Outils de gestion du risque d’avalanches
La pratique de la montagne hivernale demande une certaine prudence pour faire face au risque d’avalanche. Cette prudence se traduit depuis une vingtaine d’années dans des outils fruits d’expériences sur le terrain mais aussi et surtout des progrès des connaissances sur le phénomène des avalanches.
J’ai déjà longuement parlé ici des outils créés par le guide suisse Werner Munter dans les années 1990 et arrivés en France en 2006 avec la traduction en français de son livre 3x3 avalanches, en particulier la méthode 3x3 qui est une rationalisation des questions à se poser lors des différentes étapes d’une course en montagne hivernale, depuis la préparation jusqu’à la gestion d’un passage délicat sur le terrain. Cette méthode est accompagnée de méthodes de réduction du risque qui permettent de prendre une décision rationnelle en fonction d’observables simples à appréhender, notamment le degré de danger donné dans le bulletin d’estimation du risque (danger) d’avalanche (BERA) et l’inclinaison de la pente (Méthode de Réduction Élémentaire — MRE — ou Méthode de Réduction Graphique — MRG), auxquels on adjoint un paramètre d’orientation de la pente et de comportement du groupe (Méthode de Réduction Professionnelle — MRP). Je vais y revenir.
Il y a une autre « méthode » apparue à peu près en même temps, dont l’auteur est également suisse, le NivoTest, par Robert Bolognesi, dont j’ai également déjà parlé, pour montrer que ce n’était pas une méthode adaptée.
J’ai eu l’occasion d’échanger ces derniers mois un certain nombre de messages avec différents acteurs et formateurs en ski de randonnée, guides, instructeurs à la FFCAM (Fédération Française des Clubs Alpins et de Montagne), ainsi qu’avec Robert Bolognesi lui-même. Le NivoTest (Bolognesi, 2001) se présente sur la forme de 25 questions (voir par exemple, McCammon (2007) — 24 pour la version 2 — sur différents aspects nivologiques, météorologiques et comportementaux, dont les réponses sont pondérées avec un poids ad-hoc ; la somme des différents poids permet de donner une sorte de feu vert — le projet envisagé est peu risqué —, orange — le projet envisagé est relativement risqué — ou rouge, il serait peut-être préférable de renoncer au projet (en fait un smiley qui sourit, qui ne sourit pas ou qui fait la tronche). Je critique le fait que les questions sont parfois peu pertinentes et que certaines d’entre elles ne font pas appel à des observables ; que les poids attribués aux différentes questions ne semblent pas avoir d’origine quantitative claire ; et enfin que l’outil ne sert pas à grand-chose sur le terrain, car on ne peut pas objectivement répondre à toutes les questions, et dans le doute, c’est le score maximal qui s’applique. Si on doute de trop, on doit renoncer. Bref, si l’outil peut éventuellement faire prendre conscience de certain facteurs, en revanche il ne permet pas de prendre une décision sur le terrain. De surcroît, le facteur pente n’a pas un poids particulier quand tous les spécialistes s’accordent à penser qu’il s’agit d’un des paramètres les plus importants.
On peut également se poser la question de savoir si cet outil permettrait d’épargner des vies s’il était uniformément utilisé. Deux nivologues américains, Ian McCammon et Pascal Hägeli ont tenté d’évaluer en ce sens quelques outils d’aide à la décision, à savoir, entre autre, la Méthode de Réduction Professionnelle (MRP), la Méthode de Réduction Élémentaire (MRE), le NivoTest, la méthode des indices évidents. McCammon et Hägeli ont utilisé une base de données d’accidents d’avalanches dans les massifs américains et ont regardé seulement les accidents avec suffisamment du données permettant de calculer un score exact pour chaque outil (McCammon et al. 2007).
Ils obtiennent ainsi une proportion de préventions d’accidents maximale (92 %) pour la méthode des indices évidents avec un score seuil de 3 et de 77 % pour un seuil de 4 ; pour la MRP avec un seuil (risque résiduel) de 0,5, de 1,0 et 2,0, la proportion de prévention est de 82 %, 60 % et 36 % respectivement ; pour la MRE, elle est de 80 % ; pour le NivoTest, la proportion d’accidents évités est de 65 %.
