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La Présidente
Une bande dessinée de François Durpaire, maître de conférences en sciences de l’éducation à l’université de Cergy-Pontoise, et de Farid Boudjellah, auteur de bandes dessinées. Le style est sobre, dessins en noir et blanc. Le contenu est glaçant : le roman graphique raconte la victoire de Marine Le Pen aux élections présidentielles de 2017 et les premiers mois de son séjour à l’Élysée.
J’ai eu du mal à rentrer dedans tant la perspective me donnait envie de vomir. Mais j’ai quand même tenu bon. D’autant que le scénario est solidement ficelé, le suspense est là, données historiques et économiques à l’appui, c’est — malheureusement — très réaliste. Il se base sur le programme du FN dont il cite de larges extraits. Tout y passe, la mise à la porte des émigrés, le fichage et le flicage de tout le monde (facile avec internet !), la sortie de l’euro qui provoque crise économique, inflation, délocalisations et flambée du chômage...
La fin d’un monde. La fin de la Liberté. La fin de l’Égalité. La fin de la Fraternité. La fin de la France ?
C’est probablement ça que veulent les fort nombreux électeurs du FN ?
La démocratie bat de l’aile, les hommes et femmes politiques des partis historiques sont englués entre finance et « affaires » judiciaires, ils virevoltent à cent lieues des préoccupations de la population, ils semblent décorrélés du monde réel. Leurs visions d’avenir sont celles d’une oligarchie générée par une économie capitaliste qui diverge à bride abattue, loin, bien loin, du quotidien de tout citoyen. Ce n’est pas propre à la France, le capitalisme est mondialisé, la finance aussi, et les gouvernants semblent n’avoir d’autres choix que de s’abreuver dans sa main. Ou bien ne veulent pas avoir d’autres choix.
Et démocratie peut-être (et encore), mais j’ai fait l’expérience récente, à petite échelle, que celle-ci n’est pas le mode de gouvernance le plus égalitaire, le plus humain que l’on puisse avoir : on peut la manipuler pour obtenir au final le résultat que l’on souhaite. Dans le cas que j’évoque, le résultat est même allé au-delà des espérances des manipulateurs. La démocratie à la sauce française, un pis-aller, peut-être ? En tout cas, on peut lui faire dire ce que l’on veut à la démocratie, comme les auteurs de la bande dessinée le montrent à l’occasion du référendum proposé par la présidente Le Pen sur la sortie de l’euro : en l’occurrence il suffit de tourner savamment la question posée pour biaiser le scrutin.
J’ai regardé The Big Short, récemment, un film qui retrace l’histoire d’une poignée d’américains qui avaient prédis la crise des subprimes en 2007, et qui avaient parié contre l’économie de leur pays. David contre Goliath. La conclusion est cynique : les banquiers, escrocs qui se sont enrichis sur le dos des gens et qui ont provoqué la crise (délibérément ou pas), n’ont même pas fini en prison, des lois n’ont pas été votées pour réglementer les prêts hypothécaires à l’origine du chaos ou la finance de manière générale. Non, c’est le contribuable qui a épongé les trous, les banquiers coupables s’en sont sortis encore plus riches. Les citoyens ont perdu trois fois dans cette histoire : leurs baraques achetés à crédit au départ, leurs boulots au milieu et leurs impôts à la fin. Le fric a le pouvoir en ce bas-monde. C’est d’un triste...
Certains pensent que les partis politiques traditionnels sont à bout de souffle, probablement à juste raison, mais pourquoi les français font-ils le choix de l’extrême-droite ? Du racisme qui va avec ? De la fin des libertés... ? L’Histoire montre que ce n’est jamais le bon choix ! (Re)lisez « Inconnu à cette adresse » de Kressmann Taylor... Quand d’autres, dans le même temps, pas très loin, Espagne, Grèce, choisissent au contraire l’extrême gauche ? Peut-être parce que ces deux pays savent ce que c’est que de vivre sous une dictature, Franco pour l’un, les colonels pour l’autre. Nous, nous vivons dans un cocon depuis des lustres, nous ne savons pas ce que c’est. Enfants gâtés. Pourquoi le FN et pas Nouvelle Donne ?
Peut-être que la France doit passer par la présidence de Marine Le Pen en guise d’électrochoc. Pour se remettre debout. À moins que le mouvement citoyen Nuit Debout n’y parvienne avant. Ce serait salutaire... On repartirait de moins bas...
En somme, une excellente BD — même si à la glaçante perspective ! —, à mettre d’urgence entre toutes les mains. Histoire d’être prévenu. En espérant que ceux qui devraient la lire la liront !
Guillaume Blanc
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