Les tribulations d’un (ex) astronome

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Introspection existentielle

dimanche 30 juin 2019 par Guillaume Blanc

Je ne suis pas dans les clous et l’institution me l’a fait comprendre. Maître de conférences (MCF). Enseignant-chercheur. Enseignant et chercheur. Enseignant ou chercheur. Enseignant. Chercheur. Chercheur de quoi ? Quelle est ma quête ? Suivre l’étoile, peu m’importent mes chances, peu m’importe le temps, ou ma désespérance [1] ?

J’ai candidaté à un avancement de grade pour passer maître de conférences hors classe (MCF-HC), tout en sachant que mon dossier « recherche » n’est pas folichon, mais avec quelques atouts en pédagogie et enseignement. J’ai fait une croix à la fois sur l’examen « HDR » (Habilitation à Diriger des Recherches), qui contrairement à que son nom indique n’est pas un examen des capacités à encadrer un étudiant en doctorat, mais un examen destiné à valider des activités de recherche. Cette « HDR » étant nécessaire pour pouvoir prétendre candidater au concours de professeur des universités, celui-ci m’est définitivement fermé. J’ai néanmoins cru que ma carrière pouvait encore progresser en passant Hors Classe, la HDR n’étant pas (officiellement) requise pour y candidater. Dans mon imaginaire, peut-être, la partie enseignement était regardée plus attentivement que la partie recherche dans ce cadre-là.

J’ai appris à mes dépends qu’il n’en était rien, dans ma section, tout au moins, puisque le Conseil National des Université a bien noté que mon activité de recherche était faible : « L’activité d’enseignement est riche, avec un investissement très fort dans la pédagogie. L’activité de recherche s’est déroulée en deux temps avec une re-conversion en 2009, la production scientifique s’en ressent et doit être renforcée pour une promotion au grade MCF HC.  » Néanmoins, l’avancement de grade, c’est comme le Tac-O-Tac, on a une chance au grattage, une chance au tirage. C’est ainsi que mon dossier est passé localement au sein de mon université. Je n’ai pas encore le retour officiel (cela fait plus d’une semaine que mon sort a été statué), mais je sais que je ne suis pas dans les premiers classés. Il y a avait environ deux postes pour 11 candidatures. On m’a fait comprendre que sans la HDR, je n’avais aucune chance. Parce que comme il y a une pénurie de poste de professeurs, celles et ceux dont le dossier recherche équivaut à un passage à professeur, sont redirigés vers le Hors Classe. Lot de consolation.

Dans mon imaginaire (qui est vaste !), le passage Hors Classe récompensait un investissement pour la communauté en enseignement, et un investissement en enseignement tout court. J’étais à côté de la plaque. Je me fourrais le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Je vivais sur un petit nuage. Que nenni, la communauté, elle s’en fout de l’enseignement. Il faut publier. Publier. Publier. Or perish. Le reste, quel reste ? Les étudiants, peu importe, ce qui compte c’est PU-BLI-ER.

Donc exit MCF-HC.

Soit je trouve un complément de salaire pour mes vieux jours (voleur, tueur à gage, banquier, politicien, trader... ?). Soit je démissionne et je pars en montagne faire autre chose. Tant qu’à faire.

Autre déconfiture de ces derniers temps : j’avais un plan solide, croyais-je, pour changer d’université et me rapprocher de chez moi. Ce n’est pas que je n’aime pas enseigner à l’université Paris Diderot, au contraire, mais c’est loin. Une heure de RER aléatoire. Plus une bonne demi-heure de marge. Avoir cours à 9 h, signifie partir de chez moi à 7 h. Si j’étais à l’université d’Orsay, en 15 min en vélo, j’y suis. Sans aléas. J’envisageais donc sérieusement d’échanger mon poste à Paris Diderot avec un collègue de Paris Sud. Ça faisait deux ans qu’on préparait ça, il semblait très motivé. En fait non, il a changé d’avis. Je me retrouve le bec dans l’eau. Et à la rentrée, pour fêter ça, mon cours commence à 8 h 30...

Et la recherche, alors ? Après tout, je n’ai qu’à m’investir dans la recherche, partir à 7 h 30 pour mon cours à 8 h 30, après tout, les étudiants arrivent bien en retard, pourquoi pas moi. Passer (beaucoup) moins de temps à réfléchir et à investir dans des pédagogies différentes — comme le temps incroyable passé à faire un amphi inversé, et s’entendre dire par un collègue qu’il s’agit juste d’un « gadget », vraiment j’adore me flageller. Passer moins de temps à former à l’esprit critique et aux débats sociétaux : après tout que m’importe que les étudiants croient ou pas au réchauffement climatique ? Pourquoi tout ce temps passé à écrire un ##$€%@£$$-><§ de poly là-dessus ?

