La vie moderne
Télérama portait tellement aux nues le nouveau documentaire de Raymond Depardon, que nous sommes allés le voir. C’est la première fois que je voyais un de ses films. Et j’ai été très déçu. Raymond Depardon filme quelques agriculteurs qu’il connaît déjà, pour la plupart, les ayant déjà montré dans ses films précédents.
J’ai failli m’endormir au milieu. Heureusement que la dame à côté de moi dans une salle bondée n’arrivait pas à éteindre son portable, cette petite distraction m’a permit de ne pas sombrer illico dans les limbes improbables du sommeil. Certes Depardon filme les gueules burinées (ou pas) par les ans comme un artiste. C’est beau. Les images sont superbes. Mais au-delà ? Le cinéaste tente sans succès d’induire le dialogue, mais ne réussi qu’à sortir des questions dont la réponse est « oui » ou « non » : « Alors, Daniel, tu t’es levé tôt pour traire les vaches, ce matin ? » Et le pauvre Daniel de répondre « ben, oui » avant de regarder dans le vide attendant probablement que le journaliste-cinéaste trouve une question moins con.
Du coup je me suis senti gêné, gêné pour ces pauvres diables qui ont trimé dans leur ferme pendant plus de quatre-vingt ans pour certains, qui n’ont pas forcément demandé à se retrouver sous le feu des projecteurs, et qui sont là, à devoir répondre à des questions stupides. Si Depardon connaissant vraiment le monde paysan, comme il le prétend, il aurait su trouver les bonnes questions pour les faire parler, ces enfants de la terre. La seule chose qu’il réussit à obtenir c’est l’expression d’un conflit de génération. Quel intérêt ?
Évidemment, ce n’est pas facile de les faire parler ces agriculteurs qui ont parfois passé plus de temps avec leurs brebis qu’avec des êtres humains. Mais quand même, si l’on apprend à les connaître et à les comprendre, on doit pouvoir leur faire dire des choses plus passionnantes que oui je me suis levé à l’aube pour traire les vaches...
Non content de ne pas réussir à instaurer de dialogue constructif, entre deux bêtes questions que l’auteur semble devoir mûrir pendant une éternité, il ne cesse de filmer le malaise qu’il induit lui-même par son absence de question : le silence pèse parfois lourd. Et le spectateur que j’étais était probablement aussi mal à l’aise que le protagoniste à l’écran. Que diriez-vous d’avoir une caméra fixée sur vous sans qu’il ne se passe rien ? Comme Daniel, perché sur son tracteur, visiblement soulagé d’en avoir fini au bout d’une interview stérile pleine de vides incommensurables. J’ai trouvé ça honteux et dégradant pour eux. Comment peut-on encenser un tel travail bâclé ?
Les critiques de Télérama qui n’ont probablement jamais quitté leur bulle et leurs machines à café avec gobelet en plastique s’extasient devant le fait qu’à la campagne on boive le café dans des verres en Duralex. Ben oui, et alors ? Ça ne suffit pas, à mon sens, pour faire un bon film. Un album photo aurait largement suffit. Car oui, les gueules de paysans de Depardon ont de l’allure, c’est bien là le seul mérite que j’ai trouvé à ce film.
Guillaume Blanc
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