Les tribulations d’un (ex) astronome

Récit fictionnel d’un réveillon utopique en temps de pandémie

lundi 4 janvier 2021 par Guillaume Blanc

La voiture zigzague entre les vastes trous qui jonchent le parking, vasques qui reflètent la nuit dans le faisceau des phares. À peine le moteur éteint, Sarah s’élance hors de l’habitacle et tombe dans les bras de Manon. De loin, covid oblige. Nous déchargeons et réarrangeons les sacs, puis, avec Clarisse, je vais me garer plus loin, le long des barricades ceinturant les bicoques bourgeoises de la forêt. Mieux vaut des voitures à proximité d’une résidence que seules sur un parking par ailleurs désert. Pour donner le change, couvre-feu oblige. Nous allons faire résidence en forêt, mais comment cela peut-il être interprété, le cas échéant ? Chargés comme des mulets, même Sarah, qui ploie sous un sac à dos trop grand et trop lourd pour ses huit ans, nous nous enfonçons dans la forêt sur un chemin tranché entre les arbres ; les frontales sur la tête creusent un sillon mouvant de lumière dans l’axe du sentier sous l’ombre chinoise que dessine la végétation. Un peu de plat plus loin, après une courte montée sablonneuse sous les pins, nous débouchons sur le vaste faîte du pignon, étendue de sable ponctuée de blocs de grès. Une lumière accueillante vient à notre rencontre, c’est Claire. François, parti en vadrouille vers quelque mythique abri sous roche, arrive bientôt. Le temps de poser les sacs, et ce sont Stéphane et Marie, les enfants et autant de loupiotes virevoltantes qui apparaissent. Une belle marmaille pour profiter de l’air frais et humide, du ciel clair, dégagé et même étoilé, le tout dans une ventilation comme il se doit pour un réveillon avec les amis tout en tenant la contamination à distance.

Nous nous posons en face du Cube, au pied de l’envers de Guerre et Paix, il y a là un tronc humide en guise de banc, quelques rochers à bonne hauteur de tabourets. Ou le crash-pad sous les fesses, plus isolant, plus confortable, donc. Nous faisons cercle autour d’un lumignon à gaz. Les enfants courent tout autour avec les cris qui les caractérisent, les adultes refont le monde (ou pas), statiquement, mais stoïquement. Le froid mord peu à peu. La doudoune vient par-dessus le reste, mais les doigts de pieds restent au frais. Les réchauds chauffent l’eau apportée à dos d’homme (ou de femme). Soupe exotique, céréales améliorées à la truite fumée saupoudrée d’aneth coulant sous un filet de jus de citron, pomme givrée et son gâteau de chocolat ou/et son muffin chocolaté au choix , tel sera notre menu de fin d’année pour ce bout du monde. Pendant ce temps, les enfants dépensent leur inépuisable énergie sans compter, l’amas des Pléïades circonvolue autour de sa Polaire, Orion se lève et joue à cache-cache avec les grands pins. La Lune, qui fut pleine, déjà à nouveau un peu gibbeuse, grimpe dans le ciel derrière les arbres.

Sans attendre ni atteindre l’heure fatidique, les troupes enfantines sont rassemblées pour un coucher, qui sous la tente, qui sous le ciel étoilé, mais tous dans un sac de plumes. La Lune luit dans un ciel presque sans nuages, aux étoiles presque éteintes sous la lumière. Le paysage paraît lunaire, l’atmosphère albâtre. Les rochers portent une ombre marquée sur le sable, la forêt se tapit dans son ombre.

Une bâche pour s’isoler des grains de sable, Sarah dans son duvet, au milieu, les regards vers la Lune, en rang d’oignons au pied du Cube. Le plaisir douillet de s’enfourner dans les plumes, pieds devants, après s’être désapé (un peu) dans l’air cristallin. La nuit s’envole dans les rêves. Comme l’année. La nouvelle semble prendre racine dans les cris lointains, ou les coups de feu ou les feux d’artifice ou les pétards, ça tourne autour, ce n’est rien. Plus tard, des cris envinés, à la fois loin, là-bas, et proches, pas loin. Nous sommes hors temps, hors d’atteinte sur le pignon de notre navire. La bâche, comme le duvet, et les habits entassés épars, humides en début de nuit, ont blanchi, non sous le rayonnement sélène, mais par l’entremise d’une rosée doublée d’une température négative. Givrés, ils sont. Les étoiles tournent autour de notre immobilité, la Lune aussi. Quelques nuages passent, épars.

Plus tard, le ciel s’éclaircit. Il rosit. La Lune est derrière nous. Les duvets, la bâche, les habits empilés pêle-mêle sont recouverts d’une couche de givre. − 3 °C. Les enfants sont debout. Puis nous aussi. Les réchauds sont allumés, pour chauffer l’eau du thé. Le Soleil se lève, il est encore plus beau depuis le haut d’un rocher, boule rougeoyante qui s’élève entre les pins. Il est froid, hivernal. Les minuscules cristaux de givres qui ornent et cisèlent délicatement les dentelures végétales brillent dans sa lumière. Mais cela dure peu. Il est bientôt recouvert d’un pudique linceul qui le rend pâlot, avant de sombrer vers le haut sous une épaisse couche nuageuse, édredon que je n’avais pas vu venir, qui confine notre petit-déjeuner dans une grisaille uniforme, mais sèche.

Rassasiés, nous rangeons les affaires humides ou givrées, puis nous partons en balade dans la forêt, en quête d’un autre abri sous roche. La platière est brouillardeuse rendant le paysage entre l’épaisse mousse verte fluo recouvrant le sol et les lointains houppiers perchés sur des troncs glabres et rectilignes délicieusement fantasmagorique. Une trouée dans la canopée et c’est le givre qui décore admirablement le feuillage. Comme quoi, l’aventure commence à l’aurore…


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