La recherche, pourquoi pas. Mais j’ai l’impression que ce que je fais ou que je suis sensé faire, de l’astrophysique, dans une collaboration énorme, américaine, ne m’amuse plus. Des centaines de personnes, des dizaines de mails que je ne lis même plus, des réunions de collaboration aux États-Unis, même prendre l’avion pour ça ne m’amuse plus. Des téléconférences en anglais à pas d’heure. Avant, j’aurais fait n’importe quoi pour y assister, pour y participer. Maintenant tout cela ne m’effleure même plus.

Il faudrait que je change. Ça fait pas loin de 10 ans que je suis dans ce projet, LSST. Projet qui n’a pas encore vu le jour, le télescope est en construction au Chili. Bientôt. Mais trop tard ?

Changer de thématique ? Revenir à mes amours des débuts, le taux d’explosion de supernova ? Cela fait un moment que j’ai lâché l’affaire, la faute à mon recrutement qui m’a forcé à changer, à faire autre chose. Une première erreur, je kiffais vraiment. Aller voir la manip que font mes collègues, à taille humaine, franco-française, à l’observatoire de Nançay ? Pourquoi pas ?

Mais finalement, je me demande si tout cela ne me paraît pas bien futile quand je regarde le réchauffement climatique qui nous arrive dessus. je me demande si je n’aurais pas envie de bosser là-dessus. Donner un coup de main. L’enseigner. On y revient, quand même. Faire quelque chose. Mais à l’UFR de physique de l’université Paris Diderot, ce genre d’enseignement ne semble pas d’actualité. Quand j’en parle à mes collègues, on m’écoute poliment, parce que la mécanique quantique et la relativité, c’est quand même tellement plus important qu’on ne peut leur enlever quelques heures. Crime de lèse-majesté.

Contrairement à d’autres, collègues ou pas, je n’ai pas eu de mentor, pas de prof charismatique dans ma jeunesse qui m’a donné envie de faire ce que je fais. Je l’ai découvert par moi-même. Au gré des lectures et des rencontres, certes, mais aucune plus déterminante qu’une autre [2]. Je me suis construit petit à petit par moi-même. J’ai saisi des occasions qui se sont offertes, mais jamais personne ne m’a dit vas-y fonce, essaye, c’est pour toi, ça, et je vais te donner un coup de main pour y arriver. J’ai obtenu un poste d’enseignant-chercheur, probablement un peu par chance, mais compte tenu du petit nombre, c’est un facteur à prendre en compte.

Ensuite, au lieu de recevoir de l’aide, j’ai eu pas mal de bâtons dans les roues. D’abord une équipe qui ne m’attendait pas (je n’étais pas le candidat favori, mais contre toute attente...), qui ne m’a pas vraiment aidé à surmonter les premières années de maître de conférences, entre les cours à préparer, un projet de recherche sur une thématique complètement nouvelle, projet qui avançait de fait sans moi parce que j’enseignais tant bien que mal, etc. J’ai fini par changer d’équipe, dans le même labo, pour atterrir sur le projet sur lequel je suis encore à l’heure actuelle, LSST, mais dans un autre labo. Nouveau sujet, encore. Nouvelle équipe, donc, mais malgré un léger mieux, ce n’était encore pas ça. J’y étais assez seul, équipe de nom mais pas de fait, collègues sans l’être. J’ai tenté de nouveaux défis (à mon échelle), comme toujours, l’un fut de co-encadrer une thèse, malheureusement, si l’étudiant était très bien, le co-encadrant et son aréopage m’a méprisé, ignoré et finalement évincé. J’ai changé d’air encore, de labo, cette fois. J’ai cru que ça repartait. Mes projets motivaient mes sympathiques nouveaux collègues, un nouvel élan !

Élan à nouveau brisé, cette fois par un étudiant. Plein d’enthousiasme dans ma nouvelle équipe, j’ai voulu retenter le co-encadrement de thèse, mais l’étudiant choisi [3] s’est révélé catastrophique, à peu près à l’opposé de son CV pourtant académiquement gratiné (agrégation, ENS, etc). Méprisant et arrogant avec ça. Erreur de casting. Il a fini par jeter l’éponge au bout de deux ans. Ouf. J’ai donc abandonné ce sujet de recherche dont j’essayais de faire quelque chose depuis plusieurs années, la magnification cosmique. Finalement rien, que dalle n’en sera sorti. Ces différents revers auraient-ils sapé ma passion pour l’astronomie, l’astrophysique, la cosmologie ? Je ne sais pas... Peut-être est-ce simplement une évolution naturelle de mes centres d’intérêt : peut-on se passionner pour la même chose toute une vie ? Oui, assurément, mes collègues en sont la preuve vivante. Mais peut-on ne pas se passionner pour la même chose toute une vie ? Sûrement, aussi. Je l’espère en tout cas.

Ceci étant, je ne produis pas beaucoup de science, pas de papier « scientifique » — ce n’est pas faute d’écrire, pourtant, mais les poly’ de cours, ça ne compte pas. Donc pas de HDR, mais comme j’ai décidé que je n’encadrerai ou co-encadrerai plus d’étudiants (en thèse) — après deux échecs sur deux, j’estime que je ne suis pas bon à cela —, à quoi bon passer cet examen, dont de surcroît, je trouve qu’il ne sert à rien [4], même si l’institution le sacralise.