La méthode des indices évidents est assez simple, elle a été proposée par Ian McCammon en 2000 (McCammon, 2000), elle consiste à considérer les indices :
- les avalanches dans la région dans les dernières 48 h ;
- la surcharge par la neige, le vent ou la pluie dans les dernières 48 h ;
- la trace, identifiable par un novice ;
- les pièges du terrain (ravine, arbres, falaises, crevasses) ;
- le degré de danger du BRA ;
- l’instabilité manifeste du manteau neigeux (woumfs, effondrements, craquelures) ;
- l’instabilité due au redoux.
Chaque indice étant affecté d’un poids de 1, le score arrive à 3 ou 4 indices selon le niveau auquel on place le seuil.
D’après l’évaluation de McCammon et Hägeli, il semblerait donc que cette méthode soit la meilleure qui soit en terme de prévention. De fait, elle a été reprise par les autorités canadiennes dans un outil de gestion du risque, l’Avaluator.
Néanmoins, le psychologue canadien Bob Uttl montre dans une série d’articles (Uttl et al. 2012) que l’analyse de McCammon et Hägeli est scientifiquement fausse. Les principaux arguments sont les suivants : les valeurs de prévention, à savoir la proportion d’accidents historiques évités si les utilisateurs avaient suivi la recommandation des outils, ne font pas mieux que le simple hasard, comme il le montre dans un superbe papier (Uttl et al. 2010) où il présente la méthode parfaite, simple, utilisable par n’importe quel novice, qui reproduit les résultats de prévention de la méthode des sept indices évidents : il suffit de prendre sept pièces de monnaie, de les lancer en l’air, et de compter le nombre de « faces. » Un autre argument, de poids, est que McCammon et Hägeli ont tronqué la base de données d’accidents qu’ils ont utilisée pour leur analyse, enlevant systématiquement les événements qui n’avaient pas toutes les informations requises pour répondre à l’ensemble des questions de l’outil évalué. Par exemple, pour le NivoTest, qui nécessite de répondre à 25 questions, sur une base de 751 accidents, seulement 114 (15 %) ont été utilisés. Ce qui introduit nécessairement un biais qui n’a pas été pris en compte. En prenant cela en compte (Uttl et al. 2012), la proportion d’accident évités devient de 14 % pour l’Avaluator v1.0 (méthode des indices évidents), 17 % pour le NivoTest et 75 % pour la MRE.
Pour d’obscures raisons, sans arguments scientifiques, et malgré le fait qu’il critique l’Avaluator de ne pas être basé sur des critères scientifiques, Bob Uttl prétend que la MRE ne peut pas être utilisée au Canada : « considérant la prévalence du degré de danger et des pentes au Canada, la MRE aurait comme conséquence d’empêcher de skier la plupart des terrains avalancheux de tout l’hiver. » Et ce en dépit de ses résultats sur la proportion d’accidents évités. Dans la même veine, il conclut : « Le NivoTest de Bolognesi est le plus complet et, d’un point de vue psychométrique l’outil de prise de décision le plus fiable développé à ce jour. » Et ce, encore une fois en dépit de ses propres conclusions quantitatives. Comme quoi, en la matière, le dogmatisme n’est jamais bien loin : on a beau vouloir étudier ces méthodes de manière objective et rationnelle, la subjectivité revient au galop au détour d’idées préconçues.
J’ai beau creuser, je n’arrive pas à trouver d’arguments en faveur du NivoTest. L’article de Bolognesi à l’ISSW en 2001 ne donne pas plus d’info sur le socle scientifique et les bases statistiques du pseudo-outil. Les questions listées comme les poids donnés ne semblent reposer sur aucune base objective. L’article de 2001 fait référence à la base de données NivoLog. Un article de 1998 de Bolognesi décrit qualitativement ce logiciel qui semble être un outil de prédiction des avalanches, sans mentionner s’il utilise une base de données, et le cas échéant quel type de données.
