Avalanches : une étude de cas dans le massif des Grandes Rousses
Samedi 19 janvier 2019 j’étais sur le flanc SE de l’aiguille de l’Épaisseur dans le massif des Grandes Rousses, avec un groupe du GUMS.
Le bulletin d’estimation du risque d’avalanche (BERA) de Météo France publié la veille pour le massif des Grandes Rousses annonçait un degré de danger limité (2).
Avec un tout petit peu de neige relativement fraîche :
Sur place, ma première impression était que le niveau de risque était un peu plus élevé, notamment parce que la quantité de neige fraîche (poudreuse un peu tassée jouissive à skier) sur la face SE de l’aiguille de l’Épaisseur était beaucoup plus importante qu’annoncée, soit entre 20 et 30 cm.
Néanmoins, une analyse du degré de danger confirma les prévisions de Météo France :
Ce jour-là, aucune manifestation d’instabilité du manteau neigeux (si ce n’est quelques woumfs localisés dans le fond du vallon, froid, plat, sous le refuge), quasiment que du bon ski. Même chose le lendemain au col des aiguilles d’Arves.
Une semaine plus tard, samedi 26 janvier 2019, une amie refait la même balade à l’aiguille de l’Épaisseur avec son copain. Et vers 2600 m d’altitude, ils déclenchent une petite plaque à 50 m de distance, d’environ 30 m de large, 40 m de long, avec une cassure de 20 à 30 cm, sans avoir été inquiétés par la coulée. Elle a entouré le lieu probable de l’avalanche sur la carte, en hésitant entre deux endroits, sur l’extrait de carte ci-dessous. Le tracé en zigzag est sa trace GPS.
Une photo de la plaque prise à la descente :
Le BERA édité par Météo France la veille pour le massif des Grandes Rousses était assez similaire à celui pour le samedi 19 janvier précédent, si ce n’est que les pentes à risque passaient du NE au SW :
Aucune indication dans ce BERA d’instabilité manifeste du manteau neigeux pouvant justifier un déclenchement à distance, situation plutôt caractéristique d’un degré de danger marqué (3).
Ce même jour j’encadrais un stage de la FFCAM perfectionnement neige et avalanche à deux vallons de distance de là, au sud-ouest, au Chazelet, à 10 km à vol d’oiseau. Là, beaucoup moins de neige, un fort travail du vent : croupes dégarnies, neige très dure par ailleurs, et des accumulations de type congères dans les talwegs avec une plaque dure de 20 cm et une couche fragile épaisse de plusieurs centimètres en-dessous (plaques à vents). Ces plaques étaient susceptibles de se décrocher dans les pentes suffisamment raides, mais étaient de très petites tailles et surtout très facilement localisables et donc contournables. Des conditions donc très très différentes.
Nous avons fait notre estimation du risque, plutôt faible à limité donc inférieur à celui du BERA pour les Grandes Rousses :
Le massif des Grandes Rousses s’étend du pic de l’Étendard à l’ouest aux aiguilles d’Arves à l’est :
Les aiguilles d’Arves, dont l’aiguille de l’Épaisseur, sont dans le département de la Savoie, mais pas très loin à la fois des Hautes-Alpes et de l’Isère. Si elles se situent dans le massif des Grandes Rousses, celui des Cerces n’est pas très loin à l’est, et la Maurienne se trouve juste au nord, dans le même bassin versant, avec des conditions météorologiques plus proches que celles ayant lieu à l’est du col du Lautaret ou au sud du Goléon.
Or ces trois massifs font l’objet de BERA distincts par Météo France, d’autant plus qu’ils se situent dans des départements différents (Grandes Rousses en Isère, Cerces dans les Hautes-Alpes, Maurienne en Savoie), donc les prévisionnistes ne sont pas les mêmes et probablement que les données sur lesquelles ils s’appuient (réseau de stations de ski) non plus.
Le même jour (samedi 26 janvier 2019), le BERA pour le massif des Cerces :
Et celui pour la Maurienne :
Celui des Cerces ressemble fortement à la situation que nous avons eu au Chazelet. Tandis que celui de la Maurienne pourrait bien expliquer la plaque déclenchée sur le flanc de l’aiguille de l’Épaisseur : risque 3 au-dessus de 2400 m (la plaque a été déclenchée vers 2600 m), en particulier dans les orientations SE à NW.
Le commentaire sur la stabilité du manteau neigeux est éloquent : « La neige récente est faible, souvent un peu moins de 10 à 20 cm mais le manteau neigeux est peu résistant sur beaucoup plus profond, parfois 30 à 50 cm en altitude. Les couches profondes du manteau neigeux sont fragiles, composées de grains sans cohésion (aspect « sucre en poudre »), favorables aux avalanches en cas de surcharges nouvelles (chutes de neige, apport par le vent...). »
Quand on regarde de plus près l’historique des conditions nivo-météo sur la semaine précédente, qui se trouve en deuxième page du bulletin, on constate qu’il a fait froid en permanence (isotherme 0°C sous 900 m depuis le lundi), qu’il est tombé une dizaine de centimètres de neige entre mercredi et jeudi et que vendredi un fort vent du nord a soufflé (30 à 50 km/h à 3000 m) :
On est là très proche de la quantité critique de neige fraîche (10-20 cm) par conditions défavorables (vent et froid).
Lorsque j’ai présenté cela hier soir lors d’une soirée neige et avalanche pour quelques encadrants en ski de rando de clubs de la région parisienne, l’une des participantes m’a dit avoir été ce fameux samedi 26 janvier dans les Cerces, et avoir déclenché une plaque à distance également, malgré le risque 1 prévu par le BERA du massif en question. Dès que j’ai plus d’info sur cet incident, je les rajouterai ici.
Cette analyse a été possible grâce à la récente mise à disposition de l’historique des BERA par Météo France depuis mars 2016, accessibles ici : https://tinyurl.com/bera-mf.
L’enseignement que l’on peut tirer de cela est qu’il ne faut pas négliger la réévaluation des conditions (grille 3x3) en arrivant sur le terrain. La grille d’estimation du degré de danger est pour cela un excellent outil, qui demande néanmoins une certaine expérience : il faut s’entraîner à l’utiliser en confrontant son analyse avec le BERA de Météo France, qui n’est pas toujours aussi divergeant d’une vallée à l’autre. Néanmoins, même dans un cas plus standard, cela reste une estimation à l’échelle d’un massif, qui peut s’avérer erronée (dans un sens ou dans l’autre) dans une vallée particulière du massif en question.
Dans le cas particulier du massif des Grandes Rousses, et de la combe des Aiguilles à l’est des aiguilles d’Arves, les conditions météorologiques dictant les conditions nivologiques sont probablement plus proches de celles de la Maurienne, dans le même bassin versant, que du reste du massif des Grandes Rousses ou encore que du massif des Cerces à l’est du col du Lautaret. Il convient donc de ne pas négliger les BERA adjacents.
Guillaume Blanc
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