Enseignant-chercheur. Un métier véritablement schizophrène. Frustrant. Enseignant et chercheur. Comment parvenir à faire les deux correctement ? Deux boulots pour le prix d’un. Les mauvaises langues diront même trois. Chercheur, enseignant et administratif. Chercheur et enseignant, c’est déjà pas mal. Compte tenu de la charge d’enseignement, ça demande une organisation sans faille, une efficacité à toute épreuve pour faire en sus une recherche efficace. Ou bien d’encadrer des étudiants en thèse, de déléguer, en somme. Et/ou de bosser soirs et week-ends sans prendre de vacances. Comme j’ai décidé depuis le début que je ne négligerai pas mes autres passions, il faut bien que je prenne un peu de temps pour m’y consacrer. Les soirs et les week-ends, tout comme les vacances, je ne bosse pas. Sauf exceptionnellement. Il faut donc que je gère cette frustration de devoir tout faire à moitié. En ce moment, je me consacre donc plus à l’enseignement, ma recherche se cherche et se carapate. Il va bien falloir que je m’y remette. Un jour. Ou l’autre.

Il y a pas mal de complaintes, très inaudibles, autour de moi, d’enseignant-chercheurs frustrés, mal dans leur peau, qui se cherchent, ne se trouvent pas. Et se taisent. Ne pas faire de vagues. On en parle parfois autour d’un café, ça fait déjà se sentir moins isolé. Compris. C’est en effet un métier qui peut manquer un tantinet de panache parce qu’on demande d’être brillant en recherche et c’est tout, l’enseignement n’étant là que par nécessité. Tâche de service. Il est là parce qu’il faut bien. Mais pas de reconnaissance institutionnelle. Un enseignant-chercheur qui enseigne vite fait bien (mal ?) fait peut vite monter les barreaux de l’échelle pour peu qu’il cherche bien. Un enseignant-chercheur qui cherche vite fait bien (mal) fait, hum, ça n’existe pas : soit on fait de la recherche, soit on n’en fait pas, mais vite fait bien fait, c’est pas vraiment possible (quoique...). S’il peaufine ses cours, tout le monde s’en fout. Sauf lui. Sauf peut-être les étudiants. Et encore, ils sont souvent ingrats, les étudiants. À peine merci en sortant.

Ah, encore une chose, l’enseignant-chercheur est scotché dans son université. La mobilité, la richesse qu’il y aurait à changer de fac, aller voir ailleurs, s’enrichir les idées, connecter d’autres neurones, par envie de changer d’air, par nécessité personnelle, pour limiter le temps de transport ou simplement par curiosité, ce n’est pas vraiment possible. Il faut feinter grave pour y parvenir. Et nombreux sont les obstacles sur le chemin. Administratifs, les obstacles, bien entendu. Enfin, il faut d’abord trouver quelqu’un pour permuter. Dépendre de l’autre. Si pour une raison ou pour une autre il décide d’arrêter le processus, tout tombe à l’eau. On ne peut pas compter uniquement sur soi-même pour cela : l’autre est une partie non-négligeable de l’équation. Qui a donc peu de solutions. Problème à N corps. On ne peut pas changer de fac comme ça. Il faut un échange de poste. Usine à gaz. Non mais, vous vous croyez où ?

À part ça, je m’éclate. J’adore enseigner la physique aux étudiants, j’adore chercher des méthodes pour mieux leur faire comprendre, les motiver, les amener à réussir. J’adore apprendre plein de choses en préparant mes cours. J’ai envie de leur enseigner des trucs qu’on ne leur enseigne pas d’habitude, comme ce que je fais dans physique et société. Et puis autrement, tant qu’à faire. Même si je me heurte à un certain conservatisme. L’université évolue, mais doucement. Petit à petit. Je suis dans un domaine et dans une université où il y a encore une certaine liberté, un certain humanisme, une charge encore décente d’enseignement [5]. C’est aussi et surtout ça que j’aime, la liberté, l’humanisme. Quand cela ne sera plus — car vu la pente sur laquelle est l’enseignement supérieur, je ne me fais pas d’illusion, ça ne va pas durer — j’irai faire autre chose. Je me rapprocherai de mes chères montagnes...

Enseignant-chercheur. Rêver un impossible rêve [6]... ?


En réponse à :

Introspection existentielle

15 juillet 201911:51, par Guillaume Blanc

Je suis très flatté de constater que l’on puisse suivre ce que j’écris ici depuis des années ! Merci pour votre fidélité :) Quant à votre remarque, la questions fait effectivement partie de celles qui m’animent à ce moment de ma vie. Néanmoins, je ne désespère pas continuer de faire de la recherche, d’autant que comme en témoigne l’article que vous citez, je crois sincèrement dans les liens étroits entre recherche et enseignement. Le dosage est peut-être seulement une question de temps disponible et de niveau de priorité. J’aurais certainement l’occasion d’en reparler par ici. À suivre :)


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