Uttl et Uttl (2009) donnent toute une série d’arguments contre l’Avaluator qu’ils qualifient de « pseudo-solution dangereuse. » Le NivoTest étant une méthode de scoring (on ajoute les points attribués à chaque question, en fonction du total, on décide) à peu près comme l’Avaluator, même si ce dernier présente moins de questions (encore que la version 2.0 en a onze, voir Uttl et al. 2012), la plupart des arguments contre l’Avaluator peut être utilisé contre le NivoTest.
Ceci étant certain de ces arguments de Bob Uttl et ses collègues sont parfois pétris d’idées préconçues. À commencer par le fait que les Européens utilisent massivement le NivoTest (« des milliers de français maîtrisent son utilisation » : je ne pense pas que ce soit le cas !). Un autre argument qu’ils utilisent est que l’Avaluator avec ses sept indices évidents est un outil trop simple pour évaluer un problème complexe. Faisant appel à une loi psychométrique stipulant que les tests les plus longs sont généralement les tests les plus fiables, les auteurs en déduisent que les sept indices évidents sont trop peu pour estimer le risque, et qu’il est plus sage d’utiliser le NivoTest et ses 25 questions. Mais en suivant cette logique, pourquoi se limiter à 25 ? Cet argument me fait penser au test d’empathie utilisé par les blades runners pour discriminer les répliquants des humains : plus on ajoute de questions, plus on peut affiner la fiabilité !
Mais c’est aussi oublier qu’en sciences sociales, d’autres variables entrent en ligne de compte, comme l’objectivité : les tests objectifs sont plus fiables que les tests subjectifs. Dans le cas des avalanches, la pertinence des critères est probablement bien plus importante que le nombre de critères ! Et quand Uttl et al. (2009) ajoutent la critique qui est que l’Avaluator ignore plusieurs autres causes d’avalanches que les sept listées, c’est pertinent (d’autant que le principal critère reconnu aujourd’hui, l’inclinaison de la pente, n’y figure pas), sauf quand ils ajoutent qu’un de ces critères absents est la présence ou pas d’une couche fragile. Ce critère n’est pas une observable facilement visible et sa présence ponctuellement n’augure pas de son étendue et donc du danger sous-jacent. De surcroît les auteurs, dont au moins un (Bob Uttl) est psychologue, oublient de préciser que la prise de décision en terrain avalancheux est entachée de facteurs humains qui biaisent son objectivité. De ce point de vue, il vaut probablement mieux avoir un outil avec peu de critères, des critères objectifs, observables, simplement appréhendables (comme le degré de danger du BERA et la pente) pour pouvoir prendre une décision la moins polluée possible. Auquel cas, ni l’Avaluator ni le NivoTest remplissent ces conditions. Ce qu’en revanche la MRE fait.
Si les canadiens ont tout misé sur une méthode de scores comme l’Avaluator, avec différentes versions, toutes critiquées assez violemment par Bob Uttl et ses collègues dans une série d’articles en 2008, 2009 et 2010, les suisses ont misé sur les méthodes de Munter, 3x3 accompagnée généralement de la méthode de réduction graphique comme en témoigne le document produit par l’Institut suisse d’Étude de la Neige et des Avalanches (SLF) : « Attention Avalanches ! » et qui apparaît également dans les ouvrages du Club Alpin Suisse. Un article de Stephan Harvey et Paul Nigg de 2009 montre l’élaboration d’un consensus au sein des différentes instances suisses pour réduire le risque. « Grâce à une étroite collaboration avec le SLF, les questions des pratiquants peuvent être transférées aux scientifiques et les résultats de la science peuvent être transféré rapidement à la pratique. Récemment, un consensus a été élaboré parmi les formateurs au risque d’avalanche pour réduire le contenu de de la formation aux avalanches à un dénominateur commun pour toutes sortes de niveaux d’éducation. Il constitue la base de la sensibilisation aux avalanches en Suisse. » Les français, quant à eux, n’ont pas de préférence affichée, ils forment les guides avec une méthode non discriminative, permettant de prendre conscience que certains critères plus ou moins observables et objectifs sont importants, la « vigilance encadrée », mais qui ne permet pas de prendre de décision sur un résultat quantitatif ; ils forment les encadrants dans les clubs de la FFCAM avec le NivoTest, la MRE ou la MRP c’est selon. Bref, c’est le flou artistique : aucun consensus n’existe. Après tout, c’est peut-être mieux qu’un consensus sur une méthode fausse (et donc dangereuse car pouvant insinuer un faux sentiment de « sécurité »).
