Les tribulations d’un (ex) astronome

Avalanches : le facteur humain...

lundi 23 février 2015 par Guillaume Blanc

Le ski de randonnée est depuis quelques semaines régulièrement sous les feux de l’actualité. Trop régulièrement. L’actualité ne vient effectivement pas se repaître de la beauté des paysages hivernaux et du plaisir de la glisse ou de l’effort qui motivent les pratiquants, mais plutôt des skieurs qui meurent dans des avalanches.

L’ANENA, qui recense, entre autre, les accidents d’avalanches, donne une trentaine de morts par avalanches (toutes activités confondues), en moyenne, chaque année. Ce nombre est stable depuis plusieurs décennies, tandis que le nombre de pratiquants, estimé à 150 000 (soit 1 % des skieurs alpins), a doublé depuis les années 2000. Donc la diminution du nombre de morts par rapport au nombre de pratiquants est à attribuer aux progrès des équipements de secours de victimes d’avalanche (comme le matériel individuel : DVA — Détecteur de Victime d’Avalanche —, pelle, sonde).

Il y a encore quinze ans, tout le monde n’était pas équipé de DVA, aujourd’hui, ce n’est plus le cas (tout au moins parmi les skieurs ; les raquettistes ont encore du travail à faire...). Il y a encore 10 ans, il fallait être un as de la recherche pour trouver une ou deux victimes en quelques minutes avec son DVA. Désormais, les DVA modernes, numériques, à trois antennes, permettent de trouver très rapidement plusieurs victimes, et ce même avec un entraînement minimaliste.

Alors pourquoi tous ces morts, ces dernières semaines ? Au 23 février 2015, l’ANENA recense 29 morts par avalanche, contre seulement 13 à la même date l’année dernière.

On accuse la montagne, particulièrement dangereuse cette année... Certes, mais on dit ça à peu près chaque année : les débuts de saison sont souvent — toujours ? — particulièrement propices à la formations de couches fragiles (notamment avec les forts gradients de température que subit le manteau neigeux : températures extérieures très froides, manteau neigeux peu épais...).

On peut se demander pourquoi une grosse fraction (13/29) des décès ont eu lieu dans les Hautes-Alpes ? Cela corrobore une autre analyse statistique, où les Hautes-Alpes caracolent en tête du nombre de morts par avalanches, malgré un nombre de pratiquants bien inférieur à celui de l’Isère, par exemple. Probablement l’impact du climat : plus sec, donc plus froid, la météo des Hautes-Alpes, pourrait être plus propice à la formation de couches fragiles, piégeuses (moins de neige, gradient thermique plus grands...).

Après avoir accusé la montagne, on pourrait se demander comment un groupe de six personnes peut se faire prendre sans qu’aucune n’en réchappe ? A priori, la faute à pas de chance, c’est-à-dire une avalanche d’une ampleur exceptionnelle (300 m de large sur 900 m de long) qui a fauché tout le monde malgré les précautions prises. Le communiqué de presse précise que le groupe descendait dans des pentes de maximum 30°. Certes. Mais un coup d’œil sur la carte du secteur montre que de vastes pentes à plus de 30° surplombaient le vallon... Or les avalanches de plaque se déclenchent aussi (et surtout) à distance, comme je l’expliquerai dans un article à venir.

On peut se demander comment un ado en sortie dans le Vercors avec sa classe « sport nature » et le guide qui va avec, n’était pas équipé de DVA ? Certains prétendent que le jeune n’aimait pas les ondes et donc qu’il ne mettait pas son DVA. La peur des ondes peut donc parfois être mortelle... Même s’il n’est pas impossible qu’il fasse parti des 50 % de morts par traumatismes dans les avalanches, auquel cas le DVA aurait été inutile, la question est posée (l’autopsie n’a pas pu conclure...).

Et bien d’autres, malheureusement.

Bref, ces gens qui se sont fait prendre ne sont pas nés de la dernière pluie, ce sont, c’étaient des pratiquants expérimentés. Mais que signifie « expérimentés » ? Parcourir la montagne en long en large et en travers à longueur d’année n’est pas suffisant : les avalanches sont sournoises, et sont surtout des processus aléatoires : ça peut passer 99 fois (et donc conforter dans l’idée de sécurité) et casser la centième...

Cette année, sur quatorze jours de ski, j’en ai fait cinq par risque de 4/5 c’est-à-dire « fort » généralisé, c’est-à-dire sur toutes les orientations et à toutes les altitudes : une première ! [1] La règle est alors simple : éviter comme la peste les pentes à plus de 30°, sous les skis, mais aussi et surtout au-dessus. Certains se plaindront que l’on ne peut rien faire de « rigolo » dans ces conditions, mais au contraire, j’ai fait ces cinq jours-là de très belles sorties, certes avec parfois beaucoup de kilomètres, mais toujours des beaux paysages, et accessoirement quelques belles pentes de 25° où l’on peut décemment faire de belles courbes — quitte à les faire même plusieurs fois ! Quoiqu’il en soit, ne vaut-il pas mieux se restreindre certains jours, en particulier en début d’hiver, pour mieux en profiter plus tard (en saison, ou une autre année), plutôt que de jouer à la roulette russe pour le plaisir d’une seule pente ?

Lors d’une de ces sorties, tentative à Soleil Bœuf dans le Champsaur, au pied de la pente terminale (150 m dont les 50 dernier à environ 35°), deux skieurs en redescendent, après l’avoir tracé en partie à la montée (avec une belle et longue traversée horizontale sous la partie la plus raide), et l’avoir descendu intégralement. L’un d’eux avait la veste des pisteurs. Un troisième skieur, descendu avec eux, s’arrête au pied de la pente, et contre toute attente, remet les peaux, et s’en va tracer la Pointe Sud de la Vénasque, là encore 150 m entre 30° et 35°. Seul, à quelques dizaines de mètres d’une partie de la face (même orientation, sous le vent, violent) partie spontanément en plusieurs avalanches. La suite montrera que ces pentes n’étaient, en fin de compte, pas piégées, mais rien ne pouvait alors le prédire. Comme quoi, la montagne est parfois cruelle, mais elle est aussi souvent particulièrement clémente !

Je me disais jusqu’à récemment que n’importe quel randonneur ou arpenteur de la montagne hivernale doté d’une quantité standard de neurones pouvait s’y retrouver en utilisant d’une part la prévision du risque donné par le Bulletin du Risque d’Avalanche de Météo France, et d’autre part une méthode de réduction du risque, comme celle de Munter. Recette, qui, je le répète, stipule que les pentes supérieures à 30° doivent être évitées par risque 4 ; recette basée par ailleurs sur un grand nombre d’observations scientifiques. Visiblement, même cela n’est pas intégré par tous les pratiquants. Ou bien c’est le fameux « facteur humain » qui tend à remettre à zéro toutes les analyses en terme de risque encouru. La gestion du risque d’avalanche serait-elle plus à creuser dans notre cerveau que dans les entrailles du manteau neigeux ?

Espérons néanmoins que cette série noire et ces comportements « stupides » n’amènent pas l’état à légiférer envers un des derniers espaces de liberté...

[1En général, j’essaye d’éviter de skier dans ces conditions, mais quand il fait beau, sans brouillard, skier par risque 4 est possible. Quand on habite Paris, on a des contraintes supplémentaires par rapport aux « locaux » qui font que. Non pas que l’on prenne plus de risque (peut-être même moins en fin de compte !) mais on ne choisit pas toujours les conditions idéales de nos rêves.


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