Les tribulations d’un (ex) astronome

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Introspection rétro-futuro-écologiste

jeudi 2 décembre 2021 par Guillaume Blanc

Je crois que j’ai toujours été sensible à la protection de l’environnement. J’ai grandi à la campagne, en montagne, comme ça : à économiser l’eau en fermant le robinet, à éteindre la lumière en sortant d’une pièce, à aller parfois à l’école en vélo ou à pied (mais quand même plus souvent en voiture !), à ramener mes déchets lors des incursions en montagne (et partout ailleurs), à admirer une fleur, à la prendre en photo plutôt qu’à la cueillir, à observer les animaux sauvages, de loin, sans les déranger. C’est par et pour la montagne que j’ai commencé à m’engager au-delà des gestes du quotidien. D’abord pour défendre une approche non bétonnée du paysage, en luttant avec des amis contre un projet d’agrandissement de station de ski. Dans la lignée j’ai rejoint l’association de protection de la montagne Mountain Wilderness, avant d’en devenir administrateur pendant plusieurs années.

Recruté comme maître de conférences, j’ai passé mes premières années dans la solitude d’un grand-gros-beau-récent-excellent labo dans lequel je n’ai jamais réussi à m’intégrer. Animé de convictions de plus en plus fortes, j’avais essayé, seul, d’y mettre en place le tri sélectif ou tout au moins celui du papier. Sans succès, alors. Je me suis investi en 2013 dans un enseignement de physique et société, lié à l’esprit critique, avec un chapitre sur le réchauffement climatique ; j’ai lu (en parti) le 5e rapport du GIEC pour préparer ce cours, ça m’a passionné. En parallèle j’ai adhéré à l’Association Française pour l’Information Scientifique (AFIS) où je puisais nombre de mes convictions. Convictions dont certaines se révélaient en contradiction avec mon éducation plutôt « écolo », notamment sur ce qui concerne les pesticides. Mais si c’est la science qui le dit, mes convictions n’avaient qu’à bien se tenir ! En 2020, la lecture de différents articles et ouvrages m’a finalement convaincu que l’AFIS ne relayait pas toujours des positions strictement scientifiques, mais plutôt techno-scientistes, sur nombre de sujets, dont les pesticides. Au terme d’une prise de conscience de quelques mois – se rendre compte que l’on est berné depuis plusieurs années par une association qui prétend promouvoir la science rend encore plus humble –, j’ai quitté l’AFIS ; dans la foulée, j’ai adhéré à l’Union Rationaliste, plus proche de ma conception du rationalisme. Dissonance cognitive, qui en résout une autre, celle de mes convictions environnementales. Je me retrouve ainsi plus en accord avec moi-même (et a priori avec la science, en fin de compte !) sur nombre de sujets [1].

J’ai changé de labo en 2014, pour retrouver du lien social, pour me rapprocher de chez moi, enfourcher mon vélo quotidiennement plutôt que de passer des heures hébétées dans un RER aliénant. Mes projets de recherche en astrophysique ont fini par tomber à l’eau pour différentes raisons ; je me suis investi un peu plus dans l’enseignement, dans l’esprit critique, dans le changement climatique. En juin 2018, j’ai assisté à une école sur le climat [2], à Orsay. J’ai « kiffé », comme qui dirait. Suite à ça, une collègue de l’université d’Orsay m’a fait connaître le Shift Project, leur rapport sur l’enseignement supérieur, alors en cours de rédaction, m’a fait prendre conscience de l’urgence qu’il y avait à former les étudiants et étudiantes à ces enjeux. J’ai ainsi pu trouver un écho, dans mon université, auprès de quelques collègues pour tenter de monter ce type de cours.

À partir de ce moment, mon travail de recherche en astrophysique est vraiment passé en arrière-plan : de nouvelles activités sont venues m’accaparer. J’ai ainsi accueilli avec un grand plaisir la création du collectif labos1point5 au printemps 2019. Je n’ai pas pu m’y investir pleinement dès la mise en place des groupes de travail en septembre, car tous mes enseignements débutaient alors. Je me suis rattrapé début 2020 pendant le confinement. Le bouillonnement intellectuel multidisciplinaire généré par ce collectif est extrêmement stimulant. Je suis engagé dans différents groupes, réflexion, enseignement, solutions, aux origines tentaculaires et imbriquées. Je me suis lancé dans la création d’un enseignement de tronc commun en L2 à l’université de Paris (d’abord en physique) sur l’anthropocène, dispensé à 5 voix issues de 4 UFR différentes. J’anime un récent groupe de travail « environnement » au sein de mon laboratoire, mastodonte fraîchement fusionné de 800 personnes, avec la réalisation de son bilan carbone. Et je suis co-créateur d’un groupe de physiciens et physiciennes sur le campus d’Orsay intéressées par les enjeux énergie et climat au sens large, tant en enseignement qu’en recherche.

J’ai toujours trouvé que le monde ne tournait pas très rond, d’abord dans les montagnes, avec un mépris de l’environnement naturel à différents étages, du promeneur qui cueille des bouquets de fleurs ou jette ses ordures dans les terriers des marmottes au promoteur qui construit des stations de ski en adaptant le paysage et la nature à son plan d’investissement. Et puis ailleurs. Partout ailleurs.