Une étude datant de 2009 par Christian Pfeifer regarde les probabilités de déclencher une avalanche par rapport à des variables comme le degré de danger, l’inclinaison de la pente, l’orientation de la pente et le comportement des skieurs. Il reprend donc les variables utilisées par Munter, mais procède à une analyse différente, sur des données différentes (en l’occurence des accidents d’avalanche dans la région du Tyrol). Deux lots de données indépendants (portant sur des saisons différentes) sont utilisés, l’un comme base de modélisation et l’autre pour sa validation. En calculant les probabilités de déclencher une avalanche en fonction des divers critères mentionnés, il en découle une stratégie de décision qui ressemble comme deux gouttes d’eau à la MRE !
Ces diagrammes représentent le degré de danger en abscisse, de 1 (faible) à 5 (très fort) et des intervalles d’inclinaison de pente en ordonnée (faible inclinaison < 35° en haut, de 35 à 39° au milieu et forte inclinaison (> 40°) en bas. La couleur est corrélée avec la fréquence relative des cas où la probabilité d’association entre la décision entre y aller et ne pas y aller et l’occurrence d’avalanches est maximale. En vert cette fréquence est nulle, ce qui signifie que le risque est moindre : on peut y aller ; en jaune, cette fréquence est inférieure à 50 %, ce qui signifie qu’on peut éventuellement y aller en faisant attention (petit groupe, grandes distances entre les skieurs, utilisations d’autres informations que le degré de danger dans le bulletin d’avalanches…). En rouge, cette fréquence est supérieure à 50 % ce qui signifie qu’il est préférable de renoncer au projet.
Comme dans la MRP, l’orientation des pentes est prise en compte, ce qui aboutit aux deux diagrammes précédents, pour les pentes au nord d’une part et pour les pentes au sud d’autre part. Au nord, on retrouve la MRE dans les carrés jaunes, au sud dans les carrés verts.
La MRE est un outil facilement utilisable au point que l’on peut même l’automatiser. Il suffit de connaître le degré de danger (BERA) et la pente pour aboutir à un risque quantifié. La pente à un endroit donné peut-être obtenue à partir d’un modèle numérique de terrain (MNT). Un Modèle Numérique de Terrain (MNT) est une représentation 2,5D [1] de la surface d’un terrain ou d’une planète, créée à partir des données d’altitude du terrain. Le MNT ne prend pas en compte les objets présents à la surface du terrain tels les plantes et les bâtiments (source : wikipédia). Cet outil est utilisé par le Géoportail de l’IGN pour générer les cartes de pente, cet outil arrivé fin 2016 qui fournit une aide précieuse à la préparation des courses en montagne hivernale ainsi qu’à la navigation grâce à des applications embarquées sur smartphone comme Iphigénie.
Une étape supplémentaire a été franchi par un site suisse, skitourenguru.ch, dont l’auteur est Günter Schmudlach. Ce site propose plus de 600 itinéraires de ski de randonnée numérisés de tout niveau à travers la Suisse, avec pour chacun de ces itinéraires une estimation du risque en chaque point, mise à jour deux fois par jour simultanément à la mise à jour du bulletin d’estimation du degré de danger (BERA) par le SLF. Le mode d’emploi en français est disponible. Skitourenguru utilise une version continue de la méthode de réduction graphique (MRG) de Munter pour quantifier le risque d’avalanche tout au long de l’itinéraire.
