres. Chacun y va de son « expérience, » de son « ressenti » qui s’opposent les uns aux autres. Pour finalement devenir consensuel, ne pas heurter, et accessoirement que le truc soit signé, il ne faut pas dire « n’utilisez pas de magnésie, c’est moche et ça abîme le rocher. » Il faut dire « c’est nécessaire, mais n’en utilisez pas trop, hein. »
Parce que oui, c’est moche, regardez ces pauvres rochers : Bleau sous la poudre.
Sans compter que la magnésie se répand comme une traînée de poudre, on en trouve en falaise, dès que le rocher n’est pas rincé par la pluie, c’est blanc. On en trouve même parfois en montagne sur le granit. C’est dire si le phénomène va loin. Et haut.
Comment lutter contre l’égoïsme — car il s’agit bien de ça : laissez-moi ma petite perf’ à moi, peu m’importe les autres — de ce monde-là ? J’avoue que ça me laisse pantois.
Même le côté peu éthique de la chose — prises blanchies, traits de poudre pour les indiquer, l’extérieur reproduit la coloration de l’intérieur — ne semble pas émouvoir les grimpeurs.
Finalement, le grimpeur n’est qu’un humain, égoïste, consommateur de nature, et c’est tout. Du moment que l’on ne touche pas à ses jouets, falaises fétiches, blocs, ses performances forcément, et toute la poudre qui va avec, le déluge peut bien advenir...
Guillaume Blanc
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