J’ai conscience depuis assez longtemps du réchauffement climatique, comme en témoigne le net recul des glaciers que l’on peut voir année après année. En 1986, j’ai pris des photos du glacier Blanc dans les Écrins : le front venait buter sur le sentier menant au refuge éponyme. Par la suite, j’y suis passé régulièrement, en 1993 pour gravir le Dôme des Écrins ; en 2005, le lendemain du concours de maître de conférences où j’ai été classé premier, j’ai ascensionné le Dôme à skis d’une traite. Puis en 2008, un autre Dôme à skis, et presque chaque année ensuite, dont la Barre des Écrins, plusieurs fois. À chaque fois, le glacier se trouvait un peu plus loin. La langue de glace est rapidement devenue inaccessible, rétractée sur le verrou. Ma fille ne verra pas ce que j’ai pu admirer quand j’avais 11 ans : un magnifique géant de glace des entrailles duquel un torrent s’échappait. Il est déjà tout rabougri, carapaté, inaccessible. Irréversible. Par contre je pense que cela ne fait qu’une dizaine d’années que j’ai intégré l’extrême rapidité du réchauffement, et donc l’urgence des changements à apporter dans nos sociétés. D’autres souvenirs remontent à l’époque de mon postdoc à Padoue en Italie, en 2004, quand je lisais dans Nature la gabegie carbonique des grandes conférences à l’autre bout du monde, ou bien celle des innombrables périples aéroportés du monde de la recherche. Au début de ma carrière, j’ai été amené à prendre l’avion pour participer à des colloques aussi immenses que gargantuesques ; que d’heures passées recroquevillé dans une boîte de conserve volante, que d’heures d’aéroports ! Quelque part, cela me va bien, je ne suis pas un fan des colloques et autres conférences [3] rutilantes, et encore moins des interminables voyages en avion. J’ai arrêté depuis des années.

La pollution, de manière générale, m’affecte depuis toujours : ayant grandi dans la verdure, le moindre déchet déposé dans l’écrin de la nature se voit de loin. J’ai passé certains week-ends de ma jeunesse à débarrasser obstinément les roseaux entourant un merveilleux lac de montagne des détritus qui s’y retrouvaient régulièrement « dissimulés ». Même dans un contexte urbain, les mégots, par exemple, qui jonchent les trottoirs parisiens, m’agacent. Les ciels magnifiquement étoilés de mon enfance deviennent rares, y compris dans la campagne qui m’a vu grandir : l’urbanisation envahit tout. Le silence, même, devient rare. Ma prise de conscience sur l’effondrement de la biodiversité est plus récente, de quelques années, suite au rapport, entre autres, de l’IPBES. Je suis toujours estomaqué de constater combien les humains pensent, finalement, peu à l’avenir. Dans un autre registre, bien que sans grandes conséquences, l’escalade sur les blocs de grès de la forêt de Fontainebleau abîme le rocher quand les chaussons sont mal nettoyés ou quand des « poudres » – magnésie, pof – sont utilisées sur les mains. Les grimpeurs préfèrent néanmoins ne pas changer leurs habitudes : limiter la dégradation afin de permettre aux générations futures de profiter elles aussi de ce terrain de jeu au grand air ne fait pas partie de leurs préoccupations [4]. Après eux, le déluge. C’est toute la société qui est ainsi. Sans contraintes extérieures (lois…), il est difficile d’infléchir des comportements, quand bien même serait-ce pour un « meilleur-être » à venir. Y compris le mien : malgré mes beaux discours, j’émets encore 5 à 6 tonnes de CO2/an en moyenne, j’ai donc une bonne marge de progression.

En dépit de l’alarmant état des lieux, d’une trop lente prise de conscience collective et d’une encore plus lente mise en action des efforts pour tenter d’enrayer le processus, j’ai envie d’être optimiste. J’ai envie de voir dans ces crises environnementales que nous avons créées (ou tout au moins qu’une petite partie de l’humanité a créé aux dépens de l’ensemble) une opportunité pour changer radicalement et collectivement de mode de vie et de société : passer d’une vie aliénée au travail et à l’argent à une vie plus en harmonie et en équilibre avec notre écosystème et les autres « humains ». Cessons de nous comporter comme les « barbares » de Marion Zimmer Bradley [5], enfants gâtés par la consommation sans limites, mais finalement seuls, malheureux – ou pas bien heureux –, pour accéder, enfin, à la sagesse, au bonheur [6] ? Une sorte de remise à zéro style La Belle Verte. Inverser tout un système de valeurs pour plus de respect les uns envers les autres, et envers notre environnement naturel, moins de Porsches et de Rollex, plus de sérénité et de simplicité dans notre rapport au monde. Rien que dans les villes, je suis fasciné (sic !) par l’omniprésence de la voiture, souvent inutile, au point que même l’utiliser est problématique : stationnement compliqué, bouchons interminables, rues étroites encombrées de voitures parquées, etc. Mais non, plutôt que de faire quelques hectomètres à pied ou à vélo, on s’obstine à se servir du sacro-saint esclave mécanique. On tend ainsi vers une société Wall-E, nous sommes devenus hilotes de nous-mêmes. Comment peut-on être « heureux » ainsi ? J’aspire à une société plus proche de celle d’Écotopia que de l’actuelle. Tournée vers l’humain, la nature, la biodiversité. Remettre le respect, des autres, de la nature, des villes aussi, des animaux, des plantes, etc., au cœur de nos valeurs. Vaste programme… !

Je pense que les chercheurs et les enseignants-chercheurs pourraient ou devraient être les fers de lance de ces changements. Ils ont tout à y gagner : la façon de produire de la connaissance se néolibéralise à grande vitesse, le rouleau compresseur va nous étouffer et la science avec. Nous avons une responsabilité dans la bureaucratisation et donc dans la perte d’efficacité de la recherche. Nous devons reprendre la maîtrise de nos métiers et surtout de la méthode scientifique. Ralentir le rythme, retrouver le plaisir de la collégialité. Et la plénitude.


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