Un travail publié à l’occasion du dernier ISSW cet automne à Innsbruck par Günter Schmudlach, Kurt Winkler et Jochen Köhler fait une analyse quantitative du risque d’avalanche avec les objectifs d’analyser dans quelle mesure les méthodes de réduction du risque restreignent la liberté de mouvement et de connaître la proportion de randonnées à skis effectuées en dehors des zones recommandées par ces méthodes. Ils ont donc calculé le risque relatif à partir des accidents d’avalanche en fonction du trafic total des skieurs de randonnée. Pour cela, ils ont utilisé la base de données d’accidents reportés par le SLF entre 2002 et 2017, soit 1469 accidents sélectionnés ; ils ont utilisé également les traces GPS des randonnées à ski collectées par certains sites web (dont skitourenguru.ch) et certains individuels, soit 47530 km au total. Ils ont traduit le degré de danger en un indicateur de danger continu entre 1 et 4. Ils ont introduit un indicateur de terrain continu entre 0 et 1 (avec quatre classes de terrains, de terrain non avalancheux entre 0 et 0,25 à terrain très typiquement avalancheux entre 0,75 et 1) [2], tenant compte non seulement de la pente — le paramètre reconnu comme le plus important pour les avalanches — mais aussi de la courbure de la pente, de la taille de la pente ou de la présence de forêt. Ce paramètre traduit la probabilité de déclencher une avalanche en étant sur un terrain donné : ainsi, « au sommet d’une crête étroite et abrupte (35°), ce n’est pas nécessairement un terrain avalancheux ; en revanche, au pied d’une pente raide, cela peut être un terrain avalancheux très typique, même en étant sur du plat, à cause du déclenchement à distance. Sur la vidéo : https://www.skitourenguru.ch/download/videos/Pazolastock_Oberalppass.avi, la surface orange autour du skieur en progression délimite le terrain avalancheux autour de lui. [3] »
Munis de ces outils, ils calculent la densité d’accidents en fonction de ces deux paramètres, degré de danger et indicateur de terrain :
On constate que la majeure partie des accidents a lieu sur des terrains (très) typiquement avalancheux (TI = 0,75) et avec des degrés de danger limité à marqué (DI = 2,8). Le fait que la partie du haut (terrain très typiquement avalancheux) et à droite (risque 4 — fort) présente une faible densité d’accident provient du fait que très peu de skieurs vont effectivement dans cette zone. Les ronds bleus sont les accidents issus de la base de données du SLF.
Puis ils déterminent l’usage du terrain en fonction des mêmes paramètres, en utilisant les données issues des GPS des skieurs et obtiennent la figure suivante :
Qui montre que la plupart des randonneurs se cantonnent aux terrains peu avalancheux et aux degrés de danger modérés, principalement parce que la majeure partie des randonnées présentent peu de passages exposés en terme de longueur.
En divisant la densité d’accident par l’usage du terrain, les auteurs obtiennent le risque relatif ou Méthode de Réduction Quantitative (MRQ) :
Où les contours reflètent le risque relatif d’avalanche, c’est-à-dire la probabilité de causer « un accident impliquant un humain et finissant dans la base de donnée du SLF. » 60 % des accidents sont évités si on évite la zone rouge, et 80 % des accidents sont évités si on s’abstient de parcourir les zones orange et rouge. On peut ainsi définir une méthode de réduction du risque qui corrobore celle de Munter (MRE) tout en étant quantitativement plus solide. Néanmoins cette méthode n’est, en l’état, utilisable que par l’intermédiaire d’une application informatique, donc lors de la préparation de la course à la maison.
« La sécurité a un prix. On peut seulement réduire le risque avec une méthode stratégique, si on se contraint à éviter les terrains spécifiques en conditions spécifiquement avalancheuses. L’objectif est de réduire le risque autant que possible avec aussi peu de restrictions que possible. »
Pour quantifier cela, les auteurs tracent la courbe de performance de la MRQ, à savoir le pourcentage d’accidents résiduels en fonction du pourcentage d’abstinence :
Ainsi, en renonçant à 1,9 % des passages les plus risqués [4], on pourrait éviter 50 % des accidents !
La figure ci-dessus donnant la MRQ est peu explicite sur le fait qu’elle montre que le risque relatif varie de manière exponentielle avec à la fois le terrain et le degré de danger : il faut regarder les valeurs sur les isocontours. Les figures suivantes montrent la même surface mais en trois dimensions, issue de https://www.skitourenguru.ch/index.php/interaktiveqrm :
On retrouve ainsi le fait que le potentiel de danger au sens de Munter varie exponentiellement avec le degré de danger (du BERA) selon la formule qui intervient dans la MRP : potentiel de danger = 2degré de danger.
Cette petite bibliographie me renforce dans la conviction que les méthodes de réduction de Munter sont les outils qu’il faut utiliser et enseigner. Ces méthodes sont d’ores et déjà utilisées dans des outils sophistiqués d’estimation du risque sur de nombreuses randonnées à ski tabulées numériquement (en Suisse : skitourenguru.ch, site qui est d’ailleurs cité dans le dépliant « Attention avalanches ! » du SLF et dans un article du Temps relatant l’entrée au patrimoine immatériel de l’humanité de la gestion ancestrale du risque d’avalanche en Suisse et en Autriche) ; d’autres outils, en cours d’élaboration, devraient arriver, notamment en France, basés toujours sur les méthodes de Munter. Ces méthodes trouvent dans les analyses scientifiques présentées ici un certain écho !
Robert Bolognesi, NivoLog : an avalanche forecasting support system, proceeding of the 1998 International Snow Science Workshop.
Robert Bolognesi, NivoTest : a pocket tool for avalanche risk assessing, proceeding of the 2001 International Snow Science Workshop.
Stephan Harvey et Paul Nigg, Practical risk assessment and decision making in avalanche terrain.An overview of concepts and tools in Switzerland, proceeding of the 2009 International Snow Science Workshop.
Ian McCammon et Pascal Hägeli, An evaluation of rule-based decision tools for travel in avalanche terrain, Cold Regions Science and Technology 47 (2007), pp. 193-206
Ian McCammon, The role of training in recreational avalanche accidents in the United States, proceeding of the 2000 International Snow Science Workshop.
Christian Pfeifer, On probabilities of avalanches triggered by alpine skiers. An empirically driven decision strategy for backcountry skiers based on these probabilities, Natural Hazards 48 (2009), pp. 425-438.
Günter Schmudlach, Kurt Winkler et Jochen Köhler, Quantitative risk reduction method (QRM), a data-driven avalanche risk estimator, proceeding of the 2018 International Snow Science Workshop.
Bob Uttl et al., Avalanche accident risk reduction tools in a north american context, proceeding of the 2012 International Snow Science Workshop.
Bob Uttl, Joanna McDouall et Christina Mitchell, Evaluating the Avaluator avalanche accident prevention card 2.0, proceeding of the 2012 International Snow Science Workshop.
Bob Uttl et al., Pitfalls in developpment of avalanche risk reduction tools, proceeding of the 2010 International Snow Science Workshop.
Bob Uttl et Jan Uttl, On Superiority of Simple Solutions to Complex Problems and Other Fairy Tales, proceeding of the 2009 International Snow Science Workshop.
[1] La 2,5D (aussi appelée 2D et demi ou pseudo 3D) désigne les technologies d’imagerie qui se trouvent à mi-chemin entre 2D et 3D. La 2,5D est un terme polysémique qui ne désigne pas une technique en particulier, mais un ensemble de techniques, certaines se rapprochant davantage de la 2D, d’autres de la 3D. Source : wikipédia
[2] L’article ne dit pas où se situent les terrains que l’on a l’habitude de côtoyer en terme de pente : mais dans ce cadre, un terrain typiquement avalancheux serait celui de pentes entre 30 et 35° et entre 40 et 45°, un terrain très typiquement avalancheux serait entre 35 et 40°, un terrain avalancheux atypique serait entre 25 et 30° et au-delà de 45°, un terrain non avalancheux en-dessous de 25°. Sur la figure : https://www.skitourenguru.ch/index.php/lawinenkunde/171-lawinenrisiko-in-abhaengigkeit-der-neigung, la courbe rouge donne le risque de déclencher une avalanche en fonction de la pente.
[3] Günter Schmudlach, communication privée.
[4] En pratique, cela correspond à une fraction d’itinéraires auxquels il faut renoncer parce qu’ils comportent des passages risqués plus grande.
Guillaume Blanc
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Outils de gestion du risque d’avalanches8 février 2019, par François
Merci pour ce post très (trop ?) riche : il faudra un peu de temps pour tout en digérer... La présentation de l’article MRQ est super claire, et certains de ses enseignements très intéressants, en particulier celui qui justifie, comme chez Munter, d’interpréter le degré de l’échelle BRA comme log2 du risque toutes choses égales par ailleurs. Je tique quand même sur la ’courbe de performance’, et sur ton interprétation ’en évitant 1,9 % des passages les plus risqués, on pourrait éviter 50 % des accidents’ qui me paraît très exagérément optimiste. En effet, interpréter ainsi la courbe suppose implicitement qu’on est capable d’éliminer spécifiquement et uniquement les zones les plus dangereuses tout en conservant les autres. Dans la réalité, c’est bien sûr très loin d’être le cas, puisque, comme tu l’écris plus haut, ’la majeure partie des randonnées présentent peu de passages exposés’. Or, pour éviter ces quelques passages, exposés, il faut renoncer à toute une partie (parfois conséquente) de la randonnée.* Donc la proportion de renoncement nécessaire pour éviter 50% des accidents est sans doute bien plus élevée que 1.9%, et il n’est pas facile de prédire si elle est plus proche de 5, 10, 20, ou même 40%. Pour le savoir, il faudrait faire un calcul nettement plus compliqué, en prenant en compte l’ensemble du terrain auquel on doit renoncer pour éviter ces fameux 1.9% risqués. On pourrait peut-être commencer à en avoir une idée en utilisant les nouvelles données de calcul automatique du risque basées sur les cartes de pentes comme Skitourenguru ou Yéti. Et peut-on imaginer, dans un avenir proche, avoir accès, en plus des déjà très utiles cartes de pentes, à ces cartes de ’zones à risque’, encore plus pertinentes pour l’activité ? Ce serait un super outil.
* Pour prendre un exemple délibérément caricatural, c’est un peu comme si, ayant constaté que 90% des accidents d’avion ont lieu lors du décollage/atterrissage et que ces deux phases représentent 5% du parcours, on concluait qu’on pouvait éviter 90% des accidents d’avion en renonçant seulement à 5% du parcours.
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Outils de gestion du risque d’avalanches8 février 2019, par Guillaume Blanc
Il y a encore quelques petits trucs qui ne sont pas très clairs pour moi dans ce papier. Le commentaire sur le renoncement au 1,9 % des portions d’itinéraires les plus risqués n’est pas de moi mais de l’auteur. Je suis d’accord que ça ne représente pas la réalité, qui doit être moins optimiste que ça. Je pense que l’auteur de la QRM a tous les outils pour savoir à quel nombre d’itinéraires cela correspond. D’autant qu’il est aussi l’auteur des cartes de risque de skitourenguru. Je lui poserai la question à l’occasion. Les cartes de risque existent déjà pour la Suisse pour quelques situations typiques : http://www.skitourenguru.ch/index.php/services/172-riskmap?AGREE=1 ; yéti fourni également une carte de risque. Par construction ces cartes sont très corrélées aux cartes de pente.
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Outils de gestion du risque d’avalanches13 février 2019, par Guillaume Blanc
En fait ça ne semble pas aussi facile d’avoir le taux d’abstinence en terme d’itinéraires. Voici sa réponse : « We suppose we have a helicopter. In the reality the abstinence value is higher. Unfortunately that can not be easily calculated, as we can’t attribute traffic to a set of routes. A segment is always 10 m